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Mon collège à l’heure FN…

C’était un printemps comme tous les printemps. Il flottait dans l’air cette douceur oubliée pendant l’hiver. Un jour de 2020, l’avant-dernière de ma carrière d’enseignant.

Après un coup d’oeil distrait et machinal à la caméra vidéo surplombant le portique électronique filtrant les entrées, puis au drapeau tricolore qui flottait dans le vent, je retrouvai quelques collègues dans la salle des professeurs. Celle-ci avait été redécorée par notre chef d’établissement, arrivé après le cataclysme électoral de 2017… Un portrait de la Présidente de la République, un drapeau tricolore (encore!) et les photographies des élèves “méritants”, ceux ayant obtenu des moyennes supérieures à seize sur vingt. Les “tableaux d’honneur”. Sur le mur faisant face à celui des brillants élèves, les photographies de ceux n’ayant pas dépassé sept sur vingt. Le “mur du déshonneur”. Et puis sur un troisième support, la liste des professeurs “cités à l’ordre du collège” pour leurs résultats au Brevet. Chaque matin, je ressentais ce même écoeurement, ce même dégoût… Et j’enrageais devant l’inutilité de telles méthodes. Car les pourcentages de réussite n’avaient pas évolué depuis cette “Révolution Nationale” qui se disait éducative et les résultats des élèves de notre établissement rural présentaient même de bien inquiétants signes de faiblesse aggravée. Mais il ne fallait pas en parler. C’eût été prendre le risque d’une convocation et d’un blâme de la part de notre hiérarchie qui avait tout pouvoir, y compris celui de nous licencier sur le champ! En toute discrétion, je prenais un malin plaisir pourtant à railler ces absurdités. Résistance…

A la sonnerie du matin, les élèves, en uniformes, se rangeaient deux par deux dans la cour face au drapeau (encore!!), cette fois au pied du mât. Et gare aux retardataires, aux récalcitrants. Les surveillants, tous ayant dépassé la trentaine – il était loin le temps des “étudiants pions” – munis d’un sifflet, “chassaient” les trublions. Une fois le calme et l’ordre obtenus, une fois les rangs militairement formés avec prise de distance réglementaire, une Marseillaise était diffusée par la sono de l’établissement, reprise – c’était la règle- par tous les élèves. Deux d’entre eux, désignés la veille pour leurs classements remarquables, avaient l’honneur de hisser les trois couleurs, lentement, en gestes mesurés. La cérémonie terminée, et au coup de sifflet du Chef d’établissement lui-même, les rangées pouvaient rejoindre leur salle respective, accompagnées des enseignants, tous en costume-cravate. Chaque salle portait un nom. Il y avait la salle “Bayard”, la salle “Du Guesclin”, la salle “Charlemagne”, la salle “Jeanne d’Arc”… A l’intérieur, au-dessus de chaque tableau, trônait le portrait du Chef de l’Etat. Cette dame qui avait su si bien lisser son discours qu’elle avait séduit même les plus brillants d’entre nous. Au moins n’avait-elle pas imposé l’apprentissage par coeur de ses discours nombreux. Elle intervenait une fois par semaine sur toutes les chaînes de télévision!…

