Lire et penser ensemble
Avec Lire et penser ensemble, sur l’avenir de l’édition indépendante et la publicité de la pensée critique (éditions Amsterdam), Jérôme Vidal s’interrogeait sur l’avenir du livre, consacrant une large part de son analyse aux manuels scolaires, et sur la production en masse de « non-lecteurs » qui en résulte.
Nous en proposons ici quelques passages significatifs.
La question de savoir comment se forment ce désir et les pratiques de lecture qui lui sont liées n’a rien d’abstrait. Cette perspective permettrait notamment d’ouvrir une réflexion sur la place et les usages du livre dans l’enseignement secondaire et universitaire. Nous avons toutes les raisons de croire que ceux-ci déterminent en grande partie le rapport aux savoirs et les désirs et les pratiques de lecture ultérieures des élèves et des étudiants. Or, les manuels scolaires utilisés – nous nous en tiendrons ici à l’exemple des manuels d’histoire du secondaire – fonctionnent de plus en plus, nous semble-t-il, comme des « non-livres », autrement dit comme des livres qui occultent, et pour cause, leurs sources bibliographiques et le travail de la pensée qui les a précédés, en particulier la dimension conjecturale et polémique de celui-ci, et qui ne suscitent pas chez leurs utilisateurs (plutôt que leurs lecteurs) le désir de circuler de livre en livre, mais qui ont pour effet au contraire de dispenser de toute lecture. Leur contenu est ainsi coupé du travail vivant des historiens, notamment dans ses aspects les plus critiques (il ignore par exemple les travaux qui lient les histoires de l’État national/social, de la nationalisation de la société, de la colonisation, de l’immigration, du monde ouvrier, de la sexualité, etc.). Cette évacuation se fait un profit d’une histoire à haute teneur idéologique, écrite du point de vue d’un État dont la fonction semble être de dompter les « masses », histoire qui vise à célébrer la « démocratie libérale », laquelle, après avoir triomphé de ses maladies infantiles, le communisme et le fascisme, et après avoir surmonté l’accident historique que serait son engagement colonial – comme si cette histoire lui était extérieure et ne l’avait pas façonnée de part en part – serait aujourd’hui confrontée au péril de la montée d’un islam radicalisé. De tels manuels ne peuvent que jouer le rôle d’éteignoir intellectuel pour les élèves.
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À lire : le texte complet du premier chapitre de l’ouvrage de Jérôme Vidal Lire et penser ensemble : « Les manuels scolaires et la fabrique en masse des non-lecteurs »