Menu Fermer

La scolarisation des enfants migrants : enjeux sociaux et perspectives historiques (1ère partie)


Enseignant dans les dispositifs d’accueil pour les élèves migrants depuis 15 ans et membre du collectif d’animation de Questions de classe(s), Grégory Chambat revient dans cet entretien en deux parties sur la situation de la scolarisation de ces élèves d’un point de vue administratif et historique (1ère partie) mais aussi d’un point de vue pédagogique, dans le concret du vécu des établissements scolaires (2ème partie).




Questions de classe(s) – Depuis quand – et comment – s’est posée la question de la scolarisation des enfants et des jeunes migrants ? Y a-t-il eu un lien entre l’alphabétisation des adultes, souvent assurée par des bénévoles associatifs ou des centres d’apprentissage patronaux, et l’établissement de structures « Éducation nationale » ?


Grégory Chambat – En réalité il y a deux dimensions à la question de la scolarisation des élèves migrants : celle de l’apprentissage du français comme « langue seconde » (FLS) et celle de la scolarisation des élèves « étrangers ».

Sur le premier point, il faut remonter à loin : lorsque Jules Ferry instaure l’école de la IIIe République, l’un de ses principes c’est que « la langue fait patrie ». Pour l’école revancharde et nationaliste (après la défaite de 1870), c’est d’abord la formation de jeunes « citoyens patriotes » qui est à l’ordre du jour (c’est la raison pour laquelle, à côté de l’apprentissage du « lire, écrire, compter », Jules Ferry introduit l’enseignement de l’histoire et de la géographie). Dans un pays où le français n’est pas encore la langue maternelle de la totalité de la population, les maîtres sont habitués à enseigner le français comme une langue « étrangère ». Les problématiques ne sont alors pas les mêmes qu’aujourd’hui. C’est peut-être le point qui permet de relier le Ferry « éducateur » du Ferry « colonisateur ». Dans les campagnes reculées ou les lointaines colonies, c’est un même souci d’unifier la nation et l’Empire à travers la politique scolaire. On ne se demande donc pas si les « petits français » sont déjà entrés dans la langue, il paraît évident que c’est la mission de l’école et de ses instituteurs de leur apprendre « le français ». À défaut d’y être « formés », les instituteurs y sont du moins habitués. C’est une mission qui est loin d’être remplie lorsque l’on sait qu’en Algérie – non pas « colonie » mais « département » français à part entière… – le niveau d’alphabétisation au lendemain de l’indépendance est inférieur à celui d’avant l’arrivée des colons… C’est d’ailleurs dans le contexte de la décolonisation, dans les années 1960, que la question du « français langue seconde » va émerger. Au Sénégal, par exemple, les pédagogues vont réfléchir à la manière d’enseigner cette langue qui sera celle de la scolarisation mais qui n’est pas celle parlée à la maison ou dans la rue… Il faudra attendre plus de 30 ans pour que cette réflexion irrigue l’apprentissage du français auprès des nouveaux-arrivants en France et qu’on en finisse (même si ce n’est pas encore tout à fait le cas, hélas ! – avec l’appellation de « FLE – Français langue étrangère » qui est tout autre chose que l’apprentissage d’une langue qui sera celle des études, du travail, etc.).

Pour « sauter » à la deuxième partie de la question, c’est en dehors de l’institution que les premiers cours pour les élèves étrangers, seront donnés dans les années 20-30. Les employeurs des grandes usines du nord et de l’est sont les premiers à ouvrir des écoles pour les enfants de leurs employés (polonais et italiens, principalement) et font venir des maîtres des pays d’origine. Ce sont des cours privés, financés par les patrons – et ce sont un peu les ancêtres de l’Enseignement des langues et cultures d’origines des années 70 (les Elco)En ce qui concerne la scolarisation des enfants étrangers – rappelons-le, elle ne recoupe pas la problématique de la langue : on peut être étranger et parler français ou français et ne pas avoir le français comme langue maternelle… – elle est tranchée définitivement, du moins en droit, sous le Front populaire par la Loi sur l’inscription des enfants d’étrangers résidant en France du 9 août 1936 (article 4) « L’instruction primaire est obligatoire pour les enfants des deux sexes français et étrangers, âgés de 6 à 14 ans. » Depuis cette date, tout jeune ayant moins de 16 ans (puisque l’âge a été relevé depuis le texte de 36) a droit d’être scolarisé sans aucune condition administrative (on ne peut demander des papiers ni lors de l’inscription ni lors des examens délivrés par l’Éducation nationale, une attestation scolaire suffit – le cas des stages et de l’apprentissage est en revanche beaucoup plus compliqué…). Une loi trop souvent violée par les municipalités qui refusent, encore aujourd’hui, d’inscrire les enfants Rroms… C’est dans les années 70 (alors qu’entre 1936 et 1968 la question de la scolarisation des étrangers ou des migrants n’est plus jamais évoquée dans les instructions officielles) que ressurgit l’attention portée à cet enjeu, en particulier avec la politique du regroupement familial (600 000 enfants environs sont concernés dans ces années). Des structures d’accueil en primaire sont mises en place (Clin – Classes d’initiation), puis, avec le collège unique, également dans le second degré (au collège les CLAD – Classes d’adaptation qui deviendront les CLA – Classes de liaison et d’accueil ; au lycée les Clio Classe d’initiation et d’orientation).

