Plus de manuels scolaires... plus de leçons ! (Célestin Freinet)
« Même les manuels seraient-ils bons, il y aurait tout intérêt à en réduire le plus possible l’emploi. Car le manuel, surtout employé dès l’enfance, contribue à l’idolâtrie de l’écriture imprimée. Le livre est bientôt un monde à part, quelque chose d’un peu divin, dont on hésite toujours à contester les assertions. […] Le manuel tue le sens critique ; et c’est probablement à eux que nous devons ces générations de demi-illettrés, qui croient, mot pour mot, ce que contient leur journal. Et s’il en est ainsi, la guerre aux manuels est vraiment nécessaire. », Célestin Freinet, Plus de manuels scolaires (1928).
« Plus de manuels scolaires », fin 1928, Freinet publie sous ce titre son second livre pédagogique. En fait, il consacre peu de place à la critique des manuels, il préfère proposer une alternative centrée sur l’expression libre des enfants et l’imprimerie. Pourtant, si son argumentation contre les manuels reste embryonnaire, il a l’intuition qu’il s’agit là d’un des points de blocage de la pédagogie (et ce blocage subsiste toujours).
Dans la revue Pour l’ère nouvelle, organe de la Ligue d’éducation nouvelle (n° 46, avril 1929), E. Delaunay réagit négativement : « Si nous n’avons pas le droit d’empêcher un progrès de se réaliser, nous avons le devoir de ne pas nous laisser entraîner dans des voies aventureuses. » Le leitmotiv n’a pas changé selon lequel il existe de mauvais manuels, l’important étant d’en choisir de bons. La critique de Freinet est plus radicale : tout manuel, distribué en autant d’exemplaires que d’élèves, est un carcan et un outil totalitaire. Si un manuel est bon, qu’il entre dans la bibliothèque au même titre que les autres livres, il perdra sa position de monopole et sa nocivité de manuel. Position qui aujourd’hui n’a rien perdu de son actualité. Pour être équitable envers Delaunay, ajoutons qu’il modérera sa critique en août 1931, en reconnaissant la valeur des propositions positives de Freinet.
En janvier 1930, est reproduite dans la revue syndicale L’Émancipation, une réaction de Yakovlev, parue dans La Voie de l’Éducation, revue pédagogique de la République socialiste soviétique d’Ukraine : le manuel est un instrument par lequel la classe dominante assure sa direction idéologique et méthodologique du travail scolaire. Aussi, tandis que les éducateurs révolutionnaires condamnent le manuel en régime capitaliste (attitude négative), ils ne peuvent que le défendre dans une république ouvrière (attitude positive).
Freinet, malgré son approbation de la révolution socialiste, n’acceptera jamais ce point de vue : un outil dogmatique n’est souhaitable sous aucun régime. Nous verrons ce débat rebondir en 1933-34. Mais il ne suffit pas de condamner les manuels, encore faut-il créer d’autres moyens de faire travailler les enfants. ■
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