Menu Fermer

La domination adulte, l’oppression des mineurs, Yves Bonnardel

Ce compte-rendu de Bernard Collot est repris de son très riche blog [http://education3.canalblog.com/
->http://education3.canalblog.com/]

La domination adulte, un réquisitoire féroce

S’il existe un ouvrage politique sur l’enfance, sans concession, cruel, voire effrayant, en explorant toutes les facettes, c’est bien celui-ci « La domination adulte, l’oppression des mineurs » Yves Bonnardel aux éditions Myriadis.

L’ouvrage est tellement dense que je ne peux qu’en extirper quelques impressions.

Vous êtes probablement de celles et ceux qui considérez l’enfant comme une personne, le respectez en tant que telle, pensez le laisser s’épanouir le plus librement possible dans les choix qu’il fait. Et bien, attendez-vous quand même à recevoir une claque à cette lecture !

On pourrait croire que Yves Bonnardel l’a écrit en 1968 ! En réalité dans un ouvrage quasiment exhaustif il balaie toutes les faces et toute l’histoire d’une domination qu’il met en parallèle avec toutes les dominations qui réduisent nos sociétés en dominants et dominés, dont en particulier celle des femmes. En ce qui concerne ces dernières il a peut-être fait l’impasse de leur situation aussi dominante dans leur statut particulier de mère. Parce qu’il s’agit essentiellement de la domination masculine subie par ceux placés dans le statut de mineurs.

Mais les dominateurs que sont en premier les parents, les éducateurs, même involontairement, ne sont en réalité que les relais d’une société avec ses institutions qui a besoin que s’intègrent comme naturels les rapports dominés-dominants pour perdurer en l’état, et il faut reconnaître que tout le livre en fait une démonstration éclatante.

Dans l’histoire particulièrement intéressante de cette domination, l’enfance n’a pas toujours été considérée comme une nature particulière et contingentée dans les âges d’un statut. Dans l’antiquité jusqu’au Moyen-âge le pouvoir paternel absolu s’étendait sur sa famille jusqu’à sa disparition. Yves Bonnardel décrit très bien comment l’Etat, monarchique ou républicain, a réduit peu à peu ce pouvoir en créant le statut de mineur encadré arbitrairement par une date appelée majorité, en légiférant le pouvoir parental et comment il devait s’appliquer. L’enfance devenait un statut. Le vrai parent des enfants est bien l’État (« les enfants appartiennent à la République avant que d’appartenir à leurs parents » Danton, séance du 2 fructose, an II)). A l’appropriation des enfants par les pères (j’ai un enfant, j’ai une femme, j’ai un esclave, j’ai un chien, j’ai une voiture), s’est substituée l’appropriation par l’État, en particulier à partir du XIXème siècle ; aujourd’hui peut-être encore plus qu’avant en capturant les enfants dès le plus jeune âge dans son école.

C’est bien sûr de par leur « nature » nécessairement « immature » que les enfants ne pouvaient avoir aucun pouvoir, devaient être sous l’autorité (puissance parentale), dans la dépendance permanente et totale, puis sous la protection des adultes et des États et devaient être « éduqués ». Même Rousseau, Kant le disaient ! La protection de l’enfance (celle comprise dans les âges décrétés) semblait bien avoir été un progrès, du moins nous devons être nombreux à le penser. Yves Bonnardel va certainement faire hurler les défenseurs des droits de l’enfant en décortiquant une convention qui finalement ne donne que peu de « droits » aux mineurs si ce n’est de les enfermer encore plus dans un statut. Il souligne d’ailleurs le sort particulier que l’on fait inconsciemment à ces dominés : on parle bien des droits DES femmes, des droits DES handicapés, mais on insiste pour parler des droits DE L’enfant ! Les enfants sont ainsi dépersonnalisés, déshumanisés, ne sont plus qu’une catégorie

Ce qui est très surprenant, c’est d’apprendre que, dans notre histoire, des mineurs se sont organisés pour protester contre la domination adulte. Si on connait bien les contestations de 68, on connait moins les révoltes lycéennes dès le début du XIXème siècle, le congrès de leur lutte en 1882, la grève des écoliers en Ecosse, Irlande et Angleterre en 1911 ou le mouvement de jeunesse allemand s’étendant jusqu’en Scandinavie et ayant compté jusqu’à 45 000 membres en 1914 et dont les manifestes en feraient frémir plus d’un aujourd’hui (« Camarades ! Nous sommes un dans la haine des institutions de cette vie et de ce temps. Nous demandons : qui est responsable de cette vie, de ces institutions, de cette culture ? (…) Les adultes ! »).

