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“Tu vois le travail ?”, Réfractions n° 38

C’est toujours un plaisir de chroniquer Réfractions, une revue où anarchisme ne rime pas avec nostalgie muséale ou imprécations gratuites, mais avec réflexion et renouvellement constant : bref une revue intelligente.

La livraison de ce numéro s’intitule « Tu vois le travail ? ». Plusieurs articles de qualité autour de ce thème : Philippe Gourc commence par situer la réflexion générale sur ce thème, prenant en compte tout ce qu’ont apporté les écrits de Christophe Dejours sur la souffrance au travail et ceux de la clinique du travail, mais dans une volonté d’aller plus loin : il ne s’agit pas seulement de « diminuer les risques psycho-sociaux », mais d’avoir un rapport sain (1) au monde via son activité. Cette autonomie ne peut pas se contenter des interactions au sein des collectifs de travail, comme le préconise Yves Clot ; elle ne doit pas seulement s’adapter, il faut qu’elle soit décisionnelle : or « sortir d’une définition de la santé comme adaptation au contexte par une entrée par la qualité du travail qui cherche à créer du contexte rejoint inévitablement la question démocratique dans un monde, celui de l’entreprise, qui en est la négation. »
Du même auteur on lira un article clair et riche sur l’inspection du travail.

On retrouve ces qualités dans l’article de Philippe Mühlstein et Jean-René Delépine sur les enjeux syndicaux et politiques de la souffrance au travail, qui aboutit, à une distinction claire entre la revendication d’abolition du travail dans le cadre capitaliste (avec cette marque individualisante qu’il a pris à notre époque, l’emportant sur le collectif) et le travail au sens anthropologique, investissement fondamental de l’humain, de toute son intelligence et de toute sa subjectivité, investissement qui se manifeste également dans le cadre capitaliste, y compris pour les tâches les plus dénuées d’intérêt.

Cette ouverture où le syndical se mue en distance (proximité ?) philosophique, on la retrouve sous la plume d’Annie Stevens. A partir du rappel de la distinction éclairante d’Hannah Arendt sur le travail, l’œuvre et l’action, elle revient sur le temps de travail, de façon à la fois utopique et très concrète (c’est dans les années 70 qu’est paru le fameux « Travailler deux heures par jour », mis à jour aujourd’hui par le collectif Bizil). De son côté, Ippolita intervient sur le Digital Labour : là encore la réflexion s’appuie sur une information précise et claire.

L’interview d’Anselm Jappe n’est pas seulement intéressante parce qu’elle met de façon plaisante les idées de cet auteur à la portée du lecteur qui ne le connaitrait pas. Mais surtout parce qu’elle permet de réfléchir à cette affirmation lourde de conséquences : si l’essentiel de l’héritage marxiste était, à côté du primat de la lutte des classes, le « démontage » – et donc le refus – de la marchandise, avec toutes les questions que cela pose (acceptation du système marchand par l’ensemble de la population, lien avec les thèmes écologiques) ?

En dehors du dossier, on se réjouira (j’espère) du coup de gueule d’Edouardo Colombo sur l’intolérance existant dans les milieux gauchistes-libertaires : parce qu’il ne s’agit pas seulement d’un coup de gueule, mais d’une argumentation à partir des « valeurs universalistes de la pensée rationnelle ». Ceux que l’Allemagne intéressent se plairont à l’article d’Alexander Neuman sur le sujet ; si l’article peut paraître sinueux, il atteint bien son but : combattre la germanophobie d’une certaine gauche sans faire pour autant preuve de complaisance vis-à-vis de l’Allemagne actuelle.

Ne pas se priver de Réfractions !

(1) « Je me porte bien dans la mesure où je me sens capable de porter la responsabilité de mes actes, de porter des choses à l’existence et de créer entre les choses des rapports qui ne leur viendraient pas sans moi. » Canguilhem.

Tu vois le travail ?, Réfractions n° 38, printemps 2017, 15 €.
https://refractions.plusloin.org/

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