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Rojava : brisons le silence !

Sur le site de la revue Ballast : tribune en soutien au Rojava, signée par une soixantaine d’acteurs et de collectifs du monde syndical, associatif, politique, intellectuel et culturel.

Actuellement sous le feu d’une opération militaire conduite par l’État turc — avec l’aval de la Russie, la complicité de l’OTAN et la bienveillance des États européens —, la population du Rojava résiste et sollicite le soutien international. Nous publions donc cette tribune, écrite par notre rédaction et signée par une soixantaine d’acteurs et de collectifs du monde syndical, associatif, politique, intellectuel et culturel, mobilisés en faveur de l’émancipation des peuples et des individus.

« Il y avait la foi dans la révolution et dans l’avenir », écrivit George Orwell dans son Hommage à la Catalogne. Aux quatre coins du monde, les partisans de la justice sociale n’en finissent pas d’honorer l’Espagne progressiste, défaite à la fin des années 1930 par les fascismes européens : cette mémoire est nôtre, mais notre époque nous requiert et nous pousse à la jeter, ressourcée et vivante, dans la bataille qui se joue sous nos yeux au Rojava, en Syrie.

Un projet d’émancipation

Il faut parler des civils, bien sûr, qu’ils soient bombardés à Afrin par l’État turc et ses alliés jihadistes comme à la Ghouta par le régime d’Assad et ses soutiens. Il faut dénoncer la « catastrophe humanitaire » provoquée au Rojava par l’invasion turque, bien sûr, et écouter le Comité international de la Croix-Rouge alerter sur les « besoins » des familles et le Croissant rouge du Kurdistan lancer « un appel à l’aide ». Mais, pour essentielles qu’elles soient, ces interpellations ne suffisent pas : ne taisons pas l’alternative politique émancipatrice proposée par le Rojava depuis 2012, étendue depuis à presque tout le nord de la Syrie.

Brisons le silence, comme le demandent aujourd’hui ses partisans, pour rendre compte d’une perspective singulière qui tente de se frayer un chemin, dans un pays ravagé par sept années d’une guerre qui touche aussi l’Europe, entre l’autocratisme ethnique d’une République arabe syrienne et la théocratie louée par trop de ses opposants. Une alternative antifasciste portée par le Mouvement pour la société démocratique (TEV-DEM) et protégée par les unités d’autodéfense YPG/J ainsi que leurs partenaires des Forces démocratiques syriennes. Forts de deux contrats sociaux, établis en 2014 et 2016, le Rojava (et ses trois cantons auto-administrés : Afrin, Kobané et Djézireh) ainsi que la Fédération démocratique de la Syrie du Nord promeuvent la justice sociale, les libertés individuelles et politiques, la démocratie directe, la liberté de croire ou de ne pas croire, l’égalité entre les sexes, l’écologie et l’interdiction de la peine de mort et de la torture. Une alternative syrienne qui implique à égalité, et dans le respect des frontières du Moyen-Orient, les Kurdes, les Arabes, les Assyriens, les Syriaques, les Chaldéens, les Turkmènes, les Arméniens et les Tchétchènes — qu’ils soient musulmans sunnites ou alaouites, chrétiens, yézidis ou athées.

Brisons le silence, pour que la défense du Rojava ne soit plus, en Occident et plus encore en France, l’otage de quelques avocats médiatiques « des Kurdes », essentialistes embarqués dans on ne sait quelle campagne pour « nos valeurs » : non, la population mosaïque du Rojava et de la Syrie du nord ne se bat pas pour la sauvegarde de nos « démocraties » libérales.

Il n’est à l’évidence pas question de prétendre à un miracle ni de brosser le portrait d’un territoire enfin affranchi des dominations qui, là-bas comme partout ailleurs, font rage : les contradictions abondent au quotidien et on ne peut qu’évoquer un processus à l’œuvre — une expérience concrète « très différente de tout ce qui se trouve en Syrie », estime ainsi Noam Chomsky. Il est en revanche certain que la possibilité de voir cette révolution aboutir un jour sera écrasée dans l’œuf si le gouvernement turc et ses alliés théocrates (groupes rebelles syriens armés, débris de Daech et d’Al-Qaïda) l’emportent dans les mois à venir.
Place aux peuples

Emmanuel Macron a reçu le président Erdoğan au début du mois de janvier 2018. Quand ce dernier ne marchande pas la rétention d’environ trois millions de réfugiés en menaçant à tout instant l’Union européenne d’ouvrir ses frontières, quand il ne remplit pas ses prisons de journalistes, d’écrivains, d’artistes et de militants démocrates, féministes ou LGBT, quand il ne s’illustre pas dans les crimes de guerre, le voici qui parle de « croisade », soutient le jihad au nord de la Syrie et annonce qu’il entend bien y rester. Puis raille les combattants kurdes qui auraient « fui [Afrin] la queue entre les jambes » — rien n’est moins vrai : la ville a volontairement été évacuée afin de protéger les populations, l’État turc ayant déjà assassiné plus de 500 civils depuis le lancement, il y a deux mois, de l’opération Rameau d’olivier. La résistance n’en continue pas moins : ce retrait en garantit la réorientation stratégique.

