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Les députés et le service national : l’école en première ligne

Pressée par les circonstances, la commission de la Défense à l’Assemblée nationale a dévoilé son rapport sur le service national universel (SNU), un rapport dont les grandes lignes étaient en réalité connues depuis plusieurs semaines. Au cours de la séance, les parlementaires ont beaucoup parlé endoctrinement, encadrement militaire, enfermement.

S’écartant sensiblement du projet initialement prévu – mais finalement repris par Macron – d’un enfermement d’une durée limitée pour les 18-21 ans, les parlementaires optent pour un « parcours citoyen » visant principalement la tranche d’âge 11-16 ans et tout spécialement les collégiens jugés plus influençables, plus « malléables », comme le disait un ancien ministre de la Défense, que des lycéens ou des étudiants. De fait, il s’agirait, pour les années collège, de reprendre et de renforcer les principes de l’éducation à la défense : « renforcer l’esprit de défense » est bien l’objectif prioritaire mis en avant par les deux rapporteures. L’enseignement comporterait « des ateliers pratiques » (entraînement au lancer de grenades ?), des « visites de sites », une participation aux cérémonies patriotiques, ce que les rapporteures appellent un « lissage des pratiques pédagogiques » (sic). Innovation majeure : une semaine annuelle obligatoire de « défense et de citoyenneté » au cours de laquelle les établissements verraient débouler des militaires, des pompiers, des gendarmes, des anciens combattants, missionnés pour apprendre aux collégiens comment devenir citoyens.

Pour la seconde étape (à 16 ans), les points de vue de la commission divergent : certains envisagent une semaine en internat, consacrée à faire du sport, des exercices de confinement, évaluer la maîtrise de la langue française etc (oui, ce passionnant programme a bien été élaboré par la représentation nationale, réputée sérieuse), alors que d’autres seraient plutôt partisans d’ « une semaine d’immersion au sein d’une structure à choisir parmi une liste d’acteurs publics et associatifs agréés, afin de vivre concrètement l’engagement ». Ne resterait alors qu’à trouver la liste des acteurs en question, susceptibles d’accueillir d’un coup 800 000 jeunes mais aussi d’obtenir l’accord des parents, les parlementaires s’étant rendu compte que le public concerné était constitué de mineurs.

Enfin, la dernière étape (16-25 ans) serait « incitative » : comprenez que les jeunes seraient poussés à s’engager dans « les préparations militaires, les jeunes sapeurs-pompiers, les engagements associatifs, le service civique ou encore la garde nationale. » Si, pour cet âge, la commission s’avoue « convaincue que les contraintes seraient contre-productives », cette référence au libre choix est par contre totalement écartée pour les plus jeunes, le collège se voyant d’office réquisitionné pour faire passer un message principalement militaire. Un endoctrinement rampant du cursus scolaire en germe depuis de nombreuses années dans l’éducation à la défense.

Pour loufoque et malgré tout brutal que paraisse ce projet, son idéologie sous-jacente n’en est pas moins chaudement approuvée par l’ensemble des membres de la commission, avec toutefois, une réserve largement partagée : ces jeunes, finalement, ne pourrait-on pas les enfermer davantage ?

Par exemple, pour « faire renaître le sens du devoir et de l’autorité », Christophe Blanchet (LRM) ne manque pas d’idées : « il faut donc instaurer un service national obligatoire en deux temps, reposant d’une part sur une période de douze jours en internat, sous encadrement militaire » – ce que le député appelle un service « émancipateur » – afin de développer chez les intéressés une liste impressionnante de qualités – « cohésion, courage, bienveillance, liberté, respect, devoir de mémoire, exemplarité, humilité, probité, dévouement, solidarité, responsabilité, sens du devoir, résilience, goût de l’effort » – qualités qui font tellement défaut aux jeunes alors qu’elles sont tellement développées chez les parlementaires…

Jean-Christophe Lagarde (UDI), lui, voudrait voir se multiplier des interventions militaires dans les lycées ainsi qu’un service obligatoire de deux mois.

Pour Jean-Michel Jacques (LRM), « une imprégnation militaire dès le début du parcours paraît indispensable ». Sous forme de bataillons scolaires, par exemple, ou encore d’enfants-soldats ?

Louis Aliot (FN) regrette de son côté « un déficit d’aspect militaire » et demande un service militaire obligatoire.

Enfin, dans la surenchère, le représentant de la France dite « insoumise » (Bastien Lachaud), fait également très fort en rappelant la préférence de son parti pour un service obligatoire d’une durée de 9 mois, destiné à rappeler « le lien indissoluble entre l’armée et la nation. » Insoumis ?

Au cours de cette séance, l’une des seules interventions un peu raisonnables est à mettre au crédit – c’est un comble – d’un député LR (Damien Abad), pas spécialement motivé par des considérations pacifistes mais financières : une « hérésie budgétaire », lance-t-il au président de la commission qui n’a d’autres réponses que de lui couper grossièrement la parole. Même au sein de la commission de la défense de l’Assemblée nationale, les dépenses militaires sont un sujet tabou…

En fin de séance, pourtant, un député (Didier Baichère, LRM) s’interroge sur la notion même de service obligatoire : « Il n’en demeure pas moins qu’on ne pourra pas l’imposer à la jeunesse, du moins sans courir un risque. Au cours de vos auditions, avez-vous pu entendre les organisations représentatives de la jeunesse pour mesurer leur perception d’un tel service ? » A cette interrogation pourtant légitime, il ne se trouve personne pour répondre…

De toute façon, ce rapport parlementaire a déjà été enterré par Macron, avant même sa publication, nouvelle illustration du mépris du prince-président pour le débat public, un débat tenu de s’effacer à chaque fois qu’est mentionnée une « promesse » du président. Une gouvernance infantile pour un pays qui se laisse trop facilement infantiliser. Mais quelle que soit la forme retenue pour le SNU – enfermement généralisé pour Macron, « parcours citoyen » pour les députés – on retrouve dans les deux options les mêmes illusions, le même système de pensée, les mêmes mensonges dès lors qu’il est question de citoyenneté et de défense. Illusion qui consiste à penser la construction de la citoyenneté comme une leçon de morale qu’on adresse aux jeunes et à eux seuls pour mieux se dédouaner de ses propres responsabilités. Confusion constamment entretenue entre citoyenneté et défense, entre défense et armée, cette dernière n’ayant jamais été (ou alors très exceptionnellement) au service des citoyens dans leur ensemble. Imposture autour du « brassage social » revendiqué par les défenseurs d’un service obligatoire, mais un brassage qui ne concernerait que les jeunes sans avoir à remettre en cause les fondements d’une société profondément inégalitaire. Profonde méfiance pour un système éducatif, une école, qu’il faudrait étayer, prolonger par un dispositif de coercition et de contraintes où l’enfermement tient une place de choix (internat, caserne). Incapacité à reconnaître que, sur certains sujets, le regard critique puisse s’exercer : sur l’armée, sur la guerre, sur la citoyenneté, l’endoctrinement l’emporte sur la liberté de conscience.

Reste une dernière interrogation : à travers les différents projets de service obligatoire, c’est bien une classe d’âge qui est visée mais aussi l’école. Pourquoi, dans ces conditions, les acteurs de l’école restent-ils aussi obstinément silencieux devant ce qui s’annonce comme un recul majeur des libertés publiques ? « Le monde enseignant – affirme Emilie Guerel, une des rapporteures de la commission – nous a paru très enclin à participer au futur dispositif, dont les acteurs perçoivent bien toute l’utilité. » C’est vrai, ça ?

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