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On n’apprend pas sans toi(t)

Il est des moments où la lecture et l’actualité des publications pédagogiques – dont je devais vous parler dans ce billet – passent après d’autres urgences. Le dernier livre de Philippe Meirieu, la biographie d’Henri Wallon ou la belle anthologie sur l’éducation populaire ce sera pour une autre fois.

Ce ne sont ni mes corrections ni mes cours à préparer qui m’ont éloigné des livres cette semaine mais le cas d’une de mes anciennes élèves non-francophones, aujourd’hui parfaitement intégrée dans une classe de quatrième de mon collège.

Mardi dernier elle m’annonce qu’elle sera à la rue le lendemain. Expulsée de son foyer suite au rejet de sa demande d’asile politique, elle est hébergée depuis quelques semaines avec toute sa famille, ses deux parents et ses trois sœurs (des jumelles de 8 ans et une petite fille d’un an) par le 115 dans un hôtel à plusieurs dizaines de kilomètres du collège. Mais voilà, le 115 ne dispose plus de chambres…

Jeudi dernier, la seule solution pour dormir à l’abri ce fut l’hôpital et des lits placés dans les couloirs.

Vendredi soir, ce fut le parking de l’hôpital.

Ce week-end, le 115 déclare ne pouvoir loger que la maman et deux enfants sur quatre. Rien pour les autres…

L’information circule, les réseaux militants sont alertés, les collègues, l’administration, des élues de la municipalité se mobilisent. Lundi les jumelles sont rescolarisées. On espère un logement pour la nuit…*

Je ne sais pas si on peut appeler ça le « changement ». Je ne sais pas si l’éducation est la priorité nationale, si l’enfant est au centre du système éducatif, si la jeunesse est l’avenir de notre société.

Je sais qu’on n’apprend pas le ventre vide, on n’apprend pas avec la peur au ventre, celle d’être contrôlé et expulsé, on n’apprend pas sans toit au-dessus la tête. Je sais aussi que tes professeurs, tes camarades de classe ne peuvent pas non plus apprendre sans toi.

Cette famille, comme tant d’autres, s’est tournée vers l’école. On peut y lire, en franchissant le portail d’entrée « Liberté, égalité, fraternité » – il manque « solidarité ». Depuis quelques jours il y a une charte de la laïcité sur les murs, bientôt des cours de morale…

L’ensemble des collègues sont mobilisés. C’est une question sociale, c’est une question éducative, pédagogique. C’est une question de lutte et de dignité, une question de classe… En 1793, en réponse au plan d’instruction de Condorcet, Le Peletier de Saint-Fargeau écrivait « Cet enfant pauvre, vous lui offrez bien l’instruction; mais avant il lui faut du pain. »

Grégory Chambat, enseignant en collège, membre du comité de rédaction de la revue N’Autre école et du collectif d’animation de Questions de classe(s). Dernier ouvrage paru Apprendre à désobéir, petite histoire de l’école qui résiste avec Laurence Biberfeld publié aux éditions Libertalia, septembre 2013.

* depuis, la situation s’est débloquée, la mobilisation et l’intervention au plus haut niveau d’élues engagées ont permis d’avancer et de trouver un début de solution… Je voudrais aussi ici les en remercier au nom de l’ensemble des personnels du collège.

1 Comment

  1. Busson Véronique

    On n’apprend pas sans toi(t)
    Même histoire, ici, à Perpignan.
    Un de nos élèves dont la famille est demandeur d’asile était à a rue. Nous avons préparé une lettre au préfet. L’ensemble des adultes travaillant au collège a vite réagi. J’avais même des doutes à ce niveau et cela m’a rassurée. Mais il a fallu argumenter avec l’assistante sociale pour qui le problème était réglé puisque la famille dormait à l’Asti (comme si le plancher d’une salle partagé avec une autre famille le soir après 21h pouvait s’appeler un hébergement, sans douche et sans endroit où s’installer dans la journée avec un petit de 3 ans). Le problème s’est réglé, avant que nous ayons envoyé la lettre mais la situation est de plus en plus raide et insupportable et les mobilisations autour de ces familles seront de plus en plus fréquentes dans les semaines à venir.

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