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Vivre et dire nos luttes (3)

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En ces temps de mouvements sociaux, nous avons eu envie de republier de texte d’une camarade parisienne. Bonne lecture !

Parentés de lutte

(N’Autre école n° 15, printemps 2007)

Militance pédagogique, militance syndicale, difficile a priori de faire tenir ensemble ces deux luttes… Mais comment imaginer changer les pratiques enseignantes contre les parents ? Les enfants n’appartiennent à personne. Ils sont dépendants des adultes qui les entourent.

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L’histoire de l’école est traversée par ses relations aux parents. La création des écoles publiques par Jules Ferry est marquée par un souci d’indépendance. La création du corps des inspecteurs vise à assurer l’autonomie des enseignants. À les soustraire des potentats locaux et de la pression quasi « naturelle » exercée par les parents sur les enseignants. À affirmer l’idée que les enseignants ont à rendre des comptes à ce supérieur… tout en se déprenant de l’emprise parentale. Las, cent ans plus tard, nous constatons que nombre d’inspecteurs se reposent sur les parents pour administrer leur circonscription. Si les parents ne bougent pas, l’inspecteur non plus ; les enseignants peuvent dormir sur leurs deux oreilles. À l’inverse, les exemples sont nombreux et fréquents de parents qui se mobilisent contre les pratiques d’un ou une enseignante et s’en réfèrent à l’inspecteur. Pour exemple, l’année dernière à Paris, une collègue a dû annuler tout un projet de travail sur la déportation des enfants juifs, avec sa classe, car les parents sont intervenus pour dénoncer son manquement au devoir de réserve. Lettre pétition envoyée à l’inspecteur, qui lui a ordonné de tout arrêter… Alors même que depuis une dizaine d’années les écoles parisiennes se couvrent de plaques commémoratives dénonçant la déportation des enfants juifs.

Deux héritages pour une école

Un détour par les Bourses du travail du XIXe siècle donne un éclairage d’une autre nature concernant les clivages qui pourraient surgir dans la relation parents-enseignants. Les Bourses posent les bases d’une école pour le peuple. Une école qui reprend à son compte la lutte des classes. Si les écoles publiques ont été créées, c’est pour endiguer la menace de l’enseignement mutualiste dispensé dans les Bourses, pour le peuple, contre les classes dirigeantes.
C’est dans ce creuset des origines que les divergences surgissent : une école pour sélectionner les futures élites ou une école pour émanciper les élèves ? Une ambiguïté de taille, sur laquelle les ministères successifs orchestrent la zizanie.
Dans nos classes, lors des réunions de rentrée, les parents reprennent à leur compte ces deux courants : « Nos enfants vont-ils s’épanouir dans votre classe ? » Dans le même temps, d’autres parents (ou parfois les mêmes !), nous interrogent : « Nos enfants vont-ils faire tout le programme ? ».

En d’autres termes, l’école du peuple n’est-elle pas une perte de temps pour les élèves de milieux favorisés ? D’un autre côté, l’école de la République peut-elle tolérer des pratiques pédagogiques émancipatrices, de transformation sociale, au risque de travailler à sa propre perte ? Les vrais enjeux restent masqués. La convergence d’intérêts et de lutte entre les parents et les enseignants contre les classes dirigeantes constitue la vraie menace.

L’institution maintient et entretient le clivage parents-enseignants

La loi Fillon pour l’école en est un des plus beaux fleurons. Avec l’instauration du « socle commun des compétences », le fait que les parents décident désormais du redoublement ou non de leur enfant, quel que soit l’avis de l’équipe enseignante, pose en termes belliqueux les relations parents-enseignants. Les « projets personnalisés de réussite éducative » clivent les relations parents-enseignants. Ces derniers dressent un diagnostic. Signalent les incompétences. Les parents sont convoqués. Signent un contrat d’engagement. Une remédiation se met en place pour six semaines. En cas d’échec, l’institution rend son verdict : nous avons tout tenté. Votre enfant n’a pas le niveau. À qui la faute ? Aux parents ! La guerre est ouverte… le ministère se frotte les mains !

