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Réac Academy : on connaît les gagnants !

C’est dans les colonnes du très droitier Valeurs Actuelles qu’Alain Finkielkraut célèbre sa nomination à l’Académie française dans une interview publiée cette semaine. Il y étale une nouvelle fois ses deux obsessions : l’immigration (comparée aux invasions barbares) et le naufrage de l’école.

Rien de nouveau si ce n’est une insistance de plus en plus prégnante à associer les deux  : « La France devrait s’engager sans tarder dans une politique de réduction des flux migratoires et de restauration d’un système éducatif digne de ce nom : il est plus difficile aujourd’hui d’échouer au baccalauréat que de réussir. ». Voilà, la boucle serait-elle bouclée ? Ici et là, c’est aux nouveaux barbares qu’il faut s’attaquer et dont, surtout il faut se prémunir.

Il est d’abord significatif que ce courant réactionnaire, qui se prétend incompris, bâillonné, à contre courant de l’air du temps se retrouve aussi systématiquement en une de la presse… car c’est bien la fureur des conservateurs qu’on nous déverse à longueur de journée !

En lançant un blog consacré aux discours réactionnaires à leur rapport avec la montée de l’extrême-droite (L’école des réac-publicains) au lendemain de l’élection d’un maire FN à Mantes-la-Ville où je travaille, je souhaitais y questionner l’impact des thèses catastrophistes et anti-pédagogiques. L’appel au redressement de l’école – dans le cadre du redressement national – à la restauration de l’ordre, de l’obéissance, de l’autorité et de la tradition me semble si ce n’est en connivence, du moins en convergence avec la tentation autoritaire que l’on sent poindre dans la société.

Incapables d’orthographier, d’écrire, de lire et même de parler, les élèves du collège unique seraient donc les nouveaux barbares de notre époque. Puisqu’ils sont élevés dans la haine de la culture, du savoir, dans le culte de l’égalitarisme et de la démocratie permanente, l’école en a fait des individus sans foi ni loi. Des individus ayant perdu toute humanité, des « barbares ». La récurrence de ce terme interroge : de La Barbarie douce de Le Goff au portrait de l’élève des années 80 de Paul Guth, de Thierry Desjardins écrivant Le scandale de l’Éducation nationale – Ou pourquoi (et comment) l’école est devenue une usine à chômeurs et à illettrés, au « Crétin » de Brighelli, la même analyse se répète, se renforce, s’auto-justifie. L. Cornu et J.C Pompougnac y ont consacré un ouvrage sous le titre Le barbare et l’écolier (Calmann-Levy, avril 1994). Est-on si loin des thèses de l’extrême-droite ? « C’est l’école de la barbarie et des barbares. Sortez vos gosses de l’Éducation nationale ! Vite ! » peut-on lire sous la plume de Marion Sigaut alors qu’il y a quelques semaines Le Point titrait : « Peut-on encore confier nos enfants à l’Éducation nationale ? »

Une autre académicienne – Danièle Sallenave (qui, selon Finkielkraut aurait fait campagne contre son élection)- écrivait : « Car il est absolument évident que la fabrication de moutons, dénués de tout sens critique et au dialecte riche de 50 expressions de verlan (bagage suffisant pour envoyer des textos ou se présenter à un casting de Star Academy), est un phénomène majeur dans les démocraties-marchés où prolifèrent des barbares déculturés ainsi que des ignares imbus d’eux-mêmes voués à la consommation à forfait illimité, surfant de rave parties en manifs citoyennes. Il ne s’agit évidemment pas d’un déclin «naturel» ou d’un fâcheux concours de circonstances. Le formatage de ces nouveaux «élèves-clients» – appelés à alimenter l’éducation du futur (premier marché du XXIe siècle selon l’OCDE, chiffre d’affaires mondial estimé à 90 milliards de dollars pour 2002) – et la création de nouveaux produits éducatifs (conçus par les multinationales de l’informatique et de la communication comme Microsoft ou Disney) obéissent aux demandes du marché mondialisé. L’acquisition payante de savoirs jetables par des troupeaux d’analphabètes n’est donc pas un «accident de l’Histoire». Comme l’écrit le philosophe Jean-Claude Michéa, il est maintenant «possible de mesurer à quel point les présents progrès de l’ignorance, loin d’être l’effet d’un dysfonctionnement regrettable de notre société, sont devenus au contraire une condition nécessaire de sa propre expansion.»

