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Mouvement social : voir plus loin

Défendre son droit à une pension correcte est la première raison qui a mobilisé plus que de coutume les enseignants, certes déjà échaudés pour beaucoup par l’autoritarisme de leur ministre mais cette fois menacés d’être directement touchés au porte-monnaie. Cette défense rejoint non seulement celle des salariés des transports publics mais tous ceux qui, qualifiés de « classes moyennes des pays riches » , sont encore en position de faire grève et de manifester.
Le terme est contestable, on aurait dit autrefois « couches supérieures du prolétariat », mais peu importe. Les statisticiens de l’économie (1) ont montré que depuis quelques décennies les évolutions suivantes ont eu lieu :

– les classes dirigeantes ont crû en nombre mais surtout en richesse, dans toutes les parties du monde, accumulant pouvoir et richesse à un degré jamais vu (et sans doute, du fait de la fraude fiscale, dans des proportions plus fortes que ce que les statisticiens peuvent saisir) ;

– le prolétariat « classique » des usines, des champs a aussi crû en nombre, mais en Asie et en Amérique latine, travaillant dans des conditions dignes du XIXe siècle européen (c’est à dire indignes), décroissant par contre fortement dans les pays riches, avec les traînées de désespoir et de rancœur qu’on voit aux États-Unis ou dans l’Est de l’Allemagne ;

– les salariés moyens dont nous faisons partie ont émergé en Asie et, dans une moindre proportion, dans d’autres parties du monde, donnant le ton de nombreuses révoltes, du printemps arabe à ce flot d’étincelles multipliées ces derniers mois ; les étudiants, comme dans l’Europe des années 60, l’expriment plus vigoureusement, pointe avancée de cette vitalité sociale ; mais – et là il faut redonner la voix aux statisticiens – ce sont ces salariés relativement confortables qui, dans notre partie du monde, « en prennent plein la figure », sans être forcément menacés dans leurs emplois (2): le cas des hôpitaux en France est le plus criant ;

– n’oublions pas les « interdits de travail » des pays les plus pauvres et ceux qui en proviennent et qui assurent les « dirty jobs » dans nos pays.

Sauf bien sûr pour la première catégorie qui bénéficie de ces évolutions, cette situation n’est pas acceptable. C’est à juste titre qu’elle engendre partout des révoltes, que celles-ci visent la question sociale ou les malversations endémiques des puissants.

N’est-il pas nécessaire de se demander  : quel but avons-nous ?

Il fut une époque où les croyances dans le mythe salvateur des lendemains qui chantent nous portaient ; dans des impasses bien souvent (monstruosités des « socialismes réels », logomachie vaine des minorités gauchistes), mais nous portaient ; aujourd’hui, à l’heure de la triple crise environnementale (pollutions – réduction de la biodiversité – réchauffement climatique), il nous faut un autre horizon. Autre chose que de défendre le statu quo de telle ou telle catégorie (dont les nôtres) : bien au-delà.

Car nous avons besoin de voir plus loin et, si les mythes ont vieillis, l’objectif d’égalité n’a pas pris de rides. Et, quelque soit le devenir du mouvement actuel, il faudra bien s’y mettre pour ne pas seulement réagir aux coups d’en haut, mais affirmer notre puissance collective.

Jean-Pierre Fournier, collectif Questions de classe(s)

1. Notamment Branko Milanovic, Les inégalités mondiales.
2. Voir David Graeber, Bullshit jobs.

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