Sur fond continu de « baisse de niveau » et de raccourcis ravageurs, les enseignants sont systématiquement montrés du doigt. Les récentes déclarations du ministre sur les méthodes d’apprentissage de la lecture, de la grammaire ou du calcul, n’ont d’autres ambitions que de raviver (si besoin était !) cette guerre permanente qu’il est bon d’entretenir entre parents et enseignants ! Quitte à déclarer une guerre ouverte contre ses propres fonctionnaires : on se souvient que Célestin Freinet lui-même fut exclu de l’Éducation nationale à la suite d’une cabale menée par les parents de ses élèves avec la complicité de l’institution. Plus récemment, un inspecteur de l’Éducation nationale fut suspendu de cours à l’école d’inspecteurs dans le courant du mois de novembre 2006 pour prise de position dans un quotidien de la presse nationale.

La mixité sociale, creuset de l’école émancipatrice

En janvier 2007, c’est un instit qui est suspendu à Marseille pour « insuffisance pédagogique ». Erwan Redon a le tort de refuser l’inspection, de militer à RESF (Réseau éducation sans frontières) et d’organiser des séjours autogérés. Il a le soutien des parents d’élèves. Nous sommes nombreux à ne pas nous en tenir à la traditionnelle réunion de rentrée et aux conseils d’école, à ne pas vouloir renforcer les clivages… Depuis Montaigne (« L’enfant n’est pas un vase qu’on emplit mais un feu qu’on allume »), on sait que l’acte d’apprendre est complexe, il ne se maîtrise pas et s’étend bien au-delà de l’école, après 16 h 30 ! Rien ne peut s’apprendre qui ne soit décidé par l’apprenant lui-même. Ceci quelle que soit son origine sociale !
Nous sommes nombreux à choisir d’enseigner dans des écoles où la mixité sociale va de pair avec nos choix pédagogiques. À organiser des séjours, à impliquer les parents dans la vie de la classe et de l’école, par le biais de « portes ouvertes », d’échanges de savoirs, de sorties, afin que la culture familiale se rapproche, en la valorisant, de la culture scolaire. Pour tenter d’approcher ce qui serait une pédagogie « active », je propose à mes élèves des réunions hebdomadaires qu’on appelle « conseils » ou quotidiennes « quoi de neuf ? », afin d’inviter le quotidien des élèves dans la classe, d’apprendre à s’organiser collectivement et de désapprendre la soumission. Depuis une dizaine d’années, je suis en poste dans une école du XXe à Paris, classée en REP (Réseau éducation prioritaire). Chaque année, ma démarche ne choque pas et rencontre toujours des parents prêts à coopérer, à découvrir qu’une autre école est possible. Avec eux… et non pas contre eux !

Grève des rythmes scolaires : un front parents-enseignants qui gagne !

En 2001 à Paris, une réforme des rythmes scolaires est engagée à l’initiative de la Mairie de Paris. Je serai en grève pendant deux mois et demi… À la demande des parents, qui m’écrivent une longue lettre, je reviens les samedis matin en classe. Seuls deux parents sont ouvertement hostiles à mon action de grève. Nombreux sont ceux qui manifestent à nos côtés ou nous aident à organiser des réunions d’information. Nous gagnerons cette année-là. Le front parents-enseignants s’est renforcé dans la lutte. Nous ne travaillerons pas le mercredi et maintiendrons nos samedis matin… si propices, pour qui s’en saisit, à la coopération et aux échanges parents-enseignants !

La grève, école de lutte

Pendant la grève, régulièrement, nous avons des discussions dans la classe. Je rassure. J’explique que les apprentissages ne reposent pas seulement sur le fait d’être présent à l’école. Sinon, tous les élèves assidus seraient en réussite ! Je remarque que les élèves sont particulièrement actifs… comme s’ils voulaient rattraper le « temps perdu ». Ils cherchent, ils s’organisent, ils lisent et en redemandent ! Malgré les demandes réitérées (et légitimes) des parents pour que je lève ma grève, ils finissent par entendre que ce point-là n’est pas négociable. Nous tenons bon… ensemble ! La lutte continue, les élèves apprennent à (auto)gérer leurs apprentissages d’une semaine sur l’autre. Je ne les sens à aucun moment dans l’abandon.