Hors, pour sortir du sensationnel, de l’exploitation du fait divers, il convient de revenir au sens des mots, et en particulier de celui-ci : barbare, « La première occurrence se trouve chez Homère, dans le chant II de l’Iliade . Il désigne le parler des Cariens, peuple asiatique allié aux Troyens. Les Cariens, selon Homère, sont « barbarophones ». Ils sont ceux qui balbutient et qui parlent mal leur propre langue. Parler en barbare, c’est parler par borborygmes. Le redoublement grotesque de la première syllabe (bar-bar) indique donc celui qui détruit de l’intérieur, massacre sa propre langue. Plus tard, les barbares désignèrent, chez Platon et Aristote, tous ceux qui sont étrangers à la grande langue civilisée, le grec. » (« Ce barbare qui est en nous , un entretien avec le philosophe Jean-François Mattéi », Le Nouvel Observateur). On comprend comment cette référence effrayante, aux résonances « lettrées », aux connotations politiques et historiques si prégnantes, séduit et constitue un piliers de la rhétorique de la décadence. Face aux Barbares, Rome s’est écroulée, victime de son avachissement, de la perte de ses repères…

Dès le début des années 80, cette figure du barbare est présente. Dans sa fameuse Lettre ouverte aux futurs illettrés, l’inénarrable Paul Guth nous dressait un tableau bien particulier de la jeunesse : « Jacques (nom générique qu’il donne à la jeunesse française), tu éructes des beuh ! Meuh ! Bof ! » « Tu n’as même pas la force de joindre les lèvres. Tu aurais l’air de sonner de la trompette si, par cet interstice, tu poussais l’i crissant du oui. Tu croasses un crachat : ouais ».

C’est un des nôtres, Albert Thierry, instituteur et syndicaliste révolutionnaire, l’inventeur de la formule « l’action directe en pédagogie » qui servit de ralliement à tant de pédagogue et de militants, qui, au début du XXe siècle résuma probablement le mieux ce que l’étalage de ce mépris de classe signifie réellement  : « la haine de l’autre, du barbare, c’est la haine de la démocratie, du peuple».

Grégory Chambat

7 Comments

  1. Anonyme

    Réac Academy : on connaît les gagnants !
    La citation de Danièle Sallenave, qui s’appuie sur Michéa (qui lui-même cite favorablement Finkelkraut dans un de ses ouvages) nous permet incidemment de voir le pont jeté par ces réactionnaires en direction d’une certaine extrême-gauche enseignante. La dénonciation de la démocratie-marché, le fait de citer l’OCDE est plus qu’un clin d’oeil : une volonté de rassembler les réactionnaires de droite et de gauche, c’est-à-dire à la fois les ennemis de la pédagogie, de la construction patiente et confiante du lien d’humanité à travers les savoirs, et ceux qui dénoncent “le compassionnel”, qu’il s’agisse de la solidarité effective avec les étrangers ou de la priorité aux élèves des quartiers populaires.
    Il est utile d’avoir connaissance du discours et des maneuvres de ces gens dont l’amertume bascule effectivement du mépris à la haine.
    Nous combattrons leurs “passions tristes” par l’activité : celle de notre travail d’enseignant, d’éducateur, celle de tous les métiers de l’humain, et par le concret de nos engagements solidaires.
    J.P. Fournier

