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Orwell, Pierre Christin et Sébastien Verdier

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Le titre in-extenso, – [**Orwell : Etonien, flic, prolo, dandy, milicien, journaliste, révolté, romancier, excentrique, socialiste, patriote, jardinier, ermite, visionnaire*] -, dit déjà beaucoup du scénario de Pierre Christin qui choisit une biographie qui embrasse largement la vie (réelle et multiple) de Orwell sans pour autant mettre l’œuvre à l’écart tant il est impossible de dissocier, pour certaines périodes, le vécu et les écrits. Le scénariste, dans ce bel hommage déroule son récit, des origines familiales du jeune Blair (“Orwell avant Orwell”) à sa postérité littéraire, cinématographique et politique “Orwell après Orwell”). Les séquences choisies alternent vie quotidienne, scènes éclairantes d’un parcours atypique et texte original, tantôt pour combler la biographie, la période birmane par exemple ou pour saisir le moment antifasciste de la Guerre d’Espagne avec le récit extrait d’Hommage à la Catalogne.

Admis à tarif réduit dans une “Prep’school”, Eric Blair, le futur Orwell, subit coups et humiliations avant de réussir Eton, la grande public school école privée de l’élite britannique. Mais il choisit paradoxalement de s’engager dans la police birmane, période évoquée par le roman “Une histoire birmane”.

Christin, qui étaie sa narration sur les abondants écrits autobiographiques d’Orwell (1), relate une scène marquante et fondatrice de son parcours, le vol par un marin d’un gâteau destiné aux passagers. “La stupeur qui me frappa à ce moment-là m’en appris plus que ne l’auraient fait une demi-douzaine de brochures socialistes“.

Puis, est brossée la descente dans les bas-fonds, racontée “Dans la dèche à Paris et à Londres” (Down and out in Paris and London), de ce déclassé qui veut pourtant vivre de l’écriture et du journalisme.

Dans le chapitre II, “Blair invente Orwell”, Verdier, le dessinateur (2) et Christin, le génial scénariste des Légendes d’aujourd’hui avec Bilal (Les Phalanges de l’Ordre noir, 1979. Partie de chasse, 1983) et de Valérian avec Jean-Claude Mézières, évoquent le socialiste et le révolutionnaire pendant la Guerre d’Espagne dans les rangs du POUM, un parti marxiste anti-stalinien. On y retrouve quelques pages inoubliables du puissant récit d’Orwell que je recommande bien sûr aux lecteurs et lectrices qui n’auraient pas encore lu l’incontournable Hommage à la Catalogne (3) dont s’inspirent les auteurs.

Dans cet épisode essentiel de la vie intellectuelle et militante d’Orwell, Christin, sur « les traces d’Orwell » (4), a placé un indice politique volontairement erroné. La case 3 de la riche et quasi muette page 96, laisse apparaître, – en couleur, alors que l’album est dessiné principalement en noir et blanc -, un drapeau phalangiste anachronique, annonciateur de la victoire franquiste mais surtout révélateur du totalitarisme stalinien à l’œuvre dans la contre-révolution menée par les soviétiques dans le camp républicain, ces deux interprétations n’étant pas, on s’en doute, contradictoires (5) (6).

Le chapitre « Orwell orwellien » rend compte de l’intense activité journalistique et littéraire de l’écrivain revenu d’Espagne anti-communiste (au sens anti-stalinien) mais toujours socialiste. Sont retracées sa vie intime – amours, adoption, vie à la campagne, tuberculose -, son dérangeant engagement patriotique pendant la Seconde Guerre mondiale puis la publication et l’écriture de ses deux chefs-d’œuvre, La ferme des animaux et 1984.

Christin nous aura donné un solide et nécessaire roman graphique avec la complicité de Verdier et d’autres comparses. C’est aussi son testament politique (7) et surtout une porte d’entrée formidable mais sans complaisance dans l’œuvre de George Orwell.

Pierre Christin (scénario) et Sébastien Verdier (dessin), Orwell : Etonien, flic, prolo, dandy, milicien, journaliste, révolté, romancier, excentrique, socialiste, patriote, jardinier, ermite, visionnaire, Dargaud, 2019, 160 p., 19,99 €.

1. Les éditions Ivrea (Champ libre) et Agone sont les principaux éditeurs d’Orwell en langue française :
https://www.editions-ivrea.fr/fr/2-catalogue.html?s=George%20ORWELL
https://agone.org/auteur/george_orwell

2. D’autres dessinateurs chers au scénariste ont participé par un dessin, quelques cases ou plusieurs pages à l’album : André Juillard, Olivier Balez, Manu Larcenet, Blutch, Juanjo Guarnido et bien sûr Enki Bilal.

3. En poche chez 10/18 et en version brochée chez Ivrea.

4. « […], j’ai, au fil de ma propre vie, discrètement suivi les traces d’Orwell. Ce roman graphique en compagnie de Sébastien Verdier espère être fidèle à celui qui a inspiré toute une partie de mon travail d’anticipation politique. » Pierre Christin, postface.

5. On peut d’ailleurs faire une lecture graphique, parmi d’autres, de l’album avec les occurrences des cases avec drapeau(x) : Union Jack impérialiste en Birmanie (p. 33), drapeaux révolutionnaires en Catalogne (pp. 74 et 78), drapeau phalangiste déjà évoqué (p. 96), drapeaux fascistes (p. 100), Union Jack de la Garde nationale « Home Guard » en 1940 (p. 124) et fragment de l’Union Jack dans un dessin de Bilal qui illustre 1984 (p. 147).

6. La page 96, avec ses patrouilles de flics et ses bourgeois qui se saluent cérémonieusement, fait évidemment écho à la page 74 où Orwell, arrivé à Barcelone fin décembre 1936, découvre la Barcelone prolétarienne. « C’était la première fois de ma vie que je me trouvais dans une ville où la classe ouvrière avais pris le dessus. […] Çà et là, on voyait des équipes d’ouvriers en train de démolir systématiquement les églises. […] les images saintes avaient été brûlées. […] Personne ne disait plus Señor ou Don, ni même Usted : tout le monde se tutoyait, on s’appelait « camarade » et l’on disait Salud au lieu de Buenos días. » Citations de l’album extraites d’Hommage redécoupées par Christin.

7. Dans le chapitre sur l’héritage orwellien, Christin condamne « une certaine extrême gauche (et aussi une extrême droite buissonnière) [qui] n’hésite [pas] à l’annexer pour plomber l’ennemi de toujours, la social-démocratie […]. » Rien ne nous oblige à le suivre dans cet anathème.

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Paroles d’auteurs – George Orwell (Entretien avec Pierre Christin sur le site de l’éditeur) : https://www.dargaud.com/bd/Orwell

George Orwell, sa vie en bande dessinée (Entretien avec Pierre Christin sur Arte) :

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