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Séparation versus ségrégation

Séparation versus ségrégation
Les KroniKs Robinson

Réapprendre à séparer, le projet pourrait paraître scandaleux à l’heure de la fragmentation des liens sociaux, de l’isolement et de la précarité imposée à de plus en plus nombreux groupes et individus.

Mais pour autant comment pourrai-on seulement comprendre ce qui nous arrive, ce qui s’opère et ce qui dessine sous nos yeux sans capacité à séparer les choses?

L’indifférence aux différences qui est en passe de devenir une idéologie obligée, quasiment d’état, n’est en rien un refus des injustices, des relégations et des discriminations.

C’est au contraire au nom de la « non séparation » que l’on refuse de voir et reconnaître la nature et la direction spécifique des violences économiques, sociales, administratives, institutionnelles et politiques.

En refusant de voir les différences, en se refusant à considérer les identités culturelles , sociales, économiques, en elles mêmes, nous nous condamnons à rester indifférents aux inégalités de plus en plus criantes; nous nous enlevons à nous mêmes toute arme intellectuelle pour nous indigner ou nous révolter.

Nous préfèrerons culpabiliser et punir les victimes des discriminations et injustices galopantes qu’ils subissent , au nom justement de cette non volonté de « séparer », de ce tous pareil.

Ceux qui travaillent au plus près de la précarité avec une véritable pédagogie rencontrent souvent de la part de collectivités ou de certains professionnels des accusations qui les sidèrent: tel nous reproche d’accueillir ensemble des pauvres et des précaires, certains nous reprochent le travail culturel et interculturel en nous accusant de constituer d’improbables ghettos.

Le plus atterrant est atteint quand ce sont des professionnels eux mêmes qui viennent nous reprocher notre capacité à travailler avec les publics les plus prioritaires et les plus difficiles d’accès, que eux mêmes ne rencontrent plus, au nom d’une idéologie du « tous pareils », aussi creuse que de bon aloi.

Ainsi ce ne seraient plus les institutions et collectivités coûteuses incapables de travailler avec les groupes et les publics qui auraient le plus besoin d’elles qui sont en tort. Et ce sont ceux qui sont le moins dotés en ressources, qui, en plus de prendre en charge les modes d’intervention les plus difficiles, devraient recevoir des leçons de morale.

Le refus de reconnaître les oppressions, les dominations, les injustices et les discriminations et en particulier le fait qu’elles n’ont rien ni d’individuel , ni d’accidentel, alimente dans la réalité la fabrication de ghettos et d’apartheid.

C’est au nom de l’égalitarisme, de l’égalité des chances, et même parfois de la discrimination positive, qu’on laisse se constituer et se construire la ségrégation de masse pour la jeunesse et l’enfance. Le refus de reconnaître les différences, le refus d’un travail social éducatif, de groupe , communautaire, aboutit dans les faits à la stratification de la société, à la rupture du lien sociétal, et à la violence généralisée.

Célestin Freinet réclamait pour l’enfant de milieu populaire , le droit de s’éduquer au sein de son propre groupe social et d’accéder à la culture de son milieu; il entendait par là qu’il est nécessaire de se connaître soi même et collectivement pour rentrer dans la vie sociale.

A Intermèdes Robinson, nous avons une pédagogie qui s’appuie sur le nécessaire apprentissage de soi et d’un nous collectif. Chacun a à apprendre qui il est et d’où il vient, et le comprendre avec d’autres. Et pour cela il est indispensable de vivre des expériences éducatives avec ses pairs, en relation avec les autres.

Ainsi est notre pédagogie communautaire, intergénérationnelle et interculturelle.

Elle n’exclut pas mais se base au contraire sur un travail de conscience et de connaissance de sa condition et de son histoire. Puis cette pédagogie se porte alors vers des échanges, des rencontres improbables et nécessaires et elle incite à créer un nouvelle histoire, un nouveau collectif, une culture nouvelle, mais jamais en tournant le dos à ses origines.

C’est la voie exacte de l’émancipation: être soi, se libérer de ses entraves et aller vers du neuf. Nous avons appelé ce mouvement progressif qui part d’abord de soi, explore en priorité son propre milieu avant d’aller vers l’extérieur, « la spirale de l’escargot » (le « caracol » en castillan).

La Pédagogie sociale apprend ainsi à séparer les choses, à les comprendre, à les analyser, à s’engager, y compris en les opposant. Sans la capacité de distinguer les choses, les gens et les phénomènes, on reste sans défense par rapport aux idées reçues, aux idéologies dominantes.

Il faut apprendre à séparer, à regrouper, pour lutter contre la ségrégation; car celui qui est relégué, précarisé, exclu est avant tout coupé de lui même et de toute possibilité de participation sociale.

Quiconque vient à notre association ne peut qu’être saisi par l’extraordinaire richesse et diversité des cultures et différences qui s’y expriment. Mais les mêmes sont saisi également, par la force du lien qui nous réunit tous ensemble. Cela n’a pas été créé en priant les gens de se renier, de s’insérer, de s’inclure ou de devenir neutres, mais au contraire en les encourageant dans tous les domaines de leur vie à être encore et toujours plus eux-mêmes.

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