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Vingt ans après, les zapatistes sont toujours là !

Le 21 décembre 2012, l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) rompait plusieurs années d’un silence quasi absolu. Mais, ce jour-là – qui marquait la fin d’un calendrier et le début d’un nouveau –, l’extraordinaire marche de 40000 zapatistes – hommes, femmes et enfants – sur cinq des plus grandes villes de l’État du Chiapas ne faisait qu’annoncer une série de plusieurs initiatives qui allaient rouvrir le territoire zapatiste aux sociétés civiles nationale et internationale. Les trois premières se tinrent au mois d’août, sur plus d’une semaine : la fête des caracoles (9 et 10 août), la Petite École zapatiste (du 12 au 16 août) et la Chaire Juan Chávez Alonso (17 et 18 août). Retour sur ces premiers nouveaux pas de la résistance zapatiste.

Pas de lutte sans fête
Créés en 2003 pour coordonner les communes autonomes au sein des cinq zones du territoire zapatiste, les caracoles – qui abritent chacun un Conseil de bon gouvernement, élu et révocable – fêtaient cette année leurs dix ans. Pour l’occasion, chaque caracol organisait, en son sein, une fête, à laquelle toute personne le désirant était conviée. Je me rendais, pour ma part, à celui d’Oventik, dans la zone des Altos, sous une pluie violente qui mettait un terme à une « canicule » anormalement longue. L’anniversaire fut simple et chaleureux, ponctué par un tournoi de basketball et plusieurs matchs de volley et de foot (sports auxquels les zapatistes semblent définitivement redoutables).
Outre ces activités sportives, le vendredi soir, vers 20 heures, le Conseil de bon gouvernement du caracol prononçait un discours, attendu de beaucoup. Lu en castillan, tsotsil puis tseltal, il insistait surtout, avec humilité, sur les difficultés rencontrées ces dix dernières années par le projet d’autonomie. C’est que la création des caracoles, qui en sont pour l’heure la pierre d’angle, visait à répondre à un « défi » primordial, mais difficile : faire en sorte que l’autonomie dépasse le cadre de la commune en organisant et en coordonnant toute une zone. Malgré un petit manque de préparation avoué et, surtout, les incessantes attaques et pressions du gouvernement et des groupes paramilitaires à sa solde, il semble aujourd’hui indéniable que l’autonomie zapatiste a su non seulement se maintenir, mais également se renforcer. De l’éducation à la santé, en passant par la mise en place d’une démocratie radicale, un long chemin a été parcouru depuis le soulèvement armé du 1er janvier 1994, faisant du zapatisme le nouveau témoin des possibilités, bien réelles, d’un changement radical de société sans prise du pouvoir d’État.
Le discours prononcé, zapatistes et solidaires nationaux et internationaux ont ensuite pu se retrouver, pour un bal en musique, sur l’un des deux terrains de basket du caracol, transformé, pour l’occasion, en piste de danse. « Si je ne peux pas danser, je ne veux pas prendre part à votre révolution », disait, dit-on, l’anarchiste Emma Goldman ; pour sûr, les zapatistes sont, eux, tout à fait d’accord.