    • Adrien

      Réac Academy : on connaît les gagnants !
      Limiter Michéa à trois citations de Finkelkraut c’est un peu gros. Et puis pourquoi parler de “haine” tout le temps? Les avis des “réactionnaires” seront toujours minoritaires de toute façon car le consensus progressiste actuel se passe allègrement d’eux. Encore un billet pour pointer du doigt les méchants réactionnaires…mais bon sang c’est une voix de garage! Comme la critique des “historiens de garde”. Ça permet d’éviter de se poser les bonnes questions sur le contenu idéologique des programmes, sur les orientations prises ou à prendre par les ministres, sur ce que devient l’école.

  2. Jean-François Dreyfus

    Réac Academy : on connaît les gagnants !
    D’accord pour dire que les réactionnaires reviennent en force, mais pas d’accord pour appeler réactionnaires tous ceux qui aujourd’hui se posent des questions sur la société française, ses politiques, son école et son devenir. Il y a d’ailleurs actuellement, à mon sens, dans notre beau pays, une forme de bien-pensance qui est insupportable et nuit à la démocratie.
    Auteur d’un livre qui se veut à la fois drôle et satirique sur notre système éducatif et sur la société qui le génère, je me suis vu signifier par une journaliste d’un grand quotidien (de gauche) qu’elle pressentait qu’il s’agissait d’un ouvrage très pessimiste ( et sans doute très réac). Est-ce être réac que se moquer de certaines dérives du système, de dénoncer la privatisation à marche forcée et la marchandisation de l’éducation, la transformation de certaines écoles en ghettos et d’appeler de ses vœux un système plus convivial, plus égalitaire et plus attaché au développement de l’individu?
    Le pouvoir actuel est-il vraiment moins réactionnaire que le précédent en la matière et dans d’autres domaines?
    Si vous souhaitez mesurer mon taux de réactionairitude , vous pouvez prendre connaissance de Mammouthement Vôtre sur Facebook, que nous espérons republier.

  3. Hypothèse

    Réac Academy : on connaît les gagnants !
    J’analyse les faits comme ceux-ci.
    Certains ont tendance à confondre les outils et les vivants. Je range dans les outils nos institutions, conventions, traités, argent, objet, internet, etc. Tout ce que nous avons imaginé au cours du temps. Par contre un vivant est un individu sans rôle, sans statut, qui parle pour exprimer son ressenti, qui aimerait bien être justifié mais sait qu’il est trop petit, faible, vulnérable, fragile, démuni, et qu’il n’a pas le droit de récriminer. Et c’est heureux que l’école lui permette de parler, même en barbare.

  4. Adrien Mascarille

    Réac Academy : on connaît les gagnants !
    Ce monsieur Finkielkraut est finalement bien pratique. Il permet à ses opposants déclarés d’endosser la panoplie convenable d’un modernisme éducatif qu’on serait bien en mal de décrire concrètement dans l’école contemporaine vu le flou de leurs propositions et l’inanité de leurs réalisations communes. Par ailleurs, le définir comme réactionnaire doit l’enchanter au regard de la solidité de l’argumentaire des révolutionnaires qui disent s’opposer à lui.
    En effet lui répondre sur ce terrain, n’est-ce pas donner foi à l’idée que l’école est bien tombée entre les mains des soixante-huitards, qu’elle a sombré depuis 50 ans dans le bazar de l’innovation pédagogique, que l’autorité du maître a disparu, que les matières ne sont plus enseignées, que l’on fait partout de « l’auto-construction des savoirs », de la méthode globale pour apprendre à lire, que l’orthographe est bannie, que les devoirs à la maison n’existent plus, que les notes, les classements ont disparu, que l’on ne monte plus en rangs, j’en passe et des meilleures…
    Cela est évidemment un mensonge grossier.
    Mais c’est un mensonge qui arrange tout le monde, il est à double détente car, en vérité, RIEN n’a changé à l’école depuis 50 ans. Ce sont les mêmes pratiques et la même réalité qui y ont cours. C’est bien la même école que jadis à laquelle nous assistons aujourd’hui. L’école-caserne républicaine est toujours là, portée par la très grande masse des enseignants, surveillés de près par les cadres informatisés de l’Education nationale et bénis par leurs syndicats.
    Les pratiquants réels d’une autre école, du travail en équipe, de la pédagogie globale se comptent, je crois, sur les doigts d’une main. Et ce malgré l’incroyable nombre de volontaires pour que ça change, les syndicalistes révolutionnaires, les pédagogues prêts à s’investir, les adeptes de tous les maîtres à penser du changement éducatif. On se demande, d’ailleurs, ce qu’ils attendent encore pour retrousser leurs manches et lâcher le modèle dominant : la classe, le cours, la matière, l’isolement, pour se rassembler et faire du collectif…

