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“Ni rire, ni pleurer, ni haïr. Comprendre”

La presse a abondamment relayé ces derniers temps une série de violences survenues aux abords ou à l’intérieur de plusieurs lycées. Disons clairement pour commencer que toutes ces violences ne doivent pas être tolérées.

Mais si on veut que ces condamnations ne soient pas de simples déclarations politiciennes, et soient au final accompagnées de mesures efficaces, il vaut mieux savoir exactement de quoi on parle.

En premier lieu, il faut distinguer les violences survenues aux abords des établissements du fait d’individus extérieurs à ceux-ci et celles qui se déroulent à l’intérieur et/ou mettent en cause des élèves. Les premières, comme à Tremblay-en-France ou à Saint-Denis, même dans les cas où elles peuvent être dirigées contre l’école, ce qui n’est pas toujours prouvé, mettent en question le fonctionnement de la société et la façon dont les institutions y sont considérées, mais ne sont pas des « violences scolaires », et doivent être traitées séparément.

En second lieu, il faut mesurer les violences scolaires, et les mesurer en quantité et en qualité.

Quantitativement, si quelques dizaines d’élèves, ou quelques centaines même, se sont livrés aux violences en question ces dernières semaines, cela signifie que plus de douze millions d’élèves n’y ont pas pris part, et que l’école n’est pas devenue une zone de guerre. En outre, dans les cinq dernières années, les violences physiques ont concerné moins de 1% des personnels et les études statistiques montrent qu’il n’y a pas eu, en moyenne, d’augmentation des actes violents.

Dire cela, ce n’est pas minorer ces violences, encore moins les excuser, c’est chercher à mieux les connaître pour mieux les combattre. L’ours de La Fontaine qui écrase son ami l’amateur de jardins sous une énorme pierre en voulant le protéger d’une mouche n’est pas un exemple à suivre.

D’autre part, il ne faut pas oublier, même si c’est moins vendeur, qu’à côté des violences exercées contre les personnels les violences les plus nombreuses sont celles dont sont victimes les élèves eux-mêmes : agressions physiques bien sûr, mais aussi moqueries, insultes, harcèlement (ce dernier atteignant 6 à 7 % des élèves), cyberharcèlement.

Qualitativement, la difficulté, s’agissant d’enfants, de distinguer en droit ce qui relève de qualifications pénales et ce qui n’en relève pas, l’ignorance du public pour qui souvent le terme « violence » renvoie exclusivement aux violences physiques, prêtent le flanc à ce qu’on ne considère que le nombre global des actes répréhensibles, depuis le cas de l’enfant de douze ans qui a tracé des graffitis sur un mur jusqu’à l’adolescent qui en a attendu un autre à la sortie pour un tabassage en règle. Ce mélange des genres ne peut que donner une impression d’insécurité permanente sans rapport avec la diversité des faits.

En troisième lieu, pour traiter efficacement les violences scolaires, il faut en analyser sérieusement les causes. Ceux qui propagent à l’aide de formules chocs des visions complotistes du monde ne font qu’entretenir une émotion pernicieuse. Que peuvent penser de l’école les parents qui ont lu dans tel hebdo que celle-ci est la proie d’« assassins » qui s’efforcent (avec préméditation donc, c’est la définition d’assassin) de la détruire ? Que peuvent-ils penser quand un blog d’un site connu leur annonce que « Face aux violences scolaires, l’Education Nationale fait le choix des bourreaux » ?

Des études menées récemment mettent par exemple en évidence la corrélation forte entre violence scolaire, harcèlement et discrimination (1) : traiter les deux premiers sans traiter cette dernière, c’est s’enfermer dans une démarche sécuritaire qui ne peut que sanctionner les faits sans en traiter les causes. Ceci suffit à montrer l’inanité de l’idée qu’il suffirait, évacuant toute explication sociologique, de trouver quelques boucs émissaires (au choix « pédagogistes », ethnicité, extranéité,…) pour résoudre les problèmes…

On assiste à une pénalisation des actes répréhensibles commis à l’école qui comporte deux travers. Ainsi, le memento en vigueur « Conduites à tenir en cas d’infractions en milieu scolaire » détaille les qualifications pénales de chaque infraction et les mesures à prendre. Mais cette réponse pénale ne s’applique, par définition, qu’aux infractions déjà commises. Elle n’a donc d’intérêt que si elle vient à la suite de mesures pédagogiques et structurelles visant à prévenir les actes répréhensibles et à permettre le déroulement de la scolarité dans une ambiance sereine. La fonction première de l’école est d’éduquer à la sociabilité, non de réprimer.

La prévention des violences, dans ce cadre, suppose une formation adaptée des personnels, enseignants en particulier, à l’opposé de la déstructuration qui a affecté celle-ci depuis 2008. Elle suppose également des conditions de travail et d’étude qui ne confrontent pas élèves et personnels à des classes surchargées, à des locaux inadaptés ou exigus. Elle suppose une présence suffisante d’adultes formés dans les locaux scolaires, et la possibilité de constituer des équipes éducatives pérennes. Elle suppose le développement de pratiques pédagogiques favorisant la coopération et non la rivalité, la concurrence et la sélection. Elle suppose des mesures efficaces contre les inégalités scolaires, en particulier contre une carte scolaire qui permet la constitution d’établissements « d’élite » à côté d’établissements ghettoïsés, la violence étant dans ces derniers quatre à cinq fois supérieure.

On en est encore très loin.

Alain Chevarin, Collectif Q2C

1) Voir par exemple l’article de Johanna Dagorn et S. Ruby et dans l’ouvrage L’école face à la violence : décrire, expliquer, agir que vient de publier Eric Debarbieux (A. Colin, octobre 2016).

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