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“Les vies noires comptent”, un extrait de la contestation sociale aux USA…

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Sur le site d’un AUTRE FUTUR vous pouvez lire en ce moment plusieurs articles intéressants de Fabien D. sur différents aspects du mouvement social contestataire aux USA. Ils sont construits autour de témoignages et d’interviews qu’il est allé collecter auprès de différents militants, notamment à Baltimore, lors des actions et marches contre la violence policière à l’égard de la population noire. A bien des égards, leur témoignage et leur analyse font écho à nos critiques des choix politiques, sécuritaires et policiers que les états européens présentent comme solution ou réponse à “l’insécurité sociale” des populations relégués et exclues par le capitalisme globalisé.

Cet extrait de l’ article Baltimore et le mouvement « Black Lives Matter donne la parole à des militants du mouvement “Black Lives Matter” à Baltimore, qui proteste contre les violences policières et le racisme. Ce mouvement a particulièrement attiré l’attention médiatique en 2015 en raison des arrestations et des violences qui ont accompagné certaines manifestations, suite à l’assassinat par la police de Freddie Gray. Ce texte permet plus précisément de prendre connaissance des enjeux sociaux à l’origine du mouvement, en soulignant notamment la liaison effectuée à Baltimore entre forces de police et système éducatif, ainsi que les inégalités auxquelles celui-ci contribue.
Lien vers l’article.

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(…)
Pouvez-vous présenter plus généralement la situation sociale à Baltimore ?

SB : Ici, à Baltimore, il y a beaucoup de problèmes, ce n’est pas juste une question raciale ou de brutalité policière. C’est aussi la question du capitalisme et beaucoup de gens n’ont pas conscience de la façon dont les choses sont structurées… Tu sais, trouver un logement est difficile, il y a beaucoup de jeunes qui finissent dans la rue, à peut-être vendre de la drogue ou à voler, ou à commettre des crimes mais on ne regarde pas l’environnement qui encourage cela. Dans le système scolaire, maintenant, c’est tolérance zéro. Tout gamin dont peut-être le comportement n’est pas bon va être viré de l’école, donc nos enfants sont poussés en dehors de l’école… Il y a beaucoup de parents de mon âge (j’ai 22 ans). Nos parents sont des années 70 et 80, quand le crack , les drogues ont vraiment explosé, spécialement sur la côte Est et tu vois beaucoup de jeunes ici qui n’ont même pas de parents. Ils cherchent vraiment leurs parents et se retrouvent dans la rue, en prison, c’est comme si tu étais banni, comme rejeté, tu vois ce que je veux dire. Une de mes auteures favorites, Michelle Alexander, l’auteure de The New Jim Crow, parle du lien entre capitalisme, prison et école et le racisme est un facteur important. A Baltimore, il y a aussi la loi sur le couvre-feu qui exige que tous les enfants de moins de 14 ans soient chez eux à 9 heures les soirs d’école et que les mineurs de plus de 14 ans soient chez eux à 10 heures les soirs d’école et à 11h les week-end et durant l’été. Ils peuvent être mis en détention, avoir une amende, avoir des poursuites pénales. C’est vraiment dur. Dans chaque district policier, ils ont ouvert des centres de détention. A un niveau plus profond, je pense que c’est juste une guerre à l’égard des pauvres et des personnes noires.

Par ailleurs, le maire, les responsables de la ville utilisent le mot « sécurité » à propos de la présence de la police au sein du système scolaire. Mais la sécurité, ce n’est pas juste la sécurité physique, cela concerne à la fois le corps et l’esprit. J’ai été élevé à Baltimore. J’ai vu de près beaucoup d’enfants qui ont eu à endurer des traumas. Dans cette situation, même à l’école tout le monde est contre tout le monde : les noirs contre les policiers et même les noirs les uns contre les autres au sein de la communauté parce que personne ne se sent en sécurité nulle part. Donc si c’est une question de sécurité, ne mettez pas des policiers avec des armes dans l’école, parce que cela va renforcer la culture du « c’est normal d’avoir des armes à l’école ». Cela va amener plus de crime. Si c’était vraiment une question de sécurité, il y aurait plus de conseillers, il y aurait plus de ressources pour la communauté et pas juste ces lois à la con. Cela ne va aider personne.

Isaac Dalto : Dans notre ville, il y a 65% de noirs et 30% de blancs,. Environ 622 000 personnes vivent ici.

L’industrie (illégale) de la drogue est un des plus gros secteurs de l’économie ici. C’est une économie complètement dérégulée et non imposée, bien entendu ! Le commerce d’héroïne, en particulier, est une sorte de choix économique rationnel pour beaucoup de gens. Parce que si tu n’as pas d’éducation universitaire à Baltimore, les boulots qui te sont ouverts vont être dans le secteur des services ou peut-être des soins à domicile mais dans tous les cas avec le salaire minimum, c’est-à-dire presque rien. Le plus gros employeur de la ville est l’université Johns Hopkins. C’est un des plus gros secteurs de l’économie avec la santé. Baltimore était une ville de commerce maritime. Ces 30 ou 40 dernières années, il y a eu une période de désindustrialisation, comme dans le reste de la « Rust Belt » [« ceinture de la rouille », région industrielle du Nord-Est des États-Unis, ndt]. Aujourd’hui, les secteurs qui progressent le plus rapidement dans la ville sont la restauration et la santé. Je crois que les emplois en plus forte croissance à Baltimore sont des emplois de caissier et de gardien de sécurité.

Il y a beaucoup de « food deserts », de « déserts alimentaires » à Baltimore, dans la partie la plus à l’ouest. Cela veut dire qu’il y a des endroits où il n’y a pas de nourriture, pas de magasins d’alimentation disponibles. Les gens doivent se déplacer pour trouver un supermarché ou une épicerie. C’est comme un mur, délimité racialement, séparant la partie Est et la partie Ouest. A l’ouest, ce sont les déserts alimentaires, travailler dans l’économie de la drogue est un choix rationnel, etc… La dynamique générale est que les gens riches sont encouragés à venir vers le milieu de la ville et les autres, comme la valeur de la propriété augmente, sont envoyés ailleurs, comme tu peux le voir dans beaucoup d’autres endroits.

SB : Il y a beaucoup de coupures (dans les services), les gens s’inquiètent des factures excessives ou non-payées. Il y a beaucoup d’aspects différents, mais c’est aussi le capitalisme, c’est pour cela que les gens se font tuer, surtout la jeunesse noire et à la peau brune, c’est pour cela que nous n’avons pas de travail, que nous sommes sans domicile, c’est fou. Honnêtement, une bonne chose à propos de cette affaire de Freddie Gray, c’est qu’avant cela, avec les autres cas à Baltimore, les gens savaient, mais… Celui-là a vraiment sorti les gens de chez eux et ils se sont racontés leurs histoires et ils ont pris la rue. J’ai l’impression qu’avant il y avait une sorte de désespoir, « les noirs tuent des noirs tout le temps, on ne comprend pas comment cela a pu commencer » (…)

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