    Prendre le parti de répondre aux réac-publicains sur ce terrain, de dénoncer un parti pris prétendument rétrograde, c’est d’abord laisser croire qu’ils voudraient revenir à l’école de jadis alors que l’école de jadis est toujours celle d’aujourd’hui, c’est donc accepter que ce qu’ils disent est vrai, que l’école est bien devenue cette anarchie crétinisante qu’ils dénonceraient avec tant de bon sens, et enfin c’est laisser courir le bruit que cela serait appliqué, pratiqué, réalisé et, devinez par qui ? par ses contradicteurs qui se tressent ainsi des lauriers à bon compte. C’est bien un double bobard.
    Allons, ces gens ont surtout des mots à vendre à la grande foire médiatique. Et leurs opposants : beaucoup de promesses.

    Adrien Mascarille

  5. zakhartchouk

    Réac Academy : on connaît les gagnants !
    Les propos de Adrien Mascarille sont quelque peu excessifs, je pense malgré tout que des choses ont changé dans l’école et que les pédagogues ne sont pas si isolés que cela, mais ce qui est sûr c’est qu’ils ont bien peu la parole dans les médias, surtout pour leur travail quotidien, en dehors d’ilots exceptionnels ou de projets particuliers. Mais sur le fond, je suis d’accord, Finkie et autres nous trompent totalement en nous faisant croire qu’une pédagogie “constructiviste” règnerait dans l’école, qu’on ne ferait plus de dictées, etc. Et pire en laissant penser par exemple que c’est à coup (c’est le cas de le dire) de dictées, de règles apprises par coeur et de “leçons” qu’on aiderait les jeunes à mieux parler et écrire. Je n’arrive pas à comprendre comment la médiocrité de pensée de quelqu’un comme FInkielkraut, qui ressasse toujours les mêmes exemples, s’appuie sur des lettres, toujours les mêmes, qu’il cite de divers professeurs, citant toujours le même texte de Arendt (en fait, la position de celle-ci est bien plus complexe que ce qu’il en dit, dans le contexte de l’époque, etc), comment cette médiocrité (je parle du domaine de l’école, sur d’autres terrains, ce n’est pas tout à fait la même chose, cela dépend) peut ainsi séduire . C’est tellement simpliste. Mais surtout, ce sont des gens qui ne proposent rien, bien entendu. Faire accéder à de hautes oeuvres culturelles, les pédagogues sont les premiers à le souhaiter (mais ils ne confondent pas culte et culture, référence et révérence quant au passé), mais ils ne sont pas des phraseurs, mais cherchent des moyens réalistes pour y parvenir. En se faisant des “passeurs culturels” loin des vitupérations méprisantes de ces penseurs qui déshonorent un peu la pensée. Mais il est vrai que ces derniers temps, Finkielkraut franchit les limites et par moments, on se demande ce qui différencie certains de ses textes, en particulier dans les interviewes, des déclarations de Marine Le Pen qui sont parfois même plus policées et modérées…

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