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Qui a eu cette idée folle ? Essai sur l’éducation scolaire

Cet ouvrage rassemble des interventions de ce spécialiste québécois des sciences de l’éducation, interventions variées quant à leurs publics et à leurs sujets. Il a le mérite, pour nous, d’évoquer des thèmes qui nous intéressent avec une référence nationale différente – le Québec 1. L’intérêt est redoublé quand on sait que ce pays est connu comme étant, parmi les pays francophones, plus ouvert à la réflexion pédagogique que la France (il est vrai que c’est également le cas pour la Suisse et la Belgique – le plus gros et le plus prétentieux de la bande n’est pas forcément le plus intelligent).
Une troisième raison, qui justifie sa présence dans ces colonnes, est son parti pris en faveur d’une pédagogie émancipatrice. Il s’en explique : le rêve de « transformer sa condition sociale » par l’école, fut-il réalisable par une pédagogie de la compensation qui s’en donnerait les moyens, est impossible car « c’est d’abord et avant tout affaire de postes disponibles dans la division du travail ». Plutôt que d’encourager ces illusions, il faut, selon l’auteur, travailler à une « pédagogie de la conscientisation » sur les traces d’un Paulo Freire ou d’auteurs nord-américains de la « pédagogie critique » (Giroux, Kosol, Mac Laren) (p. 25 et 169-170). Et déjà, en tout cas, ne pas négliger les sciences sociales, sans lesquels l’enseignant est comme perdu face aux difficultés de ses élèves – et des siennes.
À partir de cet horizon émancipateur, sympathique mais qui reste très global, A. Baby s’attaque à des points saillants du système québécois. On relèvera notamment une critique de l’approche par compétences, critique intéressante dans la mesure où elle ne se fonde par sur des positions conservatrices : en l’état, cette approche par compétences est pour lui trop prescriptive, difficile à mettre en place, et elle risque d’être « le cheval de Troie de l’entreprise privée dans l’école » dans la mesure où elle assujettirait celle-ci à un « paradigme utilitariste ». Et s’il ne rejette pas complètement l’idée, il appelle à la vigilance, de même que vis-à-vis des autres dogmes imposés par le Québec à ses écoles : rapprochement école / entreprise, le socioconstructivisme dont il n’est pas un adversaire mais qui pour lui doit n’être qu’un outil parmi d’autres, innovation « dictée » au lieu d’ouvrir la possibilité aux équipes d’avoir une marge spécifique de travail qui ne donne pas lieu à un contrôle tatillon mais à une confiance donnée sur plusieurs années (p. 147 et suivantes).
Ce parcours, très lisible du fait du style enjoué et imagé de l’auteur, surprend parfois : ennemi de la prescription autoritaire de l’État, il verrait volontiers l’école contrôler l’éducation familiale ! (p. 256).
Il déçoit un peu quand il reste général, comme nous le signalions plus haut, mais aussi quand il énonce l’idée intéressante d’encourager une « culture populaire de la culture » (p. 141), hélas sans nous en indiquer les voies et les moyens.
Malgré tout, c’est un livre qui n’a pas seulement le mérite de nous dépayser de notre minuscule bout de planète. C’est le reflet du parcours de toute une vie, de quelqu’un qui a essayé, comme nous essayons modestement de le faire dans le cadre de cette revue – et sans doute avec des contradictions et des apories dont nous ne sommes pas conscients –, de conjuguer horizon émancipateur et interrogation sur les tendances et les choix éducatifs tels qu’ils se posent. De ne pas en rester à la dénonciation, sans s’en priver toutefois : le « démontage » des prétentions de l’école privée (p. 202 et suiv.) est un régal ! De poser des questions, de les articuler précisément : comment motiver des jeunes dont il pense que l’indécision n’a pas que de mauvaises raisons, dans des temps incertains soumis aux fluctuations de « la mondialisation des riches ». ? (Jean-Pierre Fournier)

1. Il est très différent du contexte français (cursus, choix pédagogiques) mais quelques clics direction Wikipédia permettent de déchiffrer sigles et réalités.


Qui a eu cette idée folle ? Essai sur l’éducation scolaire,
Antoine Baby, Presses de l’Université du Québec (éducation), 2013, 303 p., 26 €.

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