Encore plus étonnant, dans les années 1975 et dans une trentaine de pays du tiers-monde, en particulier en Amérique latine et en Afrique, se constituent des organisations d’enfants et d’adolescents travailleurs qui se prononcent explicitement contre la Convention Internationale des Droits de l’Enfant et pour le droit au travail mais contre leur exploitation. Leurs revendications sont parfaitement et implacablement argumentées. En somme, les adultes ont décidé le bien de ceux qu’ils maintenaient dans un statut de mineur en se gardant bien de les consulter.

Cette catégorisation systématique par âges apparaît surtout à partir de la naissance de l’ordre industriel. Les rapports entre un statut et l’ordre économique et politique sont évidents, on parle même aujourd’hui d’une prolongation de l’obligation scolaire jusqu’à 18 ans, le marché du travail ne pouvant les absorber avant.

L’auteur passe en revue la scientifisation de l’enfant qui peut alors justifier l’infantilisation : du juridique à la psychologie qui déterminent des normativités, élaborent la théorie des stades… en passant évidemment par la passion de l’éducation à partir surtout du XIXème siècle. L’éducationisme, dès Erasme, Rousseau ou Kant, qui résulte surtout à isoler l’enfant de la vie commune, pour pouvoir mieux en faire l’adulte que l’on suppose qu’il doit être. Depuis une cinquantaine d’années, Yves Bonnardel parle même de l’idéologie de l’éducation. Il s’agit bien de faire intégrer – internaliser – au jeune humain les obligations sociales de façon qu’il les actualise et reproduise lui-même. A propos de l’école, qui s’évertue à rogner toutes les potentialités de l’enfant, Yves Bonnardel apporte évidemment de l’eau à notre moulin. Il va même jusqu’à titiller l’éducation moderniste, humaniste « Laissez les contraintes informulées et faites que la liberté au contraire soit sans cesse proclamée, et vous obtiendrez de façon étonnante tout ce que vous voudrez ayant rendu votre victime réellement sans défense ». Ce n’est pas aussi politiquement incorrect qu’il y paraît quand on constate que les pédagogies modernes consistent aussi à obtenir des enfants ce que l’on veut d’eux avec une autorité devenant paternaliste,… et même qu’elles peuvent être utilisées par des sectes.

Ces capacités rognées, cette protection exacerbée, a bien sûr des conséquences que l’on connait bien ensuite sur l’état adulte : peur du jugement, de l’initiative, du risque, soumission aux chefs, etc. Je ne peux m’empêcher de faire le rapprochement avec le livre de Michel Odent (« l’amour scientifié[1] ») qui n’étudie que le stade primal (gestation, naissance, première année) mais qui montre aussi comment les habitus et les comportements plus ou moins imposés par une société déterminent ensuite le type de société qu’ils font perdurer, même quand ladite société ne satisfait plus personne.

Le titre aurait pu être « La domination d’une société par la domination des enfants »

Bien sûr il ne faut pas conclure de ce réquisitoire implacable mais salutaire sur la domination adulte dans laquelle nous avons tous une part de complicité qu’il ne faudrait plus s’occuper des enfants ! Il y a bien les interdépendances naturelles et propres à toute espèce animale, interdépendances un peu plus complexes dans les espèces sociales. Individuellement on peut aider le petit humain (je n’ose plus dire enfant !!) à devenir de plus en plus autonome, partie prenante et co-auteur de ces interdépendances. Le pouvoir sur les autres à transformer en pouvoir pour les autres, la liberté à permettre dans laquelle seule on peut construire et affirmer son identité…

Mais surtout, ce qu’il y a à retenir du livre, c’est que la domination adulte est un système social d’oppression qui reste à visibiliser en tant que tel pour qu’il puisse être combattu, qu’il faut attaquer politiquement, et pas seulement tenter d’amender dans notre sphère privée ou professionnelle.

Ce livre fait référence et cite de nombreux ouvrages et auteurs, dont en particulier Christiane Rochefort, John Holt, Christine Delphy, Catherine Baker, René Shérer, Alice Miller, Laurent Ott….

Bernard Collot.

[1] Editions Myriadis

La Domination adulte : L’oppression des mineurs, Yves Bonnardel, Myriadis, 2015, 352 p., 18 €.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *