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Trop Classe ! V. Decker sur Mediapart

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Un article sur Mediapart à propos du livre de Véronique Decker

Véronique Decker, une directrice qu’on ne laisse pas partir

6 avr. 2016 Par Emile Lanoë Édition : Educateurs prioritaires

Véronique Decker est directrice de l’école Marie Curie à Bobigny. Son livre « Trop classe » retrace son parcours à travers le département de Seine-Saint-Denis qu’elle a sillonné contre vents et marées durant 30 années avant de jeter l’encre pour une longue escale, au pied de la cité Karl Marx, rue Emile Zola, 93000 Bobigny.

« Trop classe » c’est d’abord une expression enfantine, un compliment qui fait état d’une satisfaction souvent partagée par celles et ceux qui en sont témoins. C’est une expression qui peut par exemple émailler les retrouvailles parentales après un séjour en classe verte. Ce sera certainement le cas en cette fin de semaine lorsque Véronique reviendra du stage de voile de 4 jours à la base de loisirs de Champ sur Marne.

Rien que de très modeste: il s’agit d’une base nautique, propriété du conseil départemental de Seine Saint Denis où les activités et le logement sont gratuits pour les élèves. Le séjour leur coûte 30 euros. A ce prix là, il faudra préparer les repas soi même, collectivement et avec les élèves, bien sûr. Mais il faut en profiter selon Laurence Godard, la directrice de l’association qui gère le centre, car le département a semble t-il l’intention de lui couper les subventions au 31 août prochain (voir document en bas de page).

C’est certes moins « classe » que le ski, mais cela fait déjà plusieurs années que les séjours au sport d’hiver ont disparu des grands moments d’une scolarité à l’école Marie Curie. Les 200 euros qui étaient demandés aux parents, même étalés sur 10 mois, dépassaient le nouveau seuil maximal exigible par famille de 85 euros fixé par l’inspection pour tout voyage scolaire. La baisse des subventions aux collectivités et leurs conséquences au niveau municipal ont fait le reste. Depuis, plus de ski à Marie Curie.

Pourtant, découvrir d’autres territoires que ceux d’une école plantée au pied d’immeubles en pleine rénovation urbaine, c’est s’éloigner pour un temps d’un environnement aux horizons justement trop limités. C’est aussi, très concrètement, échapper pour un temps au bruit et à la poussière de deux tours de la cité, les plus proches de l’école, actuellement en cours de démolition. 100 000 tonnes de gravats passés à la concasseuse accompagnent le quotidien des enfants de l’école et de leurs enseignants depuis l’année dernière et encore pour un an.

Véronique Decker parle des voyages au ski avec une nostalgie évidente. Ils sont à l’image de son livre et de sa longue carrière, une alternance de coups durs et de « moments champagnes », parfois inextricablement liés. Comme par exemple lors de ce séjour au ski où dès la montée dans le train menant aux stations, les passagers lançaient, par leur seul regard, d’instantanées « réassignation à résidence ». Puis à la fin du séjour, le moniteur de ski, littéralement enthousiasmé par le groupe d’élèves qu’il avait pris en charge toute une semaine, avoua qu’avant leur arrivée et à la lecture des noms des élèves, personne n’avait voulu prendre en charge la classe.

Trop lasse

Car « trop classe » c’est aussi l’expression d’un raz le bol. « Exceptionnellement, le message le plus informatif est dans cette fatigue et cette colère » dit Luc Cédelle de Véronique Décker. Ces deux sentiments cohabitent souvent avec un autre, bien connu des enseignants chevronnés, celui d’un trop plein qui rime souvent avec mutation. Véronique Decker a fait le choix de la demander, pour la Corrèze. Elle s’applique à elle-même ce qu’elle a toujours cherché à faire partager aux élèves : l’appétence pour les autres territoires, ceux qui seront perdus si on n’apprend pas tôt à les connaître. Les classes transplantées font comprendre à tous les enfants qu’ils sont membres d’un ensemble vaste, plus vaste assurément que celui dessiné par les seuls grands ensembles. C’est pour elle une responsabilité essentielle qui devrait être une priorité pour les pouvoirs publics.

