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Panique au rectorat de Bretagne

Bac mention « engagement militant », voilà ce qu’on peut attribuer aux 15 élèves insoumis du lycée Diwan. Loin d’en rester à leur coup spectaculaire de rédiger leur devoir de mathématiques en breton, ils ont su manier leur rapport de force pendant les 15 jours de corrections, et repousser le rectorat dans les cordes. Déjà au printemps, il manifestait dans les rues de Carhaix derrière une banderole : « pour Zad, contre la loi travail et pour le bac en breton », un fourre-tout symbole d’un jeunesse pleine de désirs.

Prologue
15 élèves de Terminale rédigent en breton leurs copies de mathématiques le jour du baccalauréat, malgré l’interdiction du rectorat. (https://www.questionsdeclasses.org/?Desobeissance-civile-au-baccalaureat-15-lyceens-redigent-l-epreuve-de)

1er acte : Le rectorat intransigeant

Fidèle à la ligne dure du gouvernement, le rectorat a annoncé rapidement qu’aucun effort particulier ne serait fait pour corriger le lot des 15 copies réparties entre 11 correcteurs dans 7 jurys. Pire, au cas où un professeur bretonnant recevrait une copie entre les mains, il avait été précisé qu’il ne s’agirait de prendre « en compte dans la correction que la langue française et le langage mathématique ». Reconnaissant par la même, la possibilité que soit corrigé les copies, alors que jusque là l’argument était celui d’une incapacité technique faute de correcteurs bretonnants.
Difficile d’attendre mieux d’une rectrice, Le Pellec Muller, qui en poste à Strasbourg, avait déchaîné le courroux des alsaciens en cherchant à réduire les heures en langue alsacienne pour les élèves bilingues. Une pétition demandant sa démission avait été lancée à l’époque.

2e acte : Des prof de maths pas contents

Sauf qu’à la remise des copies, des professeurs protestent. A Ouest-France, un professeur, sous couvert d’anonymat, témoigne. Il explique le coup de force venu d’en haut : « On nous a rappelé que nous étions fonctionnaires et que nous devions corriger ces copies » alors que « Les professeurs chargés de la correction [avaient] fait valoir qu’ils n’avaient pas la compétence pour les corriger ». Même la FSU s’en mêle par son représentant finistérien : «C’est mission impossible pour l’enseignant, ou on corrige tout ou on corrige rien ». Un ancien inspecteur de mathématiques prend même l’initiative d’écrire au rectorat. Pour lui, il ne s’agit pas d’un manque de correcteurs bretonnants comme objecte la haute administration mais bien d’un choix politique.

3e acte : Les collégiens s’en mêlent

Une semaine après les Terminales, les Troisièmes passent l’épreuve de SVT qui, comme pour le bac de maths, a été corrigée en basque l’année dernière au Pays Basque. Au final, sur les 6 collèges Diwan, quelques 60 élèves décident de rédiger leurs examens en breton malgré le refus du rectorat. Un des frondeurs témoignent au Télégramme : « on l’a fait en soutien aux Terminales qui ont passé le bac de maths en breton ». La jeunesse n’a pas l’air d’avoir peur des coups de bâtons de Madame Le Pellec Muller !

4e acte : Un soutien populaire… et politicien
L’affaire commence à faire grand bruit en Bretagne, où l’idée de bilinguisme a fait du chemin depuis une vingtaine d’années. Une pétition est lancée réunissant rapidement 15000 signatures. Un rassemblement en soutien aux élèves réunit 400 personnes le samedi 7 juillet à Carhaix.
Entre l’épreuve du bac et les résultats, on apprend que le Président de Région a écrit au Ministre Blanquer pour demander que les copies soient corrigées en recopiant l’essentiel de l’argumentaire des lycéens (c’est pas beau de tricher !). Et voilà que la Présidente du Département du Finistère soutient la rébellion des jeunes pousses dans un communiqué enflammée, elle écrit : « Ces jeunes lycéennes et lycéens de Carhaix savaient qu’ils s’aventuraient dans une possible impasse. Mais cet acte assumé fait partie, il me semble, « des résistances honnêtes et des rébellions légitimes » évoquées par Alexis de Tocqueville. » On marche sur la tête !

5e acte : le rectorat intransigeant (bis)

La Rectrice reste droit dans ses bottes. Les ordres du Ministère sont clairs, il faut mater la révolte. Alors la grande bourgeoise (1) décide d’envoyer un lot d’inspecteur au centre d’examen où sont réunis les professeurs pour la correction du brevet de SVT, dont certaines ont été rédigées dans la langue interdite. Les chiens de garde du rectorat suivent à la trace les copies et interceptent toutes celles rédigées en breton, empêchant leurs corrections !
La situation devient ubuesque, ridicule. Plutôt que de faire un pas de côté, le rectorat enfonce le clou. Suite à un communiqué de presse du Syndicat des Travailleurs de Bretagne qui rappellent que « La délivrance du baccalauréat général résulte de la délibération du jury qui est souverain » (Article D334 du Code de l’Éducation), le rectorat réplique par un autre communiqué à l’AFP dont le seul extrait que reprenne les médias est « L’évaluation (de ces épreuves, NDLR) prend en compte seulement les parties rédigées en français ». Le reste ne valant même pas la peine d’être publié vraisemblablement.

Acte final : les profs ont ils désobéi ?
Le 6 juillet, comme ailleurs en France, les résultats tombent. Les notes s’échelonnent de 3 à 17, difficile d’en savoir plus en l’absence de copies des copies ! Des questions se posent. Comment un élève de S ayant écrit dans l’idiome barbare peut il avoir eu 17 alors qu’un exercice de géométrie demandait de la rédaction en français et pas simplement des formules ? Pourquoi certains élèves ont eu bien moins que pendant l’année alors que d’autres retrouvent des notes correspondant à leur niveau ?
On peut penser, se rassurer même, que des professeurs n’ont pas accepté de mal faire leur travail et ont corrigé les copies coûte que coûté. Sauf que d’autres copies n’ont pas été corrigées de cette manière face aux injonctions paradoxales du Rectorat. Au final, à vouloir rétablir l’ordre, la rectrice a créé plus de désordre.
Les lycéens eux s’organisent. Dans une conférence de presse organisée à Rennes, le jour de résultats, ils précisent : « nous allons demander à récupérer toutes les copies pour voir si les conditions d’évaluation ont été les mêmes pour tout le monde. La lutte pour le bac en breton ne fait que commencer».

Gildas Kerleau

1. https://www.midilibre.fr/2018/04/10/l-etonnante-offre-d-emploi-de-l-ancienne-rectrice-de-montpellier-aujourd-hui-a-rennes,1653824.php

Encadré : Un bac sans crucifix
Les soucis du rectorat des Rennes ne s’arrêtent pas à la pratique du bilinguisme. Des professeurs de SES étaient appelé à présider des jurys de baccalauréat au lycée Jean-Paul II, le bien nommé, à Rennes. Refusant d’officier sous des crucifix, ils ont demandé aux proviseurs que soient retirées les dits objets religieux des salles d’examen. Le rectorat, moins exigeant avec le privé catholique que le privé bretonnant visiblement, a laissé le libre choix aux proviseurs de dénuder ses murs. S’il a fini par plier face à des professeurs qui menaçaient de ne pas faire passer les oraux, il a aussi décidé de faire un rapport circonstancié de l’incident à la rectrice.

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