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Y’A BON CONSULTATION

Du 23 septembre au 10 octobre, les enseignants sont invités par leur DASEN à répondre à une série de questions à propos des programmes de 2008, à “émettre des avis et suggestions” pour “éclairer dans sa réflexion” le Conseil Supérieur des Programmes.

Après avoir changé l’emploi du temps (et non les rythmes éducatifs) contre l’avis et l’expérience
des principaux intérressés et devant l’échec de son objectif initial – qui était que 50% au moins des communes appliquent son décret – voilà que le ministère, pour répondre à la contestation de cette “mesurette” mal pensée, mal fichue, mal appliquée, et désormais source de multiples disfonctionnements de l’école, accorde un semblant de simulacre d’ouverture finalement très hypocrite sur la question des programmes scolaires.
Hypocrite, parce qu’il sait très bien que les programmes de 2008 , rédigés par Darcos et un quarteron de débris réactionnaires nostalgiques des instructions officielles de 1923, ont été refusés par une grande partie de la “communauté éducative” (voir “l’Appel des 19”, par ex. et sur le site http://a.camenisch.free.fr/programmes_2008.htm un bon dossier sur ce sujet)
Et parce que avant de se poser des problèmes de forme, de répartition des horaires hebdomadaires, il est autrement plus important et préalable de se poser les problèmes de contenu, de ce que l’on fait à l’école, comment, pourquoi.
Si le ministère voulait engager une rupture avec le précédent, il fallait commencer sur le terrain où a eu lieu l’attaque explicite et déclarée contre les “pédagogues” et tous ceux qui s’interrogent un peu trop sur la manière d’apprendre. “il faut en finir avec 30 ans de pédagogie!”, affirmait Darcos après De Robien, le gaga du B-A BA.
Rien de cela n’a été fait et aujourd’hui seulement, au vu du peu de succès de sa réforme, le ministère lance une opération de communication sur les programmes pour tenter de rattrapper son mauvais calcul. Répondant à une demande du syndicat majoritaire avide d’une co-gestion de la “refondation”, le ministère semble lancer une opération “pour la forme”, sitôt terminée sitôt oubliée. Comme les nombreuses autres consultations qui sont toujours sans effet aucun sur les procédures de décision.
Pour les gouvernants socialistes, friands du spectacle de la participation à la “fabrique du consentement”, il importe d’envoyer un signal de reconnaissance, mais juste un signal. Pas question de dépasser la simple économie politique du signe, le symbolique dans son registre de l’obsolescence programmée.
Si le ministère voulait vraiment un bilan des programmes de 2008, il lui suffirait de reprendre le chantier ouvert en 2008 par bien des praticiens au lieu d’imposer une réunion de 3 h à expédier dans les 15 jours, comme si une urgence venait de se révéler! mais on se demande bien laquelle puisque Peillon au pouvoir depuis bientôt un an et demie n’a pas dit plus de 3 mots sur le sujet! plus exactement il a annoncé la création du CSP qui va réfléchir pendant deux ans! Trois heures d’un côté, deux ans de l’autre, en attendant (les prochaines injonctions de l’autorité!) on continue! Et surtout, on continue à promouvoir et étendre ce qui a été mis en place par les socialistes depuis les années 80, l’hégémonie désastreuse du paradigme de l’évaluation des compétences déterminant les curiculum et les parcours scolaires.
Peillon a beau dire dans les média ” les programmes de 2008 ne sont pas les bons”, il n’a pas fait un geste en direction des enseignants qui les contestent et ne les appliquent pas depuis 5 ans, alors que ça ne lui coûtait rien de les abroger! Pas un sou!
En 2008, quand Darcos a sorti son projet “décidé sur un coin de table de cuisine” (1)sa diffusion a rapidement soulevé un tollé général tellement ils étaient mauvais, ridiculement caricaturaux dans leur simplisme béhavioriste et remplis d’inepties( voir par ex les contributions d’Ouzoulias pour la langue et Brissiaud pour les maths), ne serait-ce qu’eu égard au travail éffectué pour rédiger les précédents programmes de 2002. D’où la réaction “consternée” du recteur Philippe Joutard(2), pour qui ce ne pouvait être qu’un “programme de com” fondé sur des “contrevérités”.
