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Najat Vallaud Belkacem croit en l’élite…

Comme on peut le lire dans Le Monde du 18 janvier, la ministre de l’Education nationale « croit en l’élite », formulation qui n’est pas sans poser problème, car qu’est-ce que ce « croire » ? Croit-on en l’élite comme on croit en Dieu ou comme on croit au Père-Noël ?

Il est fort probable que la ministre usant du verbe croire veuille signifier qu’elle constate l’existence d’une élite et qu’elle croit non seulement utile mais nécessaire l’existence de cette élite. En effet elle ajoute aussitôt « à condition qu’elle soit ouverte et renouvelée ».

L’élite donc serait nécessaire au fonctionnement social pour autant, dit encore la ministre, qu’elle ne soit pas alimentée par « l’élitisme dynastique » mais par « la méritocratie de gauche », c’est-à-dire cette méritocratie qui est « vigilance permanente à démocratiser l’accès à l’élite ».

Et tout ça pourquoi ? Parce que la ministre inaugure ce lundi ce qu’elle nomme les parcours d’excellence. Voici donc après l’élite et le mérite, l’excellence. Qu’est-ce à dire là encore ?

« Elle est pour moi la possibilité donnée à chacun de se réaliser au mieux de son potentiel, en accédant pourquoi pas à une classe prépa mais tout autant à une filière professionnelle. L’excellence on la trouve en philosophie, en histoire… mais aussi dans la mode ou la fonderie».

On ne peut qu’acquiescer au début de cet énoncé qui définit en quelques mots ce que devrait être la mission de l’école « donner à chacun la possibilité de se réaliser », mais les choses se compliquent dans la suite qui introduit comme par inadvertance une hiérarchisation dans ces réalisations de soi en évoquant d’abord la possibilité d’accès à une prépa puis secondement celle d’une filière professionnelle introduite par le « mais tout autant» restrictif qui situe cette dernière en position d’infériorité, donc de soumission par rapport à la première.

Hiérarchisation confirmée par la phrase suivante qui oppose à l’aide du même « mais » restrictif la philosophie et l’histoire à la mode et la fonderie autrement dit la noblesse des unes à la roture des autres.

Reprenons : voici l’élite à laquelle « croit » la ministre et à laquelle on accède par la méritocratie (de gauche) le mérite lui-même se construisant, se gagnant grâce aux parcours d’excellence. Mais qui sont celles et ceux qui bénéficieront de cette opportunité ?

« C’est le volontariat, l’envie manifestée par les élèves pour s’inscrire dans ces parcours qui vont peser ».

Il y aura donc des volontaires et les autres, comme toujours. Car les « parcours d’excellence » ont toujours existé en collège depuis la création des ZEP, depuis précisément le rejet en 1982-83 de la réforme Savary-Legrand par une grande majorité d’enseignants qui la trouvaient trop contraignante (refus du travail collectif, de l’interdisciplinarité de la pédagogie du projet…) et qui jusqu’à ce jour a été la seule réforme cohérente proposée.

De sorte qu’au gré du passage des ministres tout a été successivement tenté, pour ne pas dire improvisé : classes homogènes ou hétérogènes (en ZEP !), aides individualisées ou en groupe de niveau (après les cours !) classes technologiques, d’insertion, de tout ce que l’on voudra, pour aboutir à la dualité bonnes/mauvaises classes alimentées selon le critère de la « volonté » dont fait preuve celle-ci ou celui-là.

Volonté dont on ne sait rien, dont on ne sait toujours pas si elle tombe du ciel ou si elle est la « chose en soi » et dont on ne sait toujours pas comment la transmettre à celles et ceux qui en sont dépourvu(e)s. A moins que :

Il n’y a dans l’âme aucune volonté absolue ou libre ; mais l’âme est déterminée à vouloir ceci ou cela par une cause qui est ainsi déterminée par une autre, et cette autre l’est à son tour par une autre et ainsi à l’infini. (Ethique, Spinoza, Prop48, p.1).

Ce qui n’est rien d’autre que tomber la tête la première dans le fameux trope de la régression à l’infini.

De sorte que les parcours d’excellence en collège ou en lycée (là, d’ailleurs, tout est pratiquement joué) de la ministre actuelle n’auront pas plus d’effets que les mesures de ses prédécesseurs justement parce qu’elle croit en l’élite, en la méritocratie (de gauche), en l’excellence et donc en la compétition qui s’oppose toujours à « la possibilité pour chacun de se réaliser au mieux de son potentiel ».

Pour ma part, je ne « crois » pas à l’élite, je ne crois pas à la supériorité d’hommes et de femmes qui parce qu’ils accomplissent un certain nombre de tâches qui ont nécessité un plus ou moins long apprentissage méritent pour cela d’occuper une position dominante parfois dominatrice, méritent pour cela des rétributions pécuniaires délirantes. Car comme dit un jour le camarade Paul dans son adresse aux Corinthiens :

Qui te distingue en effet ? Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi t’enorgueillir comme si tu ne l’avais pas reçu ?

Je crois plutôt à l’utilité sociale, à celle du monsieur et/ou de la dame qui levés à cinq heures du matin prennent le premier métro pour rejoindre les beaux quartiers où ils vont nettoyer les bureaux et les lieux d’aisance des élites et sans le travail desquels les élites ne pourraient plus vivre. Je crois à l’utilité sociale du monsieur (souvent noir à notre époque) qui par pluie, vent et froid creuse une tranchée dans la rue et sans le travail duquel les élites ne pourraient déployer leurs talents.

Et je crois que l’école actuelle fonctionnant à l’élitisme, au mérite (qui eut son utilité au 18e siècle pour combattre les ordres mais qui aujourd’hui produit massivement les inégalités), à la compétition, à l’égalité des chances (cette aberration conceptuelle) et à l’idiote métaphore de l’ascenseur social, je crois que cette école se donne pour véritable mission non pas de combattre l’inégalité mais de perpétuer un élitisme héréditaire et de désigner par défaut celles et ceux qui auront leur vie durant à assumer les tâches les plus rébarbatives que nul ne choisirait d’assumer s’il avait le choix.

Ceux-là, celles-là, les vaincus de la compétition, n’auront pas eu la chance, malgré les «parcours d’excellence», de « pouvoir se réaliser au mieux de leur potentiel ».

Mais après tout ne faut-il pas dans toute société une masse de femmes et d’hommes disponibles pour assumer les tâches les plus rébarbatives mais absolument impératives ?

Alors… ?

Nestor Romero

Article publié également sur le site Mediapart
https://blogs.mediapart.fr/nestor-romero/blog/190116/najat-vallaud-belkacem-croit-en-lelite

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