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« Transmission du savoir »: chronique “Nos mots et les leurs”, Alain Chevarin

On transmet un patrimoine, des valeurs, un pouvoir, c’est-à-dire quelque chose d’intact (au sens étymologique de « non touché »). On peut transmettre un message, une lettre, un ordre, c’est-à-dire quelque chose qu’on n’a, en principe, pas modifié. De même pour un ballon dans un match de football, un mouvement dans un système mécanique simple.
On ne transmet pas des savoirs, encore moins « le » savoir : le savoir acquis n’est jamais exactement le même que celui qui a été professé. L’élève aura des savoirs différents de ceux du maître ou de la maîtresse, ils seront plus ou moins approfondis, plus ou moins développés, plus étendus ou plus spécialisés, mais toujours différents. Autrement dit, ces savoirs n’ont pas été transmis à l’élève mais acquis et appropriés par l’élève, ils sont devenus des connaissances, ses connaissances, différentes de celles du/de la professeur mais aussi de celles de ses camarades : deux élèves qui ont suivi le même enseignement n’en retirent pas les mêmes connaissances, ils/elles ne se sont pas approprié le même savoir.
On objectera que « 2 et 2 font 4 » est bien un savoir transmis, et qu’il est impossible de le transformer. C’est évidemment une simplification abusive : le « 2 et 2 font 4 » de l’élève de maternelle, de l’élève de 6e, de l’élève de terminale S, celui du/de la professeur de mathématiques et celui du/de la mathématicien-ne sont très différents.
Il en va d’ailleurs de même des savoir-faire comme le trop fameux « savoir lire » : ma lecture n’est pas celle de mon voisin, et ma lecture d’un poème n’est pas la même que ma lecture du sommaire d’une revue scientifique.
L’école publique de la Troisième République a cherché, dans une optique nationaliste de conformation des esprits, à privilégier des savoirs considérés comme transmissibles : ce sont les listes de mots, les listes de départements et de leurs préfectures, les « règles » de grammaire, les tables de multiplication et le « soldat Séféro ».
On part alors de l’idée que l’enfant, comme le « sauvage », a une tête vide qu’il faut remplir, en y déversant des savoirs (ce que j’appelle ailleurs* « le modèle de l’entonnoir »). Et la vérification de la qualité de la réception se fait par la restitution « par cœur », une restitution fidèle passant pour le signe d’une possession du savoir transmis.
Ce terme de « par cœur » (et non « par raison » !) est d’ailleurs à lui seul significatif…
Réclamer aujourd’hui de « remettre au cœur de l’école la transmission du savoir », c’est réclamer un retour à un passé mythifié et récuser des décennies de recherches en didactique.

Alain Chevarin

* : Alain Chevarin, Former sans déformer ni conformer, L’Harmattan, 2013.

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