L’institution reprend ses droits…

Pourquoi ne pas avoir suivi la classe l’année suivante ? Peur de l’inconnu, d’affronter la réalité de difficultés qui auraient été mises sur le dos de la grève… La pression est réelle ; l’équipe ira même jusqu’à proposer le réseau d’aide pour ma classe… comme si les élèves et moi étions en retard ! Mais nous mettrons plus de six mois à nous redire « bonjour ». L’institution a repris ses droits sans que je n’y prenne garde. « Il y a un invariant qui justifie tous nos tâtonnements et authentifie notre action : c’est l’optimiste espoir en la vie. » (Freinet, Invariant, n° 30) Pourtant, rien de tout ce qu’on nous avait prédit ne s’est vérifié. Pas un seul élève proposé au redoublement. Apprendre est bien un acte complexe, aux antipodes de la scolastique, de l’obéissance passive. Un acte conscient et déterminé.
… mais les liens tissés dans la classe et dans la lutte sont tenaces
Septembre 2005 : des parents distribuent des tracts devant l’école. Je les aperçois depuis la fenêtre de ma classe. Nous sommes à deux jours de la rentrée. Autant dire le nez dans le guidon. Un père d’origine chinoise est en centre de rétention. En pleine rentrée, il nous faudra – à nous l’équipe enseignante – une semaine pour s’extirper du quotidien de la classe. Une semaine de trop et M. Pan est expulsé. Les parents qui ont tenté d’empêcher cette expulsion sont aussi ceux que j’ai rencontrés lors de la grève de 2001. La solidarité s’organise autour de la famille pour faire revenir le père…
Décembre 2005 : à deux jours des vacances, une mère d’élève, Mme Driouche, vient de recevoir son arrêté préfectoral de reconduite à la frontière. Je pars en vacances non sans laisser mon numéro de téléphone à Stéphane, un ex-père d’élève de CP l’année « des rythmes » et très investi dans cette lutte RESF.
Vacances de Noël 2005 : quelques parents – dont Stéphane – sont mobilisés et décident d’organiser la solidarité pour obtenir la régularisation – ou au moins empêcher l’expulsion – de Mme Driouche. Je me joins à une de leur réunion pendant les vacances et propose d’appeler à la grève le jour de l’audience. Les parents appellent à une journée « école morte ».

Grève RESF : une lutte qui veut marcher sur ses deux jambes

La CNT dépose donc un préavis. Les parents rédigent des communiqués. Les enseignants se réunissent en AG. Au final, écoles fermées, enseignants, parents et habitants du quartier mobilisés : nous serons plusieurs centaines au tribunal… Après trois refus, la préfecture délivre une carte de séjour de dix ans. Dans la foulée, la famille Pan – dont le père est revenu – obtient un an avec autorisation de travail. Reste à imaginer des solutions pour la vingtaine d’autres familles dont les enfants sont scolarisés à l’école Olivier-Métra. Il faudra monter la mobilisation d’un cran, mais ensemble, parents et enseignants !

L’école pour socialiser et lutter

C’est de là que part notre action commune, à partir d’un projet de travail pour la classe. Sans mélanger nos places respectives, sans faire de compromis non plus sur les actions de grève. La lutte fait désormais partie de notre quotidien. Elle est aussi devenue « naturelle » ; régulièrement, nous – parents et enseignants – distribuons des tracts devant l’école. Un journal des élèves – Métra Junior – a vu le jour. Nous avons ouvert l’école, cassé les catégories censées être antagonistes, proposé et vécu l’école comme un lieu de socialisation, matrice des luttes passées et à venir.

Nathalie Astolfi

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