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Rencontre avec C. Chabrun et G. Chambat à propos de Célestin Freinet, le maître insurgé

Célestin Freinet, Le Maître insurgé, écrits et éditoriaux, 190-1939, collection N'Autre école n° 8, Libertalia, octobre 2016, 190 p., 10 €

A l’occasion du cinquantenaire de la disparition de Célestin Freinet et de la publication de Célestin Freinet, le maître insurgé, écrits et éditoriaux, Libertalia, 190 p., 10 €, Questions de classe(s) propose un entretien avec Catherine Chabrun et Grégory Chambat qui ont réalisé cette édition.

Questions de classe(s) – Pourquoi publier ces textes aujourd’hui ?

Catherine Chabrun – Une conjoncture de dates et l’alignement de périodes politiques importantes : les cinquante ans de la mort de Freinet, les quatre-vingts ans de la victoire du Front populaire et l’année 2016 qui désagrège petit à petit les acquis sociaux.

Grégory Chambat – Depuis le début de l’année, Catherine s’est lancée dans un important chantier autour de Célestin Freinet et des Front populaires (en France et en Espagne) pour rendre accessible des textes qui résonnent encore aujourd’hui. Ce livre est donc déjà un prolongement de ce travail.
Il y a aussi un autre versant : les écrits de Freinet dans la revue syndicale et pédagogique L’École émancipée, de 1920 à 1932. On a parfois tendance à oublier que c’est d’abord au sein du syndicalisme enseignant que naît et se développe la pédagogie Freinet. Dans un contexte où le(s) courant(s) syndicaliste(s) et le(s) mouvement(s) pédagogique(s) cherchent à repenser leurs modes d’intervention (je pense aux stages qui se développent autour des liens entre syndicalisme et pédagogie), les engagements de Freinet sont un point d’appui utile et son itinéraire nous invite à repenser ce qui unit ces deux pratiques.

QdC – Pourquoi avez-vous jugé nécessaire ce retour historique sur Célestin Freinet ? Est-ce que cela ne risque pas d’en faire seulement une grande figure du passé ?

C. C. – La dimension et l’ambition politique de Célestin Freinet est méconnue, les éléments de la pédagogie Freinet qui ont essaimé dans l’Éducation nationale sont réduites à des techniques pédagogiques. Le texte libre, la correspondance et le journal scolaire à de l’expression écrite ; l’entretien ou le « Quoi de neuf ? » à de l’expression orale, le Conseil de coopération à de l’éducation civique, etc.
La visée émancipatrice de compréhension du monde et de construction de citoyens et de citoyennes auteur-e-s de la société des techniques et situations pédagogiques mises en œuvre reste en retrait.
Les textes mis en lumière dans cette publication montrent bien cette articulation entre le « aujourd’hui pédagogique » et les « lendemains politiques » et donc à poursuivre aujourd’hui.

G. C. – Le mouvement issu de la pédagogie Freinet est toujours bien vivant : des centaines d’enseignantes et d’enseignants, des milliers d’enfants en témoignent chaque jour. Mais plus on s’éloigne des racines de cette pensée, plus sa cohérence peut être menacée ou oubliée. Partager, grâce aux interventions rassemblées dans cet ouvrage, les interrogations de Freinet, ses tâtonnements, ses ambitions, etc. c’est comprendre combien les pratiques qu’il met en œuvre ont d’abord un sens politique, ce qui le distingue parfois d’autres figures de l’Éducation nouvelle, comme Montessori. Pour Freinet, le social est une boussole, le collectif aussi. En ce sens, il est certainement d’une plus grande modernité qu’une Céline Alvarez, par exemple ! Sa pédagogie, il ne la pense pas seul, il ne la déconnecte pas du monde et de l’environnement des élèves, des parents et des personnels, il ne la pratique pas seule mais entend construire un mouvement populaire de transformation de l’école et de la société…

QdC – Le lien entre engagement social et politique d’une part et révolution pédagogique avec les élèves d’autre part pouvait être difficile à admettre pour les militants syndicalistes de l’époque. Aujourd’hui, n’est-ce pas plutôt ceux qui s’impliquent pédagogiquement qui « bloquent » du côté de l’implication sociale ?