Il est important de s’arrêter sur le choix des termes alors employés dans les différentes circulaires, il éclaire l’image qu’on se fait de ces élèves :

– en 1970, les Clin (Classes d’initiation) dans le primaire sont destinés aux « enfants étrangers » (une définition administrative sans lien automatique avec la maîtrise de la langue).


– en 1973,
les Clad (Classes d’adaptation en collège) visent la scolarisation « des enfants étrangers non francophones ».

– en 1975 les Elco (Enseignement des langues et cultures d’origine : 1973 pour le portugais, puis Italie, Tunisie, Maroc, Espagne, Yougoslavie, Turquie et Algérie en 1981) sont mis en place à l’intention « des élèves immigrés », « des enfants issus de l’immigration », ou « des petits immigrés ».

– en 1976 c’est la création des Centres de formation et d’information pour la scolarisation des “enfants de migrants” (Cefisem).

– en 1978 une circulaire évoque un « handicap linguistique » pour ces élèves.

– en 1986, nouvelle circulaire sur la scolarisation des « seuls enfants étrangers non-francophones nouvellement arrivés en France » mais le texte parlent aussi « des élèves étrangers ». On passe des « classes » (pérennes et « fermées ») à des « dispositifs d’accueil » (temporaires) avec une double inscription dans une classe de rattachement correspondant à l’âge de l’élève. L’enfant y suit quelques cours (Arts plastiques, EPS, musique, etc.)

– en 2002, publication d’une circulaire relative à l’organisation de la scolarité des « élèves nouvellement arrivés en France sans maîtrise de la langue française ou des apprentissages » et à la création des Casnav (Centres académiques pour la scolarisation des nouveaux arrivants et des enfants du voyage) en remplacement des Cefisem.

– enfin, en 2012, la circulaire d’organisation de la scolarité « des élèves allophones nouvellement arrivés » précise « Assurer les meilleures conditions de l’intégration des élèves allophones arrivant en France est un devoir de la République et de son École. […] L’École doit aussi être vécue comme un lieu de sécurité par ces enfants et leurs familles […] les élèves soumis à l’obligation scolaire et les élèves de plus de 16 ans doivent être inscrits dans la classe de leur âge. La scolarisation des élèves allophones concerne l’ensemble des équipes éducatives. » Les UPE2A (Unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants) remplacent les Clin, Cla et Clio. On y enseigne le FLS (français langue seconde et de scolarisation). Pour l’année scolaire 2010-2011 (derniers chiffres publiés), il y avait 38 100 nouveaux arrivants allophones de plus de 6 ans. Rapportés à la population scolaire, c’est 0,4 % de l’ensemble des élèves de métropole et 0,8 % des élèves des départements d’outre-mer. S’y ajoutent près de 1 700 jeunes de plus de 16 ans pris en charge par les missions générales d’insertion et les Greta.

C’est effectivement pour ces derniers – de plus en plus nombreux du fait des entraves au regroupement familial qui retardent l’âge d’arrivée – que les choses se compliquent. Passé 16 ans, la scolarisation n’est plus « de droit », même si elle est possible. Le jeune peut alors tenter un examen d’entrée en lycée à condition d’avoir un niveau suffisant. Il peut postuler pour une formation en lycée professionnel à condition d’avoir un niveau de langue suffisant ou bien d’avoir une place, pour un an, dans une des rares structures d’accueil en lycée (pro ou général) qui fonctionnent, elles, de manière « fermée » (sans inclusion dans les classes ordinaires). Enfin, il peut être orienté vers des missions locales, c’est-à-dire vers un dispositif qui concerne habituellement les “décrocheurs” (ce qu’il n’est pas !). Mais dès qu’il s’agit de trouver un stage, une place en apprentissage, c’est le code du travail qui s’applique et donc il faut des papiers autorisant le jeune à travailler. De la même manière qu’on « fabrique » des clandestins, on fabrique des « décrocheurs- euses » et des « déscolarisé(e)s » (mais aussi des SDF – comme l’ont démontré les luttes menées l’an passé pour soutenir les mineurs étrangers isolés, non seulement menacés d’expulsion mais également sans abri). Pour ce qui est du lien avec l’alphabétisation des adultes, à ma connaissance, il n’y a rien d’officiel, c’est même difficile d’avoir les “bons circuits” à proposer aux parents des élèves scolarisés…


Q2C – Les langues d’origine des élèves sont-elles prises en compte ? La question est-elle présentée aux enseignants et si oui, comment ?


