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La pédagogie de l’urgence ne libère que de l’écume

La réaction de Laurence De Cock sur le blog de Mediapart…

Donnez leur et donnez-nous du temps.

Depuis quelques jours se multiplient les échos alarmistes des écoles des quartiers populaires dans lesquelles les mômes se seraient lamentablement vautrés dans l’apologie des criminels qui ont tué à Charlie-Hebdo et porte de Vincennes. « Les territoires perdus de la république » n’auraient