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Tribune : “A Saint-Denis, la violence de l’inégalité”

Tribune publiée dans le journal Libération :

Un collectif de parents d’élèves et d’enseignants demande des réformes et des moyens décents pour les établissements scolaires de la ville. Le délitement des services publics dans le département le plus pauvre de France est la première cause du climat qui y règne.

Tribune. Le 22 février, un professeur est roué de coups à l’entrée du collège de la Courtille à Saint-Denis. Le 12 mars, quinze individus s’introduisent dans le lycée Paul-Eluard armés de marteaux et de battes de base-ball : un élève est agressé, tout l’établissement est confiné. Le 12 avril, une enseignante du collège Elsa-Triolet est visée à bout portant par un individu avec un pistolet à billes en classe. Le 15 mai, des enfants du groupe scolaire Victor-Hugo sont confinés sous les tables pendant près d’une heure alors que des individus liés au trafic de drogue se sont introduits dans l’établissement.

Cette violence est insupportable et nous la dénonçons. C’est celle que vivent nos élèves, nos enfants, et nous-mêmes parents, enseignants et enseignantes, car l’école n’est plus ici un sanctuaire. Mais qui s’en soucie ? Cette violence est surtout celle qui attire des médias en quête de sensationnalisme, des politiques jamais avares en grandes déclarations et plus largement, une élite soucieuse de confirmer ses préjugés sur les quartiers populaires, sur nos jeunes, sur la Seine-Saint-Denis.

Cette violence n’est en effet que la conséquence d’une autre. Une violence beaucoup plus profonde et sourde, car plus ordinaire. Celle du mépris envers une population, un territoire, qui flirte parfois avec le racisme et les pires préjugés. Cette violence, nos élèves, nos enfants, nos jeunes, se la prennent quotidiennement en pleine face, dans la rue, lors de contrôles au faciès plus ou moins musclés, en sortie scolaire lorsqu’ils sont montrés du doigt, dans le monde professionnel lorsqu’ils ne trouvent pas de stage.

Or cette violence, ils la subissent également à l’école, dans l’école dite de la «République», une école dans laquelle on arrête des dispositifs comme «devoirs faits» en plein milieu d’année faute de moyens, une école dans laquelle, contrairement au reste de la France, les CE1 de REP ne seront pas dédoublés en septembre prochain, une école dans laquelle on trouve les taux les plus importants de professeurs contractuels, peu formés ou peu expérimentés, une école dans laquelle les lycées ne font plus partie de l’éducation prioritaire.

Et que l’on n’aille pas nous dire que l’Etat arrose les quartiers populaires de millions d’euros depuis des années. Mensonge ! Comme le rappelle un rapport parlementaire de mai 2018, notre département est sous-doté en services publics par rapport au reste de la France, des services publics «en sous-effectifs injustifiables». Et des conséquences simples : «Le moins bien doté des établissements parisiens est mieux doté que le plus doté des établissements de la Seine-Saint-Denis.»

Alors non, il n’y a pas de fatalité. Ce sont des inégalités qui se creusent, des injustices sans fin et des services publics (école, hôpitaux, justice, collectivités territoriales…) en délitement qui sont à l’origine d’un tel climat de violence, dans le département le plus pauvre de France.

Face à ces inégalités intolérables, que propose le ministre de l’Education nationale Jean-Michel Blanquer? La réponse est simple: rien! Une absence de réponse sociale confirmée par des sociologues spécialistes de ces questions. Comble de l’ironie et du mépris, la devise «liberté, égalité, fraternité» devra pourtant être affichée dans chaque salle de classe à la prochaine rentrée.

Pire. Les réformes Blanquer vont surtout renforcer ces inégalités : suppression du baccalauréat national au profit d’un bac à 40% local donc estampillé «93», augmentation du nombre d’élèves par classe jusqu’à 35 grâce à la suppression des filières générales au lycée, recul des dispositifs d’inclusion comme dans le cas des AESH (Accompagnant.e.s des Elèves en Situation de Handicap) mutualisés au détriment du suivi individuel des élèves, recours accru à des enseignant.es non formés (contractuels et étudiants en formation). Enfin, la mesure peut-être la plus révélatrice de l’esprit de la loi Blanquer est la création des EPLEI (Etablissements publics locaux d’enseignement international), des établissements qui ne recruteront que des élèves bilingues donc socialement triés, avec la possibilité de financements privés, inscrivant dans le marbre le principe d’une école à deux vitesses.

Ces réformes ne visent donc clairement pas l’intérêt des élèves mais trois objectifs beaucoup plus cyniques :

• L’ouverture toujours plus importante du secteur de l’éducation au marché privé. Au même moment où Blanquer casse les Centres d’information et d’orientation (CIO), il propose 5 millions d’euros à des entreprises et associations chargées de construire des formations en ligne à l’orientation.

• Les économies budgétaires. Le gouvernement se targue de créer 1 900 postes dans le premier degré quand 2 600 postes sont supprimés au même moment dans les collèges et lycées alors qu’une hausse du nombre d’élèves dans le secondaire est prévue dès la rentrée 2019.

• La mise au pas des enseignant·es avec l’inscription d’un devoir «d’exemplarité» (article 1 du projet de loi «pour une école de la confiance») dont les signes se font déjà sentir avec la multiplication des pressions hiérarchiques, des sanctions, et l’intensification de la répression politique.

Par conséquent, nous, collectif des parents-profs en lutte de Saint-Denis, revendiquons :

• Un plan d’urgence pour les services publics de Seine-Saint-Denis.

• Le retrait de la réforme du lycée, du projet de loi pour une école de la confiance, et de la réforme de la fonction publique.

• Les moyens humains, matériels et financiers nécessaires pour permettre à notre école un fonctionnement normal comme partout ailleurs en France.

• Une revalorisation des métiers de l’éducation, une reconnaissance et une réelle confiance de l’institution dans les équipes éducatives.

• L’arrêt des sanctions et des poursuites contre les enseignants et enseignantes mobilisé·es et la fin de la répression politique contre tous les mouvements sociaux.

Nous, collectif des parents-profs en lutte de Saint-Denis, irons jusqu’au bout pour défendre l’avenir de nos enfants et de nos élèves.

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