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Les Furtifs d’Alain Damasio, roman d’anticipation pédagogique !

On ne nous a heureusement pas attendus pour dire combien Les Furtifs, le nouveau roman d’Alain Damasio est une magnifique réussite, rencontrant un succès largement mérité. La virtuosité du style, l’inventivité langagière, le souffle politique et poétique, – au service d’une maîtrise vertigineuse du sens du récit – ont déjà largement et unanimement été salués…

Plutôt qu’une énième recension de cet ouvrage, nous voulions ici nous attarder sur l’une des dimensions du roman qui parlera à nos lecteurs et lectrices : la question de l’avenir de l’éducation, présentée dans sa face sombre mais aussi comme un possible ferment subversif, un horizon émancipateur pour un autre futur…

Dans un avenir proche, les principales villes de France ont fait faillite. Les grandes entreprises se les sont appropriées et, dans ces espaces totalement privatisés, elles mettent en place une société du contrôle total, où chacun.e s’enferme dans son « cocon numérique »

Si la question scolaire ne constitue pas, loin de là, la seule porte d’entrée dans l’univers dépeint par Alain Damasio, elle nous semble cependant structurer le récit, encadrant les aventures des protagonistes (les « 1/G » !). Au bout de quelques pages, nous voilà en effet plongé.es au cœur d’une émeute, suite à l’arrestation d’une enseignante venue faire classe clandestinement, sur le trottoir…

Dans ce futur pas si éloigné, l’héroïne est une « proferrante ». L’Éducation nationale a depuis longtemps mis la clé sous la porte, les impôts étant devenus « optionnels ». Comme ses collègues, Sahar délivre ses cours au grand air, sur les places publiques, jouant à cache-cache cache avec les milices de la société Educal, qui s’est imposée sur le marché après avoir absorbé tous ses concurrents. « J’ai passé 20 ans à construire une autre éducation, déclare-t-elle, à essayer d’expliquer dans les cités tout le mal que ces bagues (gadgets électroniques obligatoires pour circuler dans les villes et qui ont remplacé les smartphones, Ndlr) font. À nos libertés, à nos existences… »

La multinationale vise l’éradication complète des « proferrants » « en vertu du code de la concurrence, pour exercice illégal de l’enseignement ». Une chasse aux profs qui frisent avec l’illégalité car « ils le font par abus de pouvoir depuis quelque temps parce que personne ne défend les proferrants, qui n’ont pas de valeur pécuniaire ni de syndicat valide. »

Dans cette société ultra-connectée, le savoir, l’esprit critique constituent une menace pour l’ordre commercial… Les hommes de main d’Educal traquent donc ces derniers cours publics, à l’occasion de rassemblements improvisés, où quelques pédagogues insoumis tentent encore d’enseigner, malgré un temps de concentration du public réduit à une poignée de secondes du fait de leur dépendance au zapping permanent. Mais la virtuosité et la créativité pédagogique des proferrant.es leur permettent de maintenir l’attention des jeunes ou des badauds… et de mériter les quelques pièces qu’ils recevront en récompense de leur prestation (comme autrefois, quand les instituteurs errants recevaient l’écolage de la part des villageois.es, en échange d’un enseignement plus que rudimentaire…).

Sahar, personnage clé de ce récit, est une « militante radicale de l’éducation populaire », avec, à son compteur, « 800 infractions pour exercice illégal de l’enseignement » ! Elle s’efforce de mettre en œuvre une « pédagogie Freinet modernisée : tâtonnement expérimental, pratiques d’expression libre par le texte, le corps, la performance publique devant les autres élèves, le bricolage techno. »
La force du roman d’Alain Damasio est qu’il ne se contente pas de nous plonger dans une dystopie scolaire (assez convaincante, il faut bien l’avouer), il tente surtout d’imaginer une (des) possible(s) subversion(s) en titillant notre espoir en une société – et une éducation – plus juste, plus libre et plus révolutionnaire. Ainsi, les élèves de Sahar, porteront-ils main-forte aux « 1/G » lors de leur soulèvement parce qu’ils et elles veulent en finir avec l’« enseignement privigèle ». Pour les rebelles, l’avenir va « dépendre de ce qu’on apprend aux enfants. Ou plutôt, de ce qu’ils vont apprendre, par eux-mêmes et en groupe, des expériences qu’on va leur proposer de vivre à l’école, quand elle existe – ou dans la rue, les parcs, les champs ou les forêts, quand on n’a que ça – ce “ça” étant souvent plus riche pédagogiquement qu’un bâtiment à angles droits et à toit permanent. »

Le roman se referme par une espérance pédagogique et révolutionnaire, alors que la société lutte encore pour se libérer de l’aliénation et du « self-serf-vice ». Dans la ville libérée « Le musée a été reconverti en ateliers pour enfants et confié aux proferrants. On va y apprendre la cuisine, le camouflage, le logiciel libre, l’anonymisation, la robotique de récup, le tag bio, à fabriquer des jouets, des vêtements naturels et des bandes dessinées. […] juste apprendre à apprendre des autres, déjà… je trouverais ça pas mal… »

En matière d’éducation et de pédagogie, la lecture de Damasio a aussi beaucoup à nous apprendre…

Grégory Chambat

Damasio Alain, Les Furtifs, La Volte, 2019, 688 p., 25 €.

**Site de l’éditeur*] : [https://lavolte.net/livres/les-furtifs-alain-damasio/

**Vidéo de présentation par l’auteur*] : [https://peertube.mastodon.host/videos/watch/7f817804-b4b6-4e68-9e03-0011b8c115c3

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