Les mouvements pédagogiques, les associations de didacticiens, des chercheurs, les syndicats ont abondamment argumenté sur les mille et une raisons de s’opposer à ces “programmes”, non pas rédigés par les concepteurs habituels – Inspection Générale, Conseil National des Programmes, chercheurs, enseignants- mais par un petit groupe obscur de conservateurs regroupés autour de Darcos. Parmi eux on trouve les noms de Bentolila (3) et Stanislas Dehaene, le cognitiviste qui réduit les singularités hétérogènes des enfants à l’universalité de structures cognitives qui définiraient l’élève normal.Et puis des réacs anti-pédagogistes notoires comme ceux de “Sauver les lettres”. Souvenons-nous, c’est leur leader Marc Lebris qui fut décoré par Darcos alors que, au même moment, les militants freinet étaient sanctionnés pour leurs opinions.
Pour Darcos, il s’agissait de mettre en oeuvre la “refondation” de l’école que Sarkozy annonçait dans sa “Lettre aux enseignants”. Concrètement, il s’agissait de revenir à un rôle minimaliste pour l’école, non seulement de réduire son budget mais sa fonction “d’instruction”, de sélection, d’assignation, de normalisation. Limiter l’école à un rôle de dotation minimale du stock de normes, de codes, de règles pour faire fonctionner de bons assujettis sociaux. Ce que traduisaient les deux slogans fétiches de Darcos, “retour aux fondamentaux” (4) et “revenir aux méthodes qui ont fait leurs preuves”. Ces deux “mots d’ordre” sont non seulement une stupidité conceptuellement, mais dans leurs effets ils ont été la raison majeure de “l’échec scolaire” massif et récurrent, ainsi que l’analyse Jean-Yves Rochex (5), et en second lieu, ce que souligne même le dernier rapport de l’IGEN (6): la transformation des enfants en élèves “éxécutants de consignes”. Ce qu’en allant un peu plus loin dans l’analyse, on peut qualifier
de fabrication d’enfants “empêchés de penser”, expropriés de leur propre capacité à apprendre! C’est ainsi que le formule Paul Le Bohec, militant freinet de 87 ans quand il rédige sa critique acérée des programmes de Darcos (7). A partir de quelques exemples sur la manière dont y est prescrit l’enseignement de la langue, phonologie, vocabulaire, conjugaison, il montre que ces programmes sont le fruit d’une ignorance du fonctionnement de la langue, véhiculant des schémas simplistes, mécaniques, erronnés, abstraits des contextes et usages réels, fondés sur cette croyance a priori que l’élément simple constitue l’unité de sens.
Que signifie l’idée du “retour aux fondamentaux”? Qu’est-ce qu’elle cache derrière ce qui se veut un simple bon sens? Pourquoi insister comme les programmes de 2008 sur “l’entrainement”, “les automatismes”, les procédures “mécaniques”? Alors qu’en même temps on a sous le nez le résultat désastreux d’une telle politique appliquée pendant 20 ans en Angleterre et aux USA! Le “Back to basis” ayant conduit à un tel appauvrissement d’une école réduite à la passation de tests ( puisque ce qui compte c’est de réussir aux évaluations), qu’il a fallu revenir en arrière, à des contenus plus variés denses, riches. Les stratégies des gouvernements, le nez sur les indicateurs, ont insisté pour resserer les programmes sur les standards des évaluations, les prétendus fondamentaux, alors qu’en même temps les élèves qui réussissent sont ceux qui ont les curriculum les plus riches. L’échec d’une telle politique est illustré par la volte face de la vice-ministre de l’éducation de G.Bush, Diane Ravitch, qui de promotrice de cette “réforme” en est devenue la plus grande critique, principalement sur son tryptique : fondamentaux+tests+mérite. ( voir son site : http://dianeravitch.com/)
La même réduction est à l’oeuvre dans les programmes de Darcos, focalisés sur l’évaluation permanente et omniprésente, à propos de laquelle il n’a pas eu peur d’écrire dans le préambule du projet la stupidité suivante:
“Cette évaluation régulière du niveau des élèves constituera non seulement un instrument de comparaison des effets des différentes pratiques pédagogiques mais aussi un outil de mesure incontestable des résultats de l’école.” ( phrase présente dans le projet et retirée par la suite!)
Ce qui n’était qu’un moyen réthorique d’affirmer la nécéssité impérieuse de l’évaluation comme moyen de contrôle des pratiques.
Et effectivement, ce qui prime et détermine les programmes réduits à des listes d’items, à l’enrobage des livrets de compétences, c’est l’évaluation comme “appareil de capture”(8), qui vise à normaliser, réduire, homogénéiser, comparer, classer, vérifier la soumission à son propre protocole, et ainsi occulter la diversité des manières de faire et d’être.