Lors de son séjour en France, ce même Erdoğan a appelé à ce que les échanges commerciaux soient portés à 20 milliards de dollars (contre actuellement 13,4), supervisé l’achat de vingt-cinq Airbus et signé un contrat de défense aérienne et anti-missile. « Une communauté de vues et d’intérêts stratégiques », a commenté Emmanuel Macron. Avant de se fendre, dans les colonnes du Figaro, d’un vibrant appel à « la précaution et à la retenue », dans le cadre de l’invasion du Rojava, tout en faisant siens les éléments de langage de son homologue turc en qualifiant les unités YPG/J de « potentiels terroristes ».

L’Espagne est tombée, le Chili de l’Unité populaire est tombé ; le Rojava tient encore. Brisons le silence, oui, construisons ici des solidarités concrètes et faisons-nous l’écho des revendications des populations concernées : un couloir humanitaire et la création d’une zone d’exclusion aérienne. Sans quoi, il nous faudra encore parler de cet espoir au passé.
SIGNATAIRES

Salah Amokrane, militant associatif
Isabelle Attard, ex-députée écologiste
Clémentine Autain, directrice de publication de Regards et députée France insoumise
Miguel Benasayag, philosophe et psychanalyste
Farid Bennaï, militant antiraciste et pour l’égalité des droits
Éric Beynel, porte-parole de Solidaires
Olivier Besancenot, facteur et membre du Nouveau parti anticapitaliste (NPA)
Janet Biehl, écrivaine et chercheuse indépendante
Alain Bihr, sociologue
Martine Billard, secrétaire nationale à l’écologie du Parti de Gauche
Yves Bonnardel, essayiste et cofondateur des Cahiers antispécistes
Bernie Bonvoisin, chanteur de Trust
Farid Boudjellal, auteur de bandes dessinées
Breyten Breytenbach, poète
Carmen Castillo, réalisatrice
Manuel Cervera-Marzal, sociologue
Laurence Cohen, sénatrice Parti communiste français (PCF)
Patrick Chamoiseau, écrivain
Noam Chomsky, linguiste
Laurence de Cock, professeure et chercheuse en histoire et sciences de l’éducation
Philippe Corcuff, sociologue et membre de la Fédération anarchiste
Éric Coquerel, député France insoumise
Alain Damasio, écrivain
Christine Delphy, sociologue et cofondatrice de Nouvelles Questions féministes
Chris Den Hond, journaliste
Stéphane Enjalran, secrétaire national de Solidaires
David Graeber, anthropologue
Robert Guédiguian, réalisateur
Noredine Iznani, militant et cofondateur du Mouvement de l’immigration et des banlieues (MIB)
Aki Kaurismaki, réalisateur
Bastien Lachaud, député France insoumise
Aude Lancelin, journaliste
Mathide Larrère, historienne
Pierre Laurent, sénateur et secrétaire national du PCF
Jean-Paul Lecoq, député PCF (membre de la commission des affaires étrangères)
Mike Leigh, réalisateur
Ken Loach, réalisateur
Frédéric Lordon, philosophe et économiste
Michael Löwy, sociologue et philosophe
Xavier Mathieu, comédien et ancien délégué syndical CGT de l’usine Continental AG
Daniel Mermet, journaliste et cofondateur d’Attac
Miossec, auteur-compositeur-interprète
Mouss & Hakim, Zebda-Motivés
Thurston Moore, ex-chanteur de Sonic Youth
Corinne Morel Darleux, conseillère régionale et membre du bureau de la Fondation Copernic
Rosa Moussaoui, grand reporter à L’Humanité
Marc Nammour, rappeur du groupe La Canaille
Danièle Obono, députée France insoumise
Mathilde Panot, députée France insoumise
Bruno Poncet, cheminot syndicaliste Sud-Rail
Philippe Poutou, ouvrier à l’usine Ford de Blanquefort et membre du NPA
Christine Prunaud, sénatrice CRCE-PCF (membre de la commission des affaires étrangères)
Adrien Quatennens, député France insoumise
Tancrède Ramonet, réalisateur de documentaires
Mathieu Rigouste, chercheur indépendant
Rocé, rappeur
Nedjib Sidi Moussa, essayiste
Danielle Simonnet, élue et coordinatrice nationale du Parti de Gauche
Dominique Vidal, historien et journaliste
Roger Waters, musicien et membre fondateur de Pink Floyd
Bénédicte Taurine, députée France insoumise
Eric Toussaint, militant internationaliste et membre fondateur du Comité pour l’Abolition des dettes illégitimes (CADTM)
Miguel Urbán Crespo, eurodéputé Podemos
Marie-Pierre Vieu, députée européenne GUE-PCF-FDG
Michel Warschawski, président du Centre d’information alternative de Jérusalem

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Alternative libertaire
Compagnie Jolie Môme
Confédération nationale du travail (CNT)
Union syndicale Solidaires

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