C. C. – Je retournerai la question, c’est plutôt ceux qui s’engagent syndicalement, socialement qui pour moi « bloquent » ce qui pourrait faciliter ceux qui s’impliquent pédagogiquement. Par exemple : la fameuse « égalité » de ce qu’on doit offrir à tous les élèves empêche sur le terrain l’autonomie de certaines équipes ou/et d’établissements pour articuler davantage le projet pédagogique et les besoins spécifiques des élèves. Je pense aussi à la lecture des réformes réduites le plus souvent à la seule défense de l’identité professionnelle comme par exemple les disciplines et le format des cours.
Les militants pédagogiques sont très souvent impliqués socialement, je parle bien sûr pour les enseignants Freinet. En effet, le regard global porté sur l’enfant oblige d’une manière naturelle à prendre en considération ce qu’il est, ce qu’il vit et ce qu’il fait hors de l’école, dans son quartier, dans son village et dans sa famille.

G. C. – Célestin Freinet écrit dans la revue de la CGT-U « L’école émancipée » dont le titre est déjà tout un programme ! Chaque livraison propose, à part égale, une partie sur l’actualité sociale et internationale, une sur les questions professionnelles et une troisième sur la vie pédagogique… Dès 1907, la Fédération de l’enseignement a tranché : la question pédagogique est une question syndicale. Cela ne s’est pas fait sans mal, la pédagogie étant parfois considérée comme une manière de s’accommoder de la société telle qu’elle est… Dans les années 20, la question pédagogique est centrale dans les débats syndicaux. Ce qui divise, c’est la finalité de l’enseignement en système capitaliste. Freinet s’oppose à celles et ceux qui défendent un enseignement « prolétarien » ou « syndicaliste » que lui considère comme trop « propagandiste » et surtout inefficace. En cela il rejoint Albert Thierry, un autre instituteur penseur du syndicalisme révolutionnaire : ce qui les intéresse ce sont moins les contenus d’enseignement (l’anti-patriotisme, l’anti-cléricalisme) que les méthodes et la manière dont les élèves s’approprient des outils (l’imprimerie à l’école!) pour s’émanciper individuellement et collectivement.
Aujourd’hui, ce qui « bloque », ce n’est pas tant tel ou tel « camp », chacun s’efforçant, avec ses moyens, à avancer vers une autre école… ce qui coince, je pense, c’est le fait de travailler chacun de son côté, de craindre les rapprochements et les confrontations. Cette méfiance a des causes réelles, mais nous devons tout faire pour essayer de les lever.


QdC – Les ouvrages de la collection N’Autre école-Questions de classe(s) connaissent un certain succès, c’est une petite surprise éditoriale. Finalement, quel est le point commun des huit ouvrages de cette collection ?

C. C. – Un regard actuel, sans concessions de notre système éducatif en lien avec la société contemporaine. Mais aussi un regard tourné vers l’avenir et ce que pourrait être notre école et notre société ! Mais c’est aussi un format qui se lit facilement et un prix de vente raisonnable…

G. C. – Disons que, comme pour la revue du même nom, cette collection occupe un espace – le social et le pédagogique – qui avait disparu des librairies. Le succès (encore modeste!) des ouvrages est porté par le dynamisme des éditions Libertalia. Cette structure engagée, militante et sans sectarisme, a accompagné l’essor de la collection. Sa présence à Nuit Debout, tout au long du printemps, a été décisive. Les ouvrages de la collection y ont croisé un nouveau public, curieux et avide de découvertes. Un public à l’image de notre projet et de notre manière de travailler et de penser nos livres.

Célestin Freinet, Le Maître insurgé, écrits et éditoriaux, 190-1939, collection N'Autre école n° 8, Libertalia, octobre 2016, 190 p., 10 €
Célestin Freinet, Le Maître insurgé, écrits et éditoriaux, 190-1939, collection N’Autre école n° 8, Libertalia, octobre 2016, 190 p., 10 €




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