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SNU : les habits neufs de l’embrigadement

Jeudi 18 avril, Gabriel Attal, Secrétaire d’État à l’Éducation, a présenté l’uniforme prévu pour vêtir la première cohorte du Service National Universel (SNU). Une belle opération de com’ censée faire passer la pilule de cette coûteuse entreprise d’embrigadement de la jeunesse.
Pour rappel, la phase pilote du SNU aura lieu du 16 au 28 juin en internat. Elle se prolongera par deux semaines de missions d’intérêt général durant l’année avant d’envisager une généralisation aux plus de 16 ans d’ici 2022-2023.

C’est bleu, c’est moche, et ça ne sauve pas de vies…

Si nous n’avons pas eu l’honneur de profiter des services du regretté Karl Lagerfeld pour designer ces belles « tenues communes », on sera tout de même enjoué-e-s d’apprendre, via la campagne de communication relayée par certains médias, que l’uniforme national a tout de même été conçu par des élèves d’un lycée de Tourcoing (coucou Darmanin) et sélectionné par un jury auquel appartenait le créateur français Simon Porte Jacquemus. On peut dire qu’on a mis les petits plats dans les grands sur ce coup et ça risque de jalouser dans les rangs des polices municipales.

Cet uniforme “très confortable, […] très beau et [dont] les couleurs représentent bien la France” selon Angélique, volontaire pour s’engager, devrait d’ailleurs pouvoir nous ravir à l’occasion selon Gabriel Attal :
“C’est une tenue qui sera à la fois utilisée pendant le service national, mais qui pourra aussi être porté par les jeunes pour toutes les cérémonies patriotiques qui sont organisées pour commémorer les grandes dates de l’Histoire.”

On ne pourra s’empêcher de penser que Blanquer aura finalement réussi son pari malgré le petit camouflet reçu sur son projet « pour une école de la confiance » : voir défiler des gamins en uniformes.

« Ce qui m’attire, c’est l’humain, et apprendre à vivre ensemble »

Ce qui aura peut-être le plus marqué au cours de cette opération marketing, ce sont les paroles du secrétaire d’État et celles prêtées aux adolescent-e-s volontaires pour cette grande mascarade. On reste bouche-bée à la lecture de ces déclarations relayées sans sourciller par la presse. Toutes les grosses ficelles sont ainsi tirées dans la plus grande des décontractions :

Lutte contre le décrochage et inclusion

« Nous sommes allés chercher des jeunes qui n’auraient pas eu l’idée d’eux-mêmes de faire un SNU : des décrocheurs, des jeunes handicapés… » G. Attal

Cohésion de la nation et transmission des valeurs républicaines

« Nous les jeunes, on a du mal à s’engager et avec le SNU, on va pouvoir le faire. Je n’ai donc pas hésité à me lancer. On va pouvoir apprendre des choses, devenir plus mature et davantage solidaire. Le fait de rencontrer des jeunes de différentes régions me réjouit d’avance : on sera obligé d’apprendre à se connaître et à être soudés. Cette expérience peut nous apporter de belles valeurs. » « Le SNU, c’est vraiment une expérience à vivre qui ne peut être que bénéfique ! ».

Noël-David, 15 ans

Rite de passage à l’âge adulte

« C’est la première fois que je partirai sans mes parents aussi longtemps. Le SNU, c’est une aventure qui me tente pour plusieurs raisons. » « Cette expérience va nous apprendre à devenir de bons citoyens. Je suis aussi très intéressé à l’idée d’accomplir une mission d’intérêt général auprès d’une association après les deux semaines en internat. »

Alexis, 15 ans

« Je perçois le SNU comme une phase de cohésion avec d’autres jeunes. Et comme une occasion de me débarrasser de ma timidité, car cela va m’aider à m’ouvrir. »
Margaux, 15 ans

Service après-vente de Parcoursup ?

« J’imagine aussi que ces quinze jours peuvent me faire découvrir certains domaines et m’aider à m’orienter par la suite. »
Manon, 16 ans

Bonus : raccourcissement du temps de vacances

« Et comme je finis les cours le 8 juin, le SNU tombe à pic. Je vais pouvoir mettre à profit intelligemment mes vacances. »
Margaux, 15 ans

Vous l’aurez compris, la machine a été bien huilée et on serait bien fous d’oser contester les bienfaits d’une telle entreprise.

Le coûts des habits neufs

Pour cette première promotion, ce sont 2000 euros par jeune, soit 4 millions au total qui auront été mis sur la table. 60 millions sont prévus pour la cohorte de 40 000 jeunes en 2020. Concernant la facture globale après généralisation, c’est un peu la loterie. En mai 2017, un rapport sénatorial estimait le coût de cette petite fiesta à 6 milliards d’euros par an, soit 11 % du budget de l’Éducation Nationale. Matignon a par la suite évalué les coûts à 2,4 ou 3,1 milliards d’euros par an puis c’était au Ministère de Armées de miser sur une facture oscillant entre 1 et 10 milliards d’euros selon la formule retenue. Finalement, Attal promet une note comprise entre 1 et 1,5 milliards par an.

Bref, quoi qu’il arrive, tout ça nous coûtera bien un pognon de dingue. On sait déjà à quoi pourront être employés les 2,3 milliards d’euros que rapporterait la suppression d’un jour férié !

À l’heure où l’on n’entend parler que de coupes budgétaires pour les services publics, on est en droit de se demander si toute cette affaire ne relèverait pas finalement de la boule puante qui, au mieux, permettra d’infuser tranquillement les vertus patriotiques auprès de quelques jeunes instrumentalisés. Si tel était le cas, le symbole n’en resterait pas moins inquiétant tant cette dérive militariste se développe à nouveau, notamment dans l’éducation nationale via des classes à projet ou des stages militaires organisés pour les personnels de direction comme à Versailles cette année.

Mais de la part d’un gouvernement qui comporte en son sein un Ministre ayant fait l’apologie d’écoles liées à l’extrême droite catholique et accueillant les élèves le matin par un salut au drapeau, on va devoir malheureusement s’attendre à tout…

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