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Social, un singulier pluriel

C’est souvent revenu dans nos « billets » (cf. notamment le billet du 19 janvier de Bernard Collot) : le mot social peut prendre tant de significations différentes qu’on peut s’y perdre. Il faut donc s’en expliquer :

– d’une part il y a ceux qui mettent l’accent sur le lien social, qui fonde l’être humain ; en pédagogie, cela fait longtemps que l’on dit que l’on apprend seul avec les autres, que le groupe-classe n’est pas une collection d’individus mais une entité vivante, avec sa vie interne qui relève parfois de l’inconscient : le constructivisme, la pédagogie Freinet et la pédagogie institutionnelle qui en est issue travaillent ce domaine ; hors l’école, la multiplication des études sur l’empathie, le care, le bien-être, la communication non-violente (avec parfois des retombées scolaires) va plus loin que le simple effet de mode : l’idée que l’homme ne détruit pas seulement les autres espèces mais s’entre-détruit physiquement, et, au quotidien des pays riches, ne sait pas « vivre en bon voisin » (Michaux) mérite une pédagogie !

Le caractère massif du bénévolat (16 millions de personnes en France) et cette entraide au quotidien qu’on voit partout -même si son contraire d’agressivité existe aussi – sont là pour dire l’importance de ce « faire société ».

– l’éducation populaire a parfois hérité de l’appellation « pédagogie sociale » : aux Etats-Unis, en Allemagne, des éducateurs ont voulu que le temps de la jeunesse soit éducation globale ; à l’inverse du temps découpé en scolaire / pré-scolaire / extra-scolaire (pour prendre des termes français) ils ont voulu un temps global où la vie de groupe régulée mais sans ordre militaire et le lien avec la nature permettent à chacun de se construire. Cette riche inspiration a subi des aventures multiples : en Allemagne à la fois interdite et confisquée par les nazis, en France réservée aux enfants aisés et la plupart du temps confessionnelle (scoutisme), elle n’a pas su se développer dans les milieux populaires, et ce de moins en moins.

Il en est resté les centres de loisirs ou de vacances, la jeunesse au plein air, des milliers d’organismes, d’associations, d’animateurs, d’éducateurs spécialisés et une forêt de diplômes… de grosses machines au sein desquelles il peut, comme à l’école, se trouver des pépites émancipatrices… ou pas; beaucoup d’enfants et de familles, en délicatesse avec les horaires et les formulaires administratifs, restent à l’écart. En dehors de ce visage institutionnel, si souvent privé d’allant car de désir, il y a des tentatives d’échelle réduite mais vivantes : bibliothèques de rue d’ATD Quart-Monde, jardins et ateliers d’Intermèdes, quelques autres tentatives dans le reste de la France, la liste n’est pas si longue mais elle s’étoffe et rejoint la volonté d’éducation globale citée plus haut : c’est la pédagogie sociale pratiquée bien avant d’être récemment dépeinte (voir le numéro 33 de N’Autre école qui y est consacré);

– dans une acception courante, et correspondant à l’engagement de beaucoup d’entre nous, le social, c’est le parti pris en faveur de ceux qui ont moins : Etat social pour les uns, avec cette montagne d’institutions qui enrage les coupeurs de budgets, et qui permet que nos villes n’aient pas la figure de Manchester 1830 ou de Calcutta 2013 ; en pour l’école, c’est l’éducation prioritaire, dès les années 60 au Royaume-Uni, depuis 1981 en France. Plus largement, c’est le travail social qui va des assistants sociaux aux éducateurs spécialisés, en passent par des dizaines de statuts et des milliers d’organismes.

Cette « main gauche de l’Etat », heureusement qu’elle existe, mais heureusement aussi qu’à l’extérieur et à l’extérieur elle soit aiguillonnée, contestée, stimulée pour qu’elle n’oublie pas les valeurs qui l’ont fait naître et qui disparaissent souvent dans la routine.

– les luttes sociales sont le dernier volet de cette polysémie : indispensable effort de survie, affirmation de la dignité humaine, elle a permis des avancées humaines contre « ceux qui sont au ras de l’homme et le couvre d’ordures » (Eluard) : le droit de se soigner, de ne pas mourir au travail. Ce combat s’est transféré dans les pays-ateliers où vivent et luttent des millions de prolétaires.

Certes dans nos pays les combats sociaux peuvent apparaître comme des combats d’arrière-garde ou sont parfois la défense de situations relativement privilégiées, ils restent cependant d’actualité car la pénibilité au travail, le manque de logements, les discriminations sont toujours là et requièrent nos énergies. Sous d’autres formes sans doute que les militances classiques, bien usées, mais plutôt dans une vision globale où l’entraide et l’éducation auraient leur place : les auberges de jeunesse ne sont-elles pas liées aux grèves de mai-juin 36 ?

Le langage, fait social par essence, est à la fois multiplicité et échange ; avec les mots, qui sont brume et cristal , et précisément avec ce mot social, nous disons notre volonté quotidienne d’égalité sociale. Et nous la redirons sur ce site, liée à notre exigence de travailler sur les mots : justesse et justice vont de pair.

Jean-Pierre Fournier

3 Comments

  1. Fabienne

    Social, un singulier pluriel
    16 millions de personnes dans le bénévolat ? Des emplois possibles qu’il faut de toute urgence remettre dans la circulation du marché. Je ne comprends pas le sens de votre phrase (cette entraide au quotidien qu’on voit partout -même si son contraire d’agressivité existe aussi …) ??? Le contraire du bénévolat : le travail rémunéré dont on oublie qu’il est inscrit dans la déclaration des droits de l’homme. Il faut défendre les droits fondamentaux, économiques et sociaux, pour échapper justement à la sollicitude et à la charité. Toute célébration de l’entraide et de la solidarité m’est suspecte. Ne voit-on pas une classe sociale et professionnelle vivre adossée au recul des droits et à la misère ?

  2. Jean-Pierre Fournier

    Social, un singulier pluriel
    La solidarité suspecte ? N’était-elle pas à la base aussi de la conquête des droits ?

    Je ne suis pas bénévole, mais plutôt “militant solidaire” – seulement, souvent, la frontière est bien mince : quand je donne une adresse des “Restos du coeur” à une mère sans-papiers, ou l’adresse d’une association pour que quelqu’un obtienne l’AME, où est-ce que je me situe ?

    Ce qui ne signifie pas que la charité en général soit une solution… l’abstention non plus d’ailleurs.

    Permettez-moi d’autre part de penser que le “il faut de toute urgence”, aussi légitime soit-il sur le plan du raisonnement, reste une affirmation sans conséquence.

    Essayons, dans la modestie de nos efforts, de conjuguer les solidarités, bénévoles, militantes, sociales, politiques… Manifester localement pour le droit au logement, enrayer une tentative d’expulsion par une présence répétée sur les lieux, aider à des démarches (rédiger une lettre, accompagner en mairie) : tout cela est-il vraiment contradictoire ?

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