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Une liberté intellectuelle sous tensions.

Officiellement, l’institution scolaire reconnaît une liberté intellectuelle au professeur de philosophie, mais celle-ci ne va pas sans poser des difficultés.

Liberté intellectuelle des enseignants et liberté intellectuelle des élèves.

La tension entre la liberté intellectuelle des enseignants et celle des élèves est une question qui n’est pas nouvelle.

Ainsi, si l’institution scolaire reconnaît la liberté pédagogique des enseignants, l’impératif de laïcité ne laisse de liberté philosophique dans le secondaire qu’aux enseignants de cette discipline. L’argument évoqué, c’est qu’un cours de philosophie ne pourrait être un bon cours si l’enseignant ne mettait pas en œuvre une orientation philosophique qui est la condition de possibilité d’une cohérence théorique et d’un effort de pensée problématisée.

Néanmoins, cette position ne va pas sans poser des difficultés comme le met en valeur Max Weber dans des textes publiés en français sous le titre De la liberté intellectuelle et de la dignité de la vocation universitaire. Weber défend la neutralité axiologique comme une exigence ethique de la fonction professorale : l’enseignant ne doit pas se servir de sa position pour devenir l’idéologue de ses étudiants.
Cette tension traverse le mouvement des enseignants syndicalistes révolutionnaire au début du XXe siècle comme le montre Gaetan Le Porho dans un mémoire très documenté qu’il a consacré à ce sujet. S’agit-il d’émanciper les élèves en leur faisant prendre conscience de la nécessité sociale d’un engagement syndicaliste et révolutionnaire ? Ne risque-t-on pas en agissant ainsi de délivrer un enseignement qui ne se distingue pas de l’endoctrinement religieux ou républicain ?

Liberté philosophique et « doxa » professoral de l’enseignement de la philosophie.

Un certain nombre de travaux sociologiques, comme ceux de Louis Pinto ou encore d’Hervé Boillot, ont mis en lumière les catégories de l’entendement professoral en philosophie et la doctrine dominante dans le secondaire qui constitue la doxa républicaine de cet enseignement.

De manière générale, les enseignants de philosophie du secondaire ont souvent été formés dans les classes préparatoires littéraires qui préparent au concours de l’Ecole normale supérieure. Les références philosophiques principalement recommandées et maîtrisées sont celles issues de la tradition idéaliste rationaliste – Platon, Descartes et Kant en particulier -, avec pour la période contemporaine une préférence pour la tradition phénoménologique – Husserl, Sartre, Merleau-Ponty ou encore Ricoeur par exemple. A l’inverse, d’autres traditions sont souvent connues superficiellement et voire même caricaturées : c’est le cas de l’empirisme, du matérialisme ou encore du pragmatisme.
De manière générale, l’enseignement de la philosophie dans le secondaire a assis idéologiquement la République française sur les fondements d’un rationalisme spiritualiste, d’une foi rationnelle dans les valeurs morales de la République.

Néanmoins, la difficulté pour un professeur qui dans son enseignement s’éloigne de cette doxa en valorisant d’autres positions et traditions philosophiques moins connues des professeurs du secondaire, c’est qu’il risque d’en faire patir ses élèves le jour de l’épreuve de baccalauréat. Il ne s’agit même pas de penser à une censure consciente d’un certain nombre de professeur de philosophie par rapport aux courants hétérodoxes dans la tradition française. Mais plus simplement ces thèses risquent de ne pas être comprises et d’apparaître comme absurdes.

L’explicitation de la « doxa » républicaine.

Comment est-il alors possible de trouver une solution dans la pratique à ces difficultés ?

La position que j’adopte pour ma part consiste à faire ce que j’appelle un cours républicain qui défend les thèses les plus admises par la doxa des professeurs de philosophie du secondaire : le cogito cartesien, la morale kantienne…. Je produit un cours qui reprend les grands moments les plus couramment utilisés par cette doxa.

Mais en même temps, il s’agit de la présenter comme ce qu’elle est, à savoir l’option dominante dans l’enseignement de la philosophie dans le secondaire en lien avec la construction de la République française.
Outre ce métadiscours sur l’idéologie républicaine, le cours inclus avant de terminer sur la doxa républicaine la critique qui est effectuée par celle-ci des principales « visions du monde » (Lefebvre) à laquelle elle s’oppose et qu’elle prétend en même temps réconciller dans une unité supérieure : l’utilitarisme économique d’une part et d’autre part le matérialisme marxiste.

Les élèves sont ainsi invités à réfléchir sur leur positionnement par rapport à ces trois visions du monde durant l’année et à prendre ou non une distance critique vis-à-vis de la « doxa » républicaine.

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