L’évaluation comme opération de réduction à un résultat attendu inverse le sens de l’apprentissage en le transformant en procédures réglées de production de résultats et induit la programmation des contenus en terme d’éléments mesurables, quantifiables, objectivables, individualisés, dont il ne s’agit plus que de vérifier l’existence. Et on arrive ainsi à l’épure d’un modèle instructionniste, impliquant une causalité inversée: pour arriver à tel résultat, il faut suivre tel enchainement, tel ordre, telle progression. Il faut faire acquérir méthodiquement un ensemble d’éléments disparates, des listes de compétences et connaissances, en suivant ce précepte qui domine l’école depuis Jules Ferry, que l’on va du simple au compliqué. Toutes les didactiques sont largement imprégnées de cette logique de la simplification, où ce qui est défini comme “élément simple” (la lettre, le mot, le son, une opération, une règle de grammaire, etc) est en fait du complexe épuré, réduit, abstrait, délié de ses dimensions relationnelles, découpé, séparé et autonomisé. Ce paradigme (9) confond, intentionnellement il faut le souligner, deux choses: le compliqué en tant qu’il peut être une entité qui se laisse décomposer en un ensemble de parties simples, et qui implique ainsi des relations de causalité, de détermination, et le complexe, comme agencement qui résulte de choix, d’enjeux, de stratégies, de relations situées contingentes, irréductibles à une somme prévisible d’éléments ou de fonctions. Dans son livre “Sciences et pouvoirs”, chapitre “démoraliser le pouvoir”, Isabelle Stengers expose clairement en quoi il ne s’agit pas d’un problème épistémique mais éminemment pratique et politique ” le mot d’ordre selon lequel “il faut commencer par le plus simple pour arriver au plus complexe” est un mot d’ordre du pouvoir car c’est le pouvoir qui a besoin, vitalement besoin, que ne soit pas mis en lumière ce qui pourrait faire obstacle à ses opérations…”
L’apprentissage est inversé, je disais, car l’expérience globale de celui qui se transforme par ses relations à un milieu perd son sens et sa dynamique pour devenir éxécution de tâches prédéfinies, d’exercices déconnectés. D’où cette idée perpétuellement réitérée par les formateurs, inspecteurs, contrôleurs du travail enseignant de “donner du sens aux apprentissages”, preuve qu’ils n’en ont aucun mais qu’il faut s’efforcer de le camoufler. Et pire encore, preuve de la confusion volontaire entre apprentissage et enseignement, entre le trajet de celui qui transmet et celui de l’enfant acteur-auteur d’une expérience qui n’appartient qu’à lui (10). C’est pourquoi l’idée de “méthode d’apprentissage” est une absurdité, chacun apprend différemment, dans le même contexte. Ce qui n’a pas de sens, c’est l’enseignement! l’apprentissage en a toujours un, même si c’est un rejet de l’enseignement vécu comme “insensé” par certains qui en sont l’objet.
Ce qui pose problème est bien le régime de la transmission qui domine les systèmes scolaires, et qui s’exprime crument dans le “béhaviorisme” des programmes darcos, ce qui est pensé et construit comme une relation de communication asymétrique entre deux pôles supposés sur le même plan d’homogénéité-continuité, l’émetteur et le récepteur, transfert entre deux niveaux hiérarchisés. L’enseignant explique, la tâche de l’élève est de comprendre. Le prof détient l’autorité du savoir, l’élève incarne le vide de l’ignorance. Comme si apprendre était une simple affaire “cognitive”, d’accumulation de connaissances et pas une transformation globale du sujet. Comme si la réception de “connaissances” pouvait se confondre avec les processus d’élaboration, transformation, interprétation, modification, contextualisation, territorialisation, singularisation qui caractérisent l’apprentissage.
Deleuze avait déjà souligné cette réduction opérée par le système scolaire défini par le régime de la transmission qui diffuse dans toute la société et défini le régime hégémonique du savoir ( comment définir la connaissance, qu’est-ce que savoir). L’école génère un modèle où savoir c’est répondre à une interrogation, c’est-à-dire le contraire de penser. Savoir, c’est donner la bonne réponse. Savoir, c’est reconnaitre, représenter, restituer. Le savoir est pensé comme Représentation (et non création située).