Déclassement

Dans le même temps, l’État et ses fonctionnaires devraient avoir les moyens suffisants « pour faire gagner du terrain à tous et surtout ne perdre personne en chemin ». Or, elle ne fait que constater jour après jour que « le progrès social s’est mis à reculer ». Dans son livre, Véronique Decker est très critique vis à vis des politiques mises en œuvre depuis des années au sein de l’éducation nationale en général, prioritaire en particulier. Elle considère les promesses de donner plus à ceux qui ont moins comme « fallacieuses ». “On a acheté la paix sociale”, seuls les enseignants ont obtenu une augmentation de leur prime dit-elle (voir ici), les enfants eux, n’ont pas vu la couleur des belles annonces ministérielles. A l’appui de ses dires, elle pose un constat simple : 10 ans en arrière son école bénéficiait:

D’un poste de rased (enseignant spécialisé pour le suivi des élèves en difficultés)

D’une psychologue scolaire à mi temps,

Un demi-poste d’enseignant G ( réeducation plutôt psychologique)

Un poste et demi d’enseignant E (rééducation plutôt pédagogique)

Aujourd’hui, il ne reste plus qu’un enseignant E à tiers temps et une psychologue scolaire à quart temps pour épauler l’équipe enseignante. Certes, grâce à la réforme de l’éducation prioritaire, l’école devrait bénéficier d’un enseignant supplémentaire l’année prochaine mais celui-ci, qui interviendra dans le cadre du plan “plus de maitres que de classes”, sera un enseignant sans formation spécifique et surtout ne comblera pas à lui seul les coupes drastiques des années Sarkozy.

Véronique Decker a fait le choix de ne pas parler de religion dans son livre. Elle est « fatiguée que celle-ci soit systématiquement présentée comme le problème numéro 1 des banlieues ». « Le vrai problème, c’est dans les ghettos de riches » et l’entre-soi bourgeois qu’elle le situe. Souhaité, défendu et entretenu bec et ongles par les plus privilégiés. Elle cite, pour preuve, le récent « combat » des riverains du bois de Boulogne contre la construction d’un centre d’hébergement d’urgence. Elle y voit le symbole du déséquilibre de notre société et la cause véritable de l’hyper concentration des difficultés dans les quartiers du bord opposé. Elle rappelle qu’au Raincy, petit-Neuilly de Seine-Saint-Denis, un ancien maire avait fait son beurre électoral sur la promesse tacite de désobéir à la loi SRU, qui oblige les communes à construire au moins 25% de logements sociaux. Elle n’accepte pas qu’on se contente de faire payer des amendes aux communes et préconise de rendre inéligibles les élus qui s’adonnent à cette pratique.

Irremplaçable

Comme un symbole, la demande de mutation de Véronique Decker n’a pas aboutie. Ça l’a « soufflée sur le coup ». Un peu comme ses élèves et leur famille, elle est assignée à résidence et devra rester au moins une année de plus. S’il est difficile pour un enseignant de quitter la Seine-Saint-Denis sans éprouver un sentiment de « désertion », c’est aussi techniquement compliqué. Le département a enregistré 330 demandes de sorties pour 1 demande d’entrée (voir ici), et seulement 6,3% des demandes sont satisfaites (voir ici). Une des conséquences visible pour tous de ce manque d’attractivité est le problème chronique du non remplacement des enseignants dans ce département (voir ici) et le recours systématique à des contractuels précaires ou aux jeunes enseignants stagiaires. De nombreux parents se mobilisent d’ailleurs actuellement pour obtenir que ce scandale cesse et proposent même de signaler en ligne les absences non remplaçées (voir ici).

Véronique Decker, dans son livre, fait finalement le choix de ne pas surjouer la colère, elle dépose juste sous nos yeux le constat d’une situation qui se dégrade, irrémédiablement. Elle avoue que lorsqu’elle écrit « [s]a production gagne sans doute en lisibilité ce qu’elle perd parfois en colère ». Mais elle garde malgré tout le sourire et se réjouit du succès rencontré par son livre, elle qui le destinait essentiellement à ses proches et aux collègues du 93. Et si dans les jours qui viennent vous passez “la Nuit Debout” à République, vous trouvez son livre en bonne place.

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Vous trouverez toutes les informations à propos de ce livre ainsi que les dates et lieux de sa présentation par l’auteur sur le site des éditions Libertalia .

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