L’apprentissage d’une liberté
La fête terminée, fini les vacances, place à la Petite École zapatiste. Celle-ci débuta dès le dimanche 11 août, jour de l’enregistrement, avant le départ, dans l’après-midi, pour les caracoles. Il y avait quatre façons de recevoir les enseignements regroupés sous le nom de « La liberté selon les zapatistes » : se rendre dans une communauté zapatiste, rester à San Cristóbal de Las Casas et assister aux cours au Centre indigène de formation intégrale (Cideci), suivre les vidéoconférences ou recevoir, chez soi, les quatre manuels « scolaires » et les DVD. J’optais, pour ma part, et ce dès le mois d’avril lors de mon inscription, pour l’option « communauté », la plus à même de m’immerger dans la vie quotidienne des zapatistes.
Affecté à la zone du caracol de La Garrucha, baptisé « Résistance jusqu’à un nouveau lendemain », je fus accueilli dans une communauté du nom de Quéretaro, laquelle avait cette particularité (pas si rare) de compter à la fois des zapatistes et des priistes (inféodés au Parti révolutionnaire institutionnel, actuellement au pouvoir au Mexique, ennemi de l’EZLN). Chaque élève – il y en avait, en tout, 1900 (1700 dans les communautés, 200 au Cideci) ! – se voyait confié, pour la semaine entière, aux bons soins d’un votán, ou « gardien », un zapatiste chargé de le guider et de répondre à ses questions tout au long du séjour. Le mien s’appelait José Martinez, était âgé de 56 ans et avait une longue expérience dans l’EZLN, à laquelle il a adhéré en 1984 et avec laquelle il participa au soulèvement armé à Ocosingo (grande ville de la région) en 1994. C’est lui – et, dans une moindre mesure, les maestros et maestras qui, le temps de deux après-midis, donnèrent à tous les élèves réunis des cours « magistraux » dans le caracol – qui, pour cette première session de la petite école, fut mon professeur. Bien des thèmes furent abordés pendant cette semaine, au caracol ou dans la communauté, avec mon gardien ou avec les enseignants : la formation de l’EZLN, l’insurrection du 1er janvier 1994, les projets de contre-insurrection du gouvernement, le fonctionnement du gouvernement autonome (et de ses trois niveaux : communauté, commune et caracol), les travaux collectifs, le système d’éducation autonome, la condition féminine, la justice zapatiste, etc. Outre les enseignants, les élèves trouvaient également bien des choses à apprendre dans les quatre manuels distribués lors de l’inscription : Autogobierno I, Autogobierno II, Participación de las mujeres et Resistencia autonoma.
Mais la Petite École zapatiste, ce ne fut pas seulement des cours et des échanges sur l’histoire, la politique, l’économie, ce fut également des enseignements pratiques, liés au travail de la terre. Ainsi, à plusieurs reprises, je fus confronté au métier de paysan chiapanèque, mon votán m’amenant travailler toute une matinée, en son utile compagnie, sur une milpa de maïs, puis, le lendemain, sur un terrain récupéré pour des travaux collectifs (en partie consacrés à l’élevage de vaches et de chevaux). Il m’enseigna également quelques rudiments de cuisine : l’écossage des frijoles, la préparation des elotes, l’éviscération d’un cochon (que je me contentai de regarder).
Au final, la petite école fut bien vaste, dépassant largement le cadre de la salle de classe pour épouser l’ensemble de la digne vie quotidienne des paysans zapatistes. Si bien des choses nous furent enseignées, toutes – ou presque – rappelèrent l’importance, dans la construction de l’autonomie et de la liberté, du « nous », de la collectivité, du commun. Faire ensemble pour vivre ensemble, avec nos différences (excepté, bien sûr, celles qui excluent tout projet émancipateur), nos géographies et nos calendriers respectifs. Car, assurément, il n’a jamais été question, lors de cette petite école, de demander aux élèves de reproduire tel quel, dans leur pays, le projet révolutionnaire zapatiste – ce qui serait vain et idiot. Mais, si le zapatisme s’inscrit dans une réalité particulière (indigène, chiapanèque et mexicaine), il repose aussi sur des principes, des valeurs et des pratiques qui, elles, ont bien une portée universelle : le refus du pouvoir d’État, la recherche de l’égalité économique et sociale, la remise en question permanente, la patience, l’humilité – autant de garanties pour l’autonomie collective et individuelle.

Vers la renaissance du Congrès national indigène ?
Le samedi 17 août au petit matin, je quittais, avec les autres élèves de La Garrucha, le caracol pour repartir à San Cristóbal de Las Casas, au Cideci, où se tenait la Chaire Juan Chávez Alonso, initiative de l’EZLN censée redynamiser le Congrès national indigène (CNI), lequel donnait des signes de vie trop rares depuis quelques années. Cette initiative, qui devait clore plus d’une semaine d’ouverture du zapatisme au monde, s’étala sur deux grosses journées pendant lesquelles plusieurs centaines de délégués de peuples indiens en résistance vinrent raconter, à la tribune, les oppressions dont ils sont victimes et la façon dont ils s’organisent pour y faire face. Et le même constat s’impose à nouveau : du Chihuahua au Chiapas, du Yucatán à Oaxaca, des États-Unis à la Colombie, partout, les peuples indigènes subissent les politiques libérales qui n’en finissent plus de construire un monde toujours plus excluant, au seul bénéfice de ceux qui se sont accaparés les richesses. De cette rencontre riche en témoignages est ressortie une déclaration, laquelle insiste, notamment, sur la nécessité du soutien aux « luttes pour l’autonomie et la libre détermination de tous les peuples indigènes », en vue de la construction d’un autre monde, à la lumière des passés et des présents. Une belle façon, pleine de rage et d’espoir, de conclure ce séjour au sein du Mexique rebelle.

Guillaume Goutte

Pour prolonger ce texte en lectures et en actions, on peut consulter le site du Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte (www.csplc.ouvaton.org) : une semaine zapatiste est organisée à partir du 11 janvier.

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