Les cours devaient, c’était la règle et les inspecteurs nouvellement nommés y veillaient avec rage, être “frontaux”. Des tables rangées en colonnes, un bureau sur une estrade faisant face aux élèves, les surplombant. Le maître sait! Le maître domine! Le “pédagogisme” n’avait plus droit de cité. Les seules méthodes tolérées étaient celles inspirées par les oeuvres du Ministre de l’Education Nationale. Dans une autre vie il avait milité contre le diable en personne, Philippe Meirieu. Il avait commis quelques articles, quelques livres, avait tenu rubrique dans un magazine “de droite”. Désormais, il faisait appliquer ce qu’il avait rêvé: l’école du par-coeur, de l’obéissance absolue, du silence imposé y compris par les châtiments corporels, de la notation chiffrée et uniquement chiffrée, avec classements et tableaux d’honneur ou de déshonneur. Il fallait bien alimenter les murs de la salle des professeurs. Chaque fin d’année se terminait, y compris en collèges et lycées, par une distribution des prix en présence des autorités de la commune. Les “cancres” n’étaient pas oubliés ce jour-là. Un bonnet d’âne leur était remis sous les huées de leurs camarades. C’est ainsi que s’opérait la sélection précoce. Qui commençait dès le primaire! Il fallait mériter la sixième. Les plus “mauvais” étaient impitoyablement obligés de redoubler puis, s’ils échouaient encore, se voyaient imposer des orientations – à neuf ans! – pré professionalisantes. Les autres avaient droit à l’apprentissage du français, des mathématiques et de l’Histoire (celle des héros et des “grandes dates” surtout et quasi exclusivement), les matières nobles dont les horaires avaient été singulièrement alourdis. Cela correspondait à l’aberrant projet du parti de notre Présidente:

« Le français, langue latine s’écrivant dans un alphabet latin, seule la méthode syllabique est appropriée pour apprendre à le lire et à l’écrire correctement. Son enseignement comprend le vocabulaire, l’orthographe, la grammaire et l’approche des grands auteurs. » S’y ajoutent d’une part des notions solides sur l’histoire de France, à partir de la chronologie et de figures symboliques qui se gravent dans les mémoires, d’autre part une connaissance de la géographie du pays, reposant sur des cartes. À l’école primaire, s’ajoute encore l’apprentissage du calcul. Tout au long de la scolarité, les enseignements doivent être délivrés dans une langue limpide, d’où sont bannis les termes jargonnant et les dernières modes qui peuvent agiter légitimement les spécialistes. L’objectif n’est pas un savoir de spécialistes, mais un viatique pour vivre ensemble. » (Extrait du programme FN)

“Vivre ensemble”… Oui bien entendu… Mais voilà… Depuis l’arrivée au pouvoir des extrémistes “nationaux-populistes”, nous ne vivions “ensemble” qu’à condition d’exclure. Bien étrange vision de l’ “ensemble”. Année après année, les étrangers outre-méditerranéens, les français musulmans, les français qui n’étaient pas “de souche”, avaient été écartés par divers moyens, ou s’étaient exclus d’eux-mêmes, les uns en retrouvant leur pays d’origine, les autres en étant inscrits dans des écoles privées, confessionnelles ou pas. A vouloir vivre ensemble mais entre “blancs catholiques français”, notre Ecole se vidaient de ses sangs… Cela faisait plaisir aux quelques collègues membres du Collectif Racine.

Souvent en quittant le collège, après avoir contourné les règles de ces programmes absurdes, après avoir salué ceux “entrés en résistance” – et nous étions nombreux! – je serrais les poings de rage.

Et puis…

Un jour, ce devait être en janvier 2021, un matin comme tous les autres matins, après avoir craché par terre devant la caméra vidéo, après avoir jeté un oeil sur les trois couleurs, celles de la Révolution, la vraie, j’entrai dans la salle des professeurs. Je pris conscience immédiatement qu’il s’était passé quelque chose… De tragique…

Marianne, une élève de quatrième, systématiquement punie, inscrite au “tableau du déshonneur” et collectionnant les bonnets d’âne, Marianne balançait au bout d’une corde dans la salle “Jeanne d’Arc”…

Marianne…

Christophe Chartreux/Professeur

Préalablement publié sur mon blog à cette adresse :
http://www.profencampagne.com/2015/03/mon-college-a-l-heure-fn.html

Texte totalement libre de droits et dont vous pouvez faire ce que bon vous semble…

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Proposition de conseil de lecture:

Marine Le Pen prise aux mots – Décryptage du nouveau discours frontiste, (Un travail extraordinaire de démolition du discours frontiste démontrant qu’entre Le Pen père et Le Pen fille, il n’y a AUCUNE différence!)
Cécile Alduy, Stéphane Wahnich au Seuil

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