G. C. – Là, on passe du versant « administratif » au versant « pédagogique ».  J’ai parlé des Elco, très contestés, non seulement pour les conditions de précarité des intervenants mais aussi et surtout parce qu’ils étaient réservés aux enfants originaires des pays concernés. Cela veut dire que le portugais était appris après les cours seulement par les enfants d’origine portugaise… et pas par d’autres élèves ! Il y avait là un glissement vers une possible ségrégation ou stigmatisation… un enfermement en tout cas dans une certaine vision fixiste de la culture « d’origine ». Depuis quelques années le « plurilinguisme » a fait l’objet de plus d’attention. Il est perçu (mais rien n’est gagné) non plus comme un « handicap » (sic les textes officiels de 1978) mais comme un enrichissement et, en tout cas, un socle pour bâtir les apprentissages. On n’apprend pas le français à des élèves qui ne maîtrisent aucune langue mais à des élèves qui sont déjà rentrés dans la langue et souvent dans l’écrit. Maintenant, combien de fois entend-on dire aux parents de ne plus parler leur langue avec leurs enfants pour « leur bien » et leur « réussite scolaire »… Combien de fois, quand je demande à un élève comment on dit ça dans sa langue, il répond « j’ai oublié »… Pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient ! Petite précision aussi qui me tient à cœur : dans cette question des langues « d’origine » on n’évoque pas assez les hiérarchies implicites constituées en particulier par la colonisation. Parler russe, espagnol, italien ou même chinois est valorisé et revendiqué (ce sont des langues étudiées à l’école française), l’arménien, le géorgien sont plus « folkloriques ». Mais lorsqu’on demande à un Africain quelle langue il parle, 9 fois sur 10 il ne dira pas le wolof, le bambara ou le peul… On lui a déjà fait intégré le fait que ce n’était pas des « vraies » langues à égale dignité de celles des européens…


Q2C – Concrètement, est-ce qu’on pose la diversité linguistique (par exemple pour mieux acquérir la syntaxe du français, comme objet de réflexion collective et d’enseignement ?


G. C. – Il y a 2 niveaux : dans les dispositifs d’accueil et en classe de rattachement. Dans la première situation, impossible de ne pas faire référence à la ou aux langues (la plupart des jeunes dont je m’occupe parlent 2, 3, 4 ou 5 langues ! Une petite géorgienne peut aussi parler russe, polonais, un peu arménien et kurde, un Sri Lankais maîtrisera le tamoul, le cingalais, l’anglais…). Comment faire comprendre ce qu’est un article, un adjectif, un verbe sans se référer au système linguistique d’origine ? Comment ne pas s’appuyer sur la diversité des alphabets pour comprendre le monde de l’écrit ? Comment ne pas interroger les différents systèmes éducatifs du monde pour éclairer celui de la France (la laïcité, la mixité, l’absence d’uniforme…). Le second niveau, c’est celui de la classe de rattachement et là c’est plus compliqué. On peut s’appuyer sur les connaissances et compétences de l’élève, à condition d’éviter le côté « folklorique ». Il y aurait des projets à mettre en place. L’école, au Québec, a beaucoup travaillé cette question de « l’éducation culturelle », ils sont très en avance… D’autant plus en avance quand on songe à l’ambiance qui règne en France sur ces questions et leur instrumentalisation par le discours réac-publicain sur l’école… Sans même évoquer la situation des langues dites « régionales », songeons aux réactions suscitées par les déclarations de la ministre de l’Éducation nationale quand elle a émis l’idée d’inviter les parents d’élèves à venir présenter et parler leur langue en classe. Le Collectif Racine – les enseignants du FN – a pondu un communiqué de rentrée sur la question : « Cela suscite une inquiétude légitime quant aux contenus qui seront enseignés, à plus forte raison sous l’égide d’un ministre qui, apprenait-on, nourrit le projet de convier, dans les salles de classe, les familles d’élèves étrangers à parler leurs langues, afin que les enfants s’imprègnent, dans la joie du « vivre-ensemble », de cette « diversité » Voilà donc la réponse que le ministre entend apporter au délitement communautariste de notre société. » Quant à Bruno Le Maire, interrogé par Jean-Paul Brighelli, il déclare dans les colonnes du Point la semaine dernière : « La proposition de Mme Vallaud-Belkacem de faire entrer les parents étrangers à l’école pour faire entendre à tous les élèves les inflexions des langues étrangères est une absurdité idéologique. »

L’enjeu, ici comme sur d’autres sujets éducatifs, c’est non seulement les moyens, mais aussi la lutte acharnée contre les dérives réac-publicaines (à droite comme à gauche) qui alimentent les médias… ». Dans l’excellent billet qu’il consacre à cette question, Claude Lelièvre commence par reprendre très à propos la déclaration de Claude Guéant, alors ministre de l’Intérieur de Sarkozy, le 26 mai 2011 : «Les deux tiers des échecs scolaires, c’est l’échec d’enfants immigrés». Il est temps de sortir de cette logique, et pas seulement à droite…

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *