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Lettre ouverte à la Ministre de l’Education Nationale du collectif FLE Sud-Est

Le Collectif FLE Sud-Est

collectifflesudest.marseille@gmail.com

Marseille, le 8 juin 2015,

À Mme Najat VALLAUD -BELKACEM

Ministre de l’Éducation Nationale,

de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche,

Madame,

Le jeudi 22 janvier 2015, vous avez annoncé « onze mesures pour une grande mobilisation de l’École pour les valeurs de la République ». Parmi elles, la sixième mesure avait pour but d’« engager un chantier prioritaire pour la maîtrise du français » dans le but de « combattre les inégalités et favoriser la mixité sociale pour renforcer le sentiment d’appartenance dans la République ». À ce titre, vous vous êtes engagée à ce que « les apprentissages des élèves allophones nouvellement arrivés en France soient facilités par l’enseignement spécifique du français langue seconde et la mise en place de dispositifs d’inclusion scolaire ». Par ailleurs, vous avez stipulé que « les moyens du dispositif “Ouvrir l’École aux Parents pour la Réussite des Enfants” seraient renforcés ».

Nous avons pris connaissance de votre projet de réforme du collège pour la rentrée 2016, mais nous n’avons vu apparaître aucune clause significative sur ces deux points. C’est à ce titre que nous, membres du collectif FLE Sud-Est, vous interpellons, par la présente.

Le collectif FLE Sud-Est est un groupement de personnes qui souhaitent questionner les pratiques inhérentes à la formation Français Langue Étrangère au sens large (personnes relevant de besoins en FLE, alphabétisation, ou en situations d’illettrisme). Il s’intéresse à la transmission de la langue française en tant qu’outil de communication au quotidien, outil de construction de la pensée, outil de développement de l’imaginaire, de l’esprit critique, parce que la langue façonne nos regards sur le monde et notre construction personnelle, parce qu’elle nous permet de nous émanciper et de faire valoir nos droits, parce qu’elle est source d’échanges, de rencontres, de questionnements, de partages. À ce titre, les membres du collectif se reconnaissent comme passeurs de langues.

C’est donc en tant que passionnés des langues comme outil d’émancipation collective, mais aussi en tant que spécialistes de didactique et pédagogie du Français en tant que Langue Étrangère, en tant que professionnels engagés au quotidien sur le terrain auprès des personnes rencontrant des difficultés avec la langue française, c’est à travers tous ces visages que nous venons à vous aujourd’hui, espérant retenir votre attention, votre curiosité, et en espérant générer un échange constructif, entre acteurs de terrains et législateurs.

La spécificité du Français Langue Étrangère est reconnue institutionnellement depuis 1983, quand les premières filières universitaires ont été créées. Réservés principalement à l’origine à l’enseignement de la langue et de la culture françaises à l’étranger, pour le rayonnement de la France, les cursus proposés se sont au cours du temps ouverts à l’enseignement aux allophones sur le territoire national, par l’émergence de concepts comme le Français Langue Seconde ou le Français Langue de Scolarisation, jusqu’à inclure des modules sur l’alphabétisation ou la lutte contre l’illettrisme.

Le FLE est une discipline à part entière dont l’approche diffère du Français Langue Maternelle. L’objet que nous avons à transmettre est une langue de communication écrite et orale. Ces différences nécessitent une pédagogie et des méthodes spécifiques aux langues vivantes, qui justifient des techniques, un savoir-faire, une connaissance de la matière à enseigner que nous, formateurs en FLE, avons acquis dans nos différents cursus (avec les sacrifices que cinq années d’études peuvent demander) et que nous avons affinés au gré de nos expériences professionnelles.

Au sein de l’Éducation Nationale, les apprenants concernés par ces approches spécifiques sont nombreux. Les professionnels du FLE, que nous représentons aujourd’hui en partie, aimeraient pouvoir prendre part plus activement à l’élaboration des réponses pédagogiques apportées à ces élèves dans l’Éducation Nationale. À ce jour, les seules possibilités d’intervention que nous avons sont des vacations, avec un nombre d’heures maximum autorisé par an. Ces conditions nous permettent difficilement de mener à bien notre travail. Nous aimerions pouvoir pleinement participer à l’accueil des élèves, au repérage de leurs besoins, à leur formation et à l’ingénierie de cette formation. Nous aimerions également pouvoir assurer un réel suivi des élèves, tisser des liens plus forts et pouvoir organiser une vraie coordination avec le reste de l’équipe éducative dans les établissements, missions qui nous sont impossibles dans les conditions présentes.

La réponse pédagogique actuelle nous semble incomplète, et entraîne de fait pour les élèves une exclusion, des classes ordinaires dans un premier temps, puis du système scolaire, et pourquoi pas du système social actuel. Si l’État s’engage à favoriser la transmission du Français Langue Seconde au sein de l’Éducation Nationale, ne doit-il pas permettre l’accès des professionnels diplômés au sein de son cursus pour construire ensemble une réponse pédagogique adaptée ?

Actuellement, des assises sur les valeurs de la République ont lieu dans divers établissements marseillais. Les deux questions qui y sont travaillées sont les suivantes :

– Comment associer pleinement les parents d’élèves à la mission éducative de l’école ?

– Comment mobiliser les acteurs associatifs, le monde économique et la société civile pour soutenir l’École dans son action de lutte contre les déterminismes sociaux ?

Les dispositifs de FLE du type « Ouvrir l’École aux Parents pour la Réussite des Enfants » (OEPRE) nous semblent répondre parfaitement à cette demande de mobilisation des parents et des acteurs sociaux. En effet, notre action nous semble très importante et à mettre en lien avec l’action de nombreux partenaires associatifs qui cherchent à mobiliser des parents (par exemple, les « Cafés des parents »). Nous observons la difficulté de ces acteurs à rassembler les parents autour des missions éducatives et ne pouvons que la comparer avec la forte mobilisation que nous constatons dans nos cours – souvent la liste d’attente est longue!

Une question nous vient alors : pourquoi ne pas associer nos actions? Nous soutenons fortement votre volonté de renforcer le dispositif « Ouvrir l’École aux Parents pour la Réussite des Enfants » qui nous semble être un outil efficace en termes d’intégration et de lutte contre les déterminismes sociaux. Par ailleurs, notre travail de terrain nous montre aussi la réalité des situations économiques et sociales des familles que nous accompagnons. En effet, nos partenaires nous signalent souvent le besoin important de formation de base des parents pour pouvoir se mobiliser dans la scolarité de leurs enfants ; bien souvent, les parents ne se sentent pas légitimes face à l’école, tout un travail de confiance en soi par le biais de l’acquisition des savoirs de base doit alors être mis en place.

Ce travail nous semble difficile à réaliser dans les conditions actuelles. Les formateurs engagés pour ces missions le sont en tant que vacataires, avec un maximum de 120 heures par an, sans assurance de suivi d’une année sur l’autre, et sans aucune intégration à l’équipe pédagogique de l’établissement. Nous pensons qu’une forme de pérennisation de ces postes serait profitable à tous.

Il nous semble également difficile de mener à bien notre tâche si nous devons réserver ces dispositifs à une catégorie bien précise de parents (depuis la circulaire du 14 novembre 2014, le dispositif OEPRE est réservé aux signataires du CAI qui résident depuis moins de 5 ans sur le territoire). À partir du moment où l’école accueille tous les enfants sans aucune restriction administrative, et c’est en partie ce qui fait la grandeur du système éducatif français (l’école publique pour tous), il nous semble essentiel si l’on souhaite « mobiliser les parents à la mission éducative de l’école » de les accueillir de la même manière sans restriction administrative, et ce, au profit des enfants et de la mission inclusive de l’école de la République.

L’ensemble de ces réflexions a motivé notre volonté d’interagir avec vous. Face à ces constats, quelles propositions auriez-vous ? Nous avons l’espoir que ces questions donneront suite à des échanges constructifs, pour lesquels nous restons disponibles.

Veuillez agréer, Madame la Ministre, l’expression de nos salutations,

Cordialement,

Le Collectif FLE Sud-Est

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