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Notre Pass Éducation n’est pas un Pass Verbalisation !

Outre l’essence même de cette Loi Séparatisme qui, sous couvert de probité républicaine, résonne à nouveau comme un contresens sur ce qu’est la loi de 1905 et sonne, entre autres, comme un énième prétexte à la stigmatisation des personnes musulmanes de notre pays, il y a quelque chose qui me taraude particulièrement : la question concrète de son application quant aux mères voilées accompagnatrices d’une sortie scolaire.

Or à ce sujet précis, à peu près personne ne dit mot. Ni, au passage, sur ce que cela induit du devenir des sorties scolaires dans certains territoires, pourtant poumons éducatifs de compensation des inégalités socio-culturelles.

Mais dans les faits, de façon vraiment très concrète voire très terre-à-terre, qu’est-il donc envisagé pour faire respecter cette loi, leur loi ?

Je dis leur car les citoyen·nes qui, dans l’urne, glissaient à contrecœur un bulletin de vote Emmanuel Macron au second tour de l’élection présidentielle pensaient le faire pour « faire rempart » face à l’infâme, rien d’autre. Je dis leur car, même sans naïveté sur l’absence de velléités sociales du candidat-banquier, ces citoyen·nes se fondaient sur les mots de ce même candidat qui, sur de tels sujets de société, déclarait en 2016, le trémolo humaniste dans la voix, que le combat contre les mères voilées en sortie scolaire n’est « pas le combat de la laïcité », que « ça n’aurait aucun sens. » Je dis leur car ce pouvoir semble régulièrement frappé d’une amnésie tenace sur le pacte qui lui a conféré le pouvoir.

Un pacte de circonstance et non d’adhésion.

 

Après vérification auprès de parlementaires, rien au sujet de son application dans le projet de texte de loi. Dans le cadre de la procédure accélérée engagée par le gouvernement, ce texte vient d’être déposé en Commission Mixte Paritaire, après avoir été voté (et durci) par le Sénat en première lecture, mais il n’envisage pas cette question. Comme l’évidence d’un vide, celui de l’impensé.

De là, des hypothèses. Notamment celle, tentante, que ce qui importerait surtout dans ce texte, c’est davantage la communication électoraliste que le texte en soi et ses conséquences pratiques. À croire également que cette « loi » fonctionnerait sur un postulat implicite : celui de l’obéissance du corps enseignant. Après tout, les professeur·es doivent cocher la case d’agent·es éthiques de l’État, n’est-ce pas ?

Les concepteurs et conceptrices de ces amendements de la loi croiraient donc que pour nous, enseignants et enseignantes, aller enjoindre aux mères voilées qui accompagnent une sortie scolaire de retirer leur voile coulerait de source ? Encore aurait-il fallu que le corps enseignant eût été considéré, ne serait-ce qu’une seconde, là-dedans ! C’eût été lui faire trop d’honneur, un honneur qui ne viendrait pas à l’esprit quand on voit comment ce pouvoir méprise nos personnes, sans répit.

Pourtant, dans les faits, qu’est-ce que cela risque d’engendrer comme situations ?

 

Soit, l’effacement : le fait que des mères n’accompagnent pas/plus d’elles-mêmes les sorties scolaires. Puisque la macronie chérit le pragmatisme, quelles seraient ces conséquences pragmatiques ?

Une pénurie d’accompagnatrices dans certains endroits (devinons lesquels !). Et donc des difficultés pour organiser des sorties, particulièrement dans le primaire. Le risque de leur annulation voire de leur disparition qui se conjugue avec la privation de moments éducatifs et culturels essentiels. Tout cela pour ?

 

Soit, l’autocensure : le fait que certaines mères accompagnent d’elles-mêmes sans porter le voile. Donc, faire intérioriser un sentiment de sous-citoyenneté chez une partie de nos concitoyen·nes. Séparatisme, avez-vous dit ? Bravo, effet garanti !

 

Soit, la substitution effarante : celle de pères qui se mettraient, en masse, à accompagner les sorties ! D’emblée, on a éliminé l’hypothèse de cette hypothèse puisque, quel que soit le territoire, des pères qui accompagnent des sorties scolaires c’est une portion tellement congrue qu’illico, on zappe.

 

Soit, la résistance : les mères viennent et portent leur voile, malgré tout. Et c’est là que le bât blesse.

À quoi s’attend-on donc alors ? À ce que les enseignant·es, ces parangons d’obéissance, humilient et stigmatisent devant d’autres camarades les mères de leur·es élèves pour faire appliquer une loi excluante ?

À nouveau, c’est n’avoir aucune connaissance de ce que c’est que de vivre comme d’enseigner dans les quartiers concernés.

 

Et dans une telle situation, le postulat de notre complicité est-il si fort pour que l’on compte vraiment à ce point sur notre obéissance, sur notre aptitude à si bien être les agent·es de cette « banalité du mal » ?

N’est-ce pas là oublier que notre rôle n’est pas « d’éduquer » des parents qui, selon les lois fondatrices de la République, sont libres de leur opinion et de leur culte, quel qu’il soit ?

N’est-ce pas là supposer qu’éduquer reviendrait à verbaliser ?

 

Or, non, notre Pass Éducation n’est pas un Pass Verbalisation !

C’est le nom « Liberté » et non le verbe « ostraciser » qu’on veut écrire sur nos « cahiers d’écolier ».

 

Julien Marsay, professeur de Lettres en lycée de « quartier populaire ».

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