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Qu’est-ce qu’une contre-narration ?

La contre-narration est une pratique utilisée en particulier dans la théorie critique de la race. Elle vise à produire un récit contre-hégémonique sur une oppression. Les contre-narrations peuvent être une histoire personnelle, constituer le récit d’un événement ou être une construction collective. Les contre-narrations peuvent utiliser plusieurs supports : orales, écrit, visuels… L’article ci-dessous donne un exemple de l’utilisation de la contre-narration concernant l’incarcération en prison.

Traduction de Grace Gamez, « Reframing Justice : Counter-storytelling and Social Transformation », juillet 2016.

Les histoires sont un puissant mécanisme de changement social. Des nations entières sont construites et se sont maintenues par des histoires. Partager des histoires est un moyen de construire la communauté, de façonner l’identité et de construire du sens. Cependant, les histoires et les voix des personnes directement touchées par le système de punition criminelle sont systématiquement exclues des efforts de politique et de réforme. Cette exclusion est une raison pour créer des sites alternatifs pour établir un pont entre la compréhension, la production de connaissances et l’impact des politiques publiques et pénales.

Les personnes qui ont des antécédents de condamnations perdent souvent le contrôle de leur propre histoire – l’histoire de qui ils sont, où ils ont été. Ce qu’ils méritent est interprété par leur condamnation. Leur histoire commence et se termine avec leur entrée dans le système de punition criminelle. Dans ce processus, les gens sont réduits à des personnages unidimensionnels – «détenu», «délinquant», «traître» – des monstres qui méritent le bannissement permanent.

Le projet d’ « Amélioration de la justice » est une initiative de contes multimédia avec des personnes incarcérées, anciennement incarcérées, condamnées et leurs proches. Nous utilisons la vidéo, le roman photo, de courtes rédactions et le récit en direct. Les histoires recueillies s’appuient sur un corpus spécialisé de connaissances sur l’état de l’Arizona, la justice, la non-liberté et l’au-delà du système de punition criminelle sur les individus, les familles et les communautés. L’objectif est double : 1.) Influencer le discours public autour des questions d’incarcération et 2.) Former des militants qui peuvent mener un mouvement contre l’incarcération de masse.

Le projet a commencé par réfléchir au rôle de l’histoire dans le système judiciaire et à l’idée de légitimité. Nous avons demandé: “Qui peut dire quelles histoires, à qui, et dans quelles conditions sur le système de punition criminelle en Arizona?” Le résultat se sont des histoires qui remettent en question la normativité du récit de la justice comme punition […].

Les histoires de personnes impliquées dans le système carcéral sont une ressource énorme. La société oublie fréquemment les données, mais oublie rarement le visage humain derrière l’histoire. La première vidéo de cette série, « L’histoire de Kini » traite de plusieurs situations habituelles dans les prisons pour femmes.

L’histoire de Kini illustre l’impact dévastateur de la marginalisation et de l’abandon social. Certaines populations, à savoir les pauvres, les personnes de couleur, les malades mentaux, les toxicomanes et les enfants souffrent de l’incarcération de leurs parents. Elles ne sont pas facilement perçues comme des «victimes» bien qu’elles puissent l’être et, par conséquent, elles sont exclues des services susceptibles de remettre en question la durée de l’incarcération.

Notre premier essai photo, « Ce que personne ne veut entendre », de Michele Keller, attire l’attention sur les défis auxquels sont confrontés les gens qui retournent dans leur communauté après l’incarcération. Son essai souligne l’importance des réseaux de soutien, du traitement et de l’éducation pour les membres de la communauté qui reviennent.

Ce que personne ne veut entendre

Pendant que j’étais incarcérée à la prison d’état de Marana, une autre détenue m’a donné un poème qu’elle a écrit et intitulée «Ce que personne ne veut entendre». C’est un poème assez grave – il exprime la charge émotionnelle l’incarcération – la colère, la tristesse, l’isolement et l’inhumanité.

J’ai été dans et hors du système à partir de l’âge de 26 ans, chaque fois comme une conséquence de ma dépendance à la cocaïne et au crack. Quand j’ai lu le poème, j’en sentais la vérité. Il illustre comment nous nous sentons comme des personnes autrefois incarcérées quand nous essayons de nous inscérer dans la société, et décrit comment les autres nous perçoivent.

Quand je suis sorti la dernière fois, ce que j’ai trouvé le plus difficile, c’est que je n’avais pas de soutien familial. Ma mère était décédée en 2004, ce qui était un point de rupture dans ma vie. Je dis «sa mort m’a apporté la vie» parce que sa mort m’a aidé à rester sobre. Pendant longtemps, ma vie en Arizona a consisté à vendre des drogues. C’était en fait une barrière, je n’avais plus une communauté de soutien pour revenir quand je suis sortie. En fin de compte, ce qui m’a aidé à surmonter et à reconstruire ma vie a été le soutien et les ressources que j’ai obtenus des conseillers du programme Femmes en réinsertion que j’ai fréquenté au Centre de libération correctionnelle du Sud de l’Arizona (SACRC), qui n’existe plus.

Pendant que vous êtes à l’intérieur, la plupart du temps, vous êtes désigné par votre numéro de prison, ce qui facilite la perdre de la conscience de soi. J’ai gardé ce poème pendant toutes ces années parce que cela me rappelle comment je ne veux pas être perçu comme un numéro.

Le poème me rappelle que je ne dois pas juger les autres en raison de leurs mauvais choix passés. Cela me permet de me rappeler où j’ai été, et ce à quoi que je ne veux pas revenir. Cela me rappelle que j’ai la chance d’être arrivé à l’endroit où je suis aujourd’hui. En raison de mes expériences, je m’engage à faire tout ce que je peux pour aider les autres dans leur chemin vers la réinsertion.

***

En fin de compte, les récits du projet Reframing Justice nous forcent à réfléchir profondément à ce qu’est la «justice» et à envisager un système de justice humaine qui traite les problèmes sociaux complexes qui mènent les gens dans le système criminel et judiciaire.

GRACE GÁMEZ

Grace Gámez, Ph.D., est associée au programme American Friends Service Committee Arizona.

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