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Surdoué-es, le retour

Pendant plusieurs décennies du vingtième siècle, pour désigner des élèves manifestant des capacités au-dessus de la moyenne, on parlait d’élèves « surdoué-es ». Le terme, créé dans les années 1930 mais réservé d’abord au domaine sportif, est généralisé à partir de 1970 pour les enfants dont les résultats atteignent 125 ou 130 points aux tests de QI, le Wisc (Wechsler Intelligence Scale for Children) en particulier.[1]

Mais le terme de « surdoué » renvoyait à cette idéologie des « dons » pétrie d’innéisme et de hiérarchisation, mise en avant par la droite la plus conservatrice, que Bourdieu et Passeron [2], entre autres, dénonçaient comme « reposant avant tout sur la cécité aux inégalités sociales devant l’École et la culture ». On a donc cherché d’autres termes moins connotés.

En 2002, l’inspecteur d’académie Delaubier publie, à la demande du ministre Jack Lang, un rapport remarqué sur « la scolarisation des élèves “ intellectuellement précoces ” », dans lequel il s’efforce de répondre à la question : « Quel nom donner à cette population ? ». Il examine de manière critique plusieurs dénominations : « le terme “ surdoué ” renvoie à la notion de “ don ”, très contestable et non scientifique. L’expression “enfant ou adolescent à haut potentiel intellectuel ”, utilisée par certaines associations, ne peut que soulever des débats et favoriser une appréciation déterministe et inégalitaire de la réussite scolaire. “Intellectuellement précoce ” serait peut-être la moins mauvaise appellation, mais elle laisse supposer que l’on s’accorde sur le fait que les niveaux d’aptitude correspondant à un quotient intellectuel élevé résultent d’une avance dans un développement linéaire. », avant de conclure : « Nous ne pouvons donc que formuler trois propositions :
1° éviter les termes “ surdoués ” et “ haut potentiel ” afin de prévenir les polémiques et les débats sur l’inné et l’acquis, ou sur l’égalité des chances ;
2° accepter provisoirement l’expression “enfant intellectuellement précoce ” qui, bien que contestable, en particulier pour qualifier des collégiens ou des lycéens, paraît la moins chargée d’a priori idéologique : par défaut, nous utiliserons cette expression dans la suite de ce rapport ;
3° poursuivre la réflexion pour choisir une expression susceptible de traduire, d’une manière objective et ouverte, la situation d’un “ élève manifestant des aptitudes particulières ”, qu’il s’agisse ou non d’aptitudes identifiées par le quotient intellectuel.
»

Les ministères suivants, pourtant sous un gouvernement de droite, suivront ces recommandations et c’est l’expression « élèves intellectuellement précoces » qui sera utilisée à partir de 2005 dans les textes officiels (loi n° 2005-380 du 23 avril 2005 d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école, circulaire n°2007-158 du 17-10-2007, guide « Élèves intellectuellement précoces – Guide d’aide à la conception de modules de formation » de 2009, etc.) et qui se répandra dans la population.

Institutionnellement, les enfants « intellectuellement précoces » sont alors généralement inclus dans les « élèves à besoins éducatifs particuliers » ; ainsi l’Onisep [3] précise, en décembre 2018 encore, que « Les besoins éducatifs particuliers concernent des élèves en situation de handicap, malades, intellectuellement précoces, nouvellement arrivés en France, en milieu carcéral… », ce qui renforce l’idée de particularités (« particuliers ») et non de hiérarchisation (à la différence de « surdoués » ou « haut potentiel »).

Certains manifestement ne s’en accommodaient pas.

Sans même attendre l’adoption de la loi sur « l’école de la confiance », le ministère Blanquer vient de remplacer le guide « Scolariser les élèves intellectuellement précoces » par un vade-mecum intitulé « Scolariser un élève à haut potentiel ». Finis les « élèves intellectuellement précoces », revoici « l’élève (on notera le singulier) à haut potentiel », abrévié en EHP et plus conforme assurément à la logique des « premiers de cordée »…

D’autres critiques peuvent être faites à ce vade-mecum, simplificateur et plus prescriptif par rapport au guide précédent. Mais les mots ne sont jamais neutres, et l’essentiel est bien dans ce choix d’une dénomination « déterministe et inégalitaire », pour reprendre les mots du rapport Delaubier, choix qui traduit le retour en force d’une idéologie détestable.

Notes
[1] Il faudrait évidemment traiter des limites, voire des dangers, des tests psychométriques, mais ce n’est pas mon sujet ici.
[2](Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, Les Héritiers. Les étudiants et la culture, Paris, Éditions de Minuit, 1964, p. 108).
[3] Mais non, par exemple, l’Institut des hautes études de l’éducation et de la formation (IH2EF, ex-ESENESR), chargé de la formation des personnels de direction et d’inspection.

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