Je termine avec cette évocation plus générale du problème que pose Deleuze, fondamental à mon sens, qui ouvre sur la manière de définir le savoir , La Connaissance, La Science, sous forme d’une généralité universelle à destination des profanes, et non pas de les problématiser sous leur existence réelle de régimes de savoirs divergents et diversifiés.

Quand à envisager de manière positive ce qu’il pourrait en être des “contenus scolaires”, je trouve que
s’il faut en passer par des programmes, que ceux ci soient des outils repères dans une “éducation globale” et pas des prescriptions, à voir à la prochaine “consultation”.

Notes

1. Agacé par les critiques de son projet, c’est ce que Darcos a répondu à l’Assemblée Nationale
pour se défendre :”L’élaboration a été assez lente, avec l’inspection générale de l’enseignement primaire, des savants, des professeurs au collège de France, ces programmes n’ont pas été décidés sur un coin de table de cuisine”, formidable dénégation s’il en est!
2. son texte sur médiapart.
3. on peut lire une bonne critique de cet inspirateur médiocre de Darcos par Hubert Montagner
http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/pages/2008/programmes_montagner.aspx

4. Équivalence du “back to basis” en vogue chez Tatcher et dans l’amérique de Bush aux “charters schools” admirées par Darcos… sorte de réduction très utilitaire de l’école à la fourniture de compétences employables.
5. par ex: “Politique ZEP et démocratisation du système éducatif. ”
http://seminaire.samizdat.net/IMG/pdf/Jean-Yves_ROCHEX-2-2.pdf
6. Rapport – n° 2011-108 octobre 2011 : l’école maternelle
7. sur le site http://www.amisdefreinet.org/lebohec/ lire son texte “Empêcher… empêchés de penser.”
8. Voir dans ce gros ouvrage fondamental du 20 éme siècle “Mille plateaux” de Deleuze et Guattari
le chapitre du même nom.
9. Ce qu’Edgar Morin dénonce comme le “paradigme de la simplification” générateur de catastrophes!
10. Sur la signification de “qu’est-ce qu’apprendre?” et la différence entre transmission et apprentissage, on lira avec intérêt les nombreux travaux d’André Giordan, qui n’hésite pas à écrire: “Au cours de ces trente années, nous avons vu l’école régresser.” (http://www.pedagopsy.eu/giordan2.htm)

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