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Marseillaise à l’école : une trop longue histoire commune

C’est comme un mouvement perpétuel : partant d’un « ajustement » des programmes d’EMC et de la communication effrénée du ministre, les médias se sont sentis obligés de titrer et de gloser sur le « retour » de la Marseillaise à l’école. Un retour tout autant fantasmé que les autres : « retour » de l’orthographe, de la grammaire, du calcul etc et aujourd’hui, « retour » de la Marseillaise. Une simple recherche dans les programmes officiels de l’EN, documents publics, facilement consultables, montre pourtant la remarquable permanence de l’hymne national à l’école et son renforcement compulsif ces dernières années.

Injonctions et surenchère

1985, 1995, 2005, 2008, 2015… 2018 : depuis plus de 30 ans, la Marseillaise est inscrite dans les programmes scolaires, quelle que soit la couleur de la majorité politique. En la matière, de toute façon, la question de la couleur ne se pose pas : tous les partis politiques en France, sont tricolores, dans une surenchère dont on ne voit pas la fin. De Chevènement à Blanquer, chacun tient à laisser sa marque, son nom, dans la promotion de la Marseillaise, un domaine dans lequel le précédent quinquennat s’est particulièrement illustré. Avec Vincent Peillon, notamment, peu de temps après sa prise de fonction : « Nous devons aimer notre patrie (…) apprendre notre hymne national me semble une chose évidente ». C’est à ce même Peillon que l’on doit la présence du drapeau tricolore dans les écoles (et du drapeau européen, certes, mais pas avec la même ferveur ; certaines écoles, curieusement, ne se donnent même pas la peine de le déployer). Mais, c’est l’attentat contre Charlie et l’injonction à être Charlie qui devaient donner le signal d’un déferlement patriotique sans précédent ciblant l’école, jugée coupable d’un laisser-aller moral at antinational directement responsable du terrorisme (« à l’école, on a laissé passer trop de choses », Valls). Face au péril communautariste, il était urgent d’ériger un rempart à base de leçons de morale, d’enseignement civique, de préceptes laïques, de valeurs de la république, toutes choses s’incarnant dans une nation éternelle identifiée aux yeux des enfants par le drapeau et la Marseillaise.

Dans la foulée des attentats, en décrétant l’année 2016 « année de la Marseillaise », Hollande offrait l’école à la nation, un peu comme, autrefois, on offrait la France à la Vierge. Car il s’agit bien d’un culte organisé par une circulaire officielle (3 février 2016), touchant les multiples aspects des apprentissages scolaires :

– « mobilisation des chorales scolaires » ;
– réalisation de travaux interdisciplinaires ;
– pendant les cours d’histoire et d’éducation morale et civique ;
– dans le cadre de la Fête de la musique, où « une attention toute particulière devra être accordée à l’interprétation de l’hymne national » et des manifestations sportives ;
– « la participation des élèves aux commémorations patriotiques », dernière lubie de l’Education nationale, sera encouragée, voire imposée ;
– le tout appuyé par un partenariat renforcé avec des institutions aux compétences éducatives bien connues comme le ministère de la Défense et les associations d’anciens combattants.

Il faut croire que ce n’était pas suffisant puisque, dans le même temps, les parlementaires faisaient feu de tout bois pour renforcer encore plus la présence des symboles nationaux à l’école ; les propositions de loi fleurissent : institution d’une « journée du drapeau » à l’école, texte de la Marseillaise affiché dans toutes les classes etc. Une imagination débridée pour la promotion de la nation, mais une mobilisation qui a dû échapper au CSP, aux médias également, qui, en juin 2018, peuvent annoncer avec fracas le « retour de la Marseillaise à l’école »…

Le sang impur dans les sillons de l’école

Le problème, avec cet écran de fumée sur la visibilité de la Marseillaise à l’école, c’est qu’il a pour effet de masquer une question d’un tout autre intérêt, celle de la signification et de la légitimité des symboles nationaux dans la formation des élèves. Sur le sens que pouvait bien avoir l’hymne national aux yeux d’élèves souvent très jeunes, l’inintelligibilité des paroles et surtout leur violence ont déjà fait l’objet de débats qui ramènent au contexte historique : syntaxe et vocabulaire datés rendant le texte incompréhensible mais surtout une rhétorique ambigüe que la référence au moment révolutionnaire n’éclaire guère et surtout justifie encore moins. Les thuriféraires d’une Marseillaise « de gauche », sociale, révolutionnaire, ont beau expliquer que le « sang impur » était en réalité celui des aristocrates oppresseurs du peuple, que la France était en guerre (en oubliant de préciser que c’est elle qui l’avait déclarée…), que la fin justifie les moyens, il n’empêche que dans une salle de classe aujourd’hui, l’injonction à verser le sang impur, à déshumaniser l’adversaire pour pouvoir l’éliminer sans scrupules, tout cela est non seulement indécent mais en contradiction avec les fondements d’une éducation basée sur le respect de l’autre et le refus de la violence.

De son origine guerrière, la Marseillaise a conservé ses accents brutaux et belliqueux que des tentatives pour lui donner de nouvelles paroles, notamment à l’école, ont à plusieurs occasions tenté de gommer. Mais sans réussir à s’institutionnaliser, ni même à s’ouvrir les portes des écoles où les enseignants, guère critiques, persistent à mettre dans la bouche et dans la tête de très jeunes enfants des paroles et des images de nature bien peu éducatives. Peu éducatives et pourtant normatives et coercitives : aujourd’hui, le refus de chanter la Marseillaise à l’école est considéré, le plus officiellement du monde, comme une « atteinte à la laïcité » et doit être dénoncée comme telle aux autorités ! Il est vrai que dans un pays où « l’outrage aux symboles nationaux » constitue un délit passible de six mois de prison et de 7500 euros d’amende (!), l’attachement aveugle à la nation et à ses oripeaux, protégé par la menace et la coercition, fait davantage que la raison.

Hors de la nation, pas de salut ?

Indépendamment de ces considérations, le débat sur la place de la Marseillaise à l’école – trop souvent réduit à des lieux communs, aux affirmations de gros bon sens – laisse trop de choses en suspens parce que n’interrogeant jamais sa finalité : un hymne national restant par principe un hymne à la nation, il paraît curieux que cette dernière ne soit jamais interrogée (ou rarement), considérée comme allant de soi, toute forme de communauté non-nationale se voyant qualifiée du terme infâmant de « communautariste ». Depuis ses origines, l’école républicaine s’attache comme à un dogme indéfectible à la nécessité de faire émerger chez l’enfant une « conscience nationale » ; par l’apprentissage de l’hymne national, comme par l’enseignement de l’histoire, l’école s’affiche comme le creuset d’une identité collective qui ne s’imagine pas autrement que nationale. Outre le flou sémantique qui entoure le concept, on ne voit pourtant pas pourquoi l’identité collective devrait se réduire ou se ramener en priorité à une appartenance organisée autour d’une invention récente dans l’histoire de l’humanité, la nation, pas plus légitime ni indiscutable que n’importe quel autre artifice par lequel le pouvoir politique a cherché à asseoir sa domination sur la société. Le sentiment national, n’a rien de naturel, notamment chez les enfants, « il n’est spontané que lorsqu’il a été parfaitement intériorisé ; il faut préalablement l’avoir enseigné » (1). Cet enseignement de l’histoire, notamment à l’école primaire, reste aujourd’hui encore marqué par le « mythe national » analysé par Suzanne Citron (2), cette « mise en scène du passé » imaginée par les détenteurs du pouvoir, monarchique comme républicain, dans le but de conforter une autorité que la nation permet de sacraliser.

Porteur d’une identité réductrice et historiquement peu fondée, le sentiment national conserve aujourd’hui encore de ses origines sa composante guerrière, agressive, ciblant une menace étrangère protéiforme, aux multiples visages – selon les périodes Allemands, Anglais, barbares, migrants aujourd’hui – perpétuellement revenue. C’est cet élément qui est mis en avant dans la Marseillaise. Loin d’être rassembleur, l’hymne national enferme les individus dans un commun artificiel et attise les peurs. Que son renforcement dans les programmes scolaires ces dernières années aille de pair avec le retour des frontières et des barbelés, avec la prolifération des camps, est dans la logique des choses. La Marseillaise a nécessairement à voir avec l’atmosphère de forteresse assiégée qui gangrène la société et le débat politique. « Nous » aurions des « valeurs », à défendre, quelque chose d’unique au monde. Mais qui est ce nous ? Quelles valeurs à défendre et contre qui ?

Injonctions à répétition autour de la place des symboles nationaux, de l’enseignement de l’histoire, de la participation forcée des élèves aux cérémonies patriotiques, implication directe de l’école dans un sidérant projet de service national obligatoire : quelle école au service de quelle idéologie et pour quelle société ?

(1) Anne-Marie THIESSE, La création des identités nationales, Le Seuil, 2001.
(2) Suzanne CITRON, Le mythe national, l’histoire de France revisitée, Les Editions de l’Atelier/Editions ouvrières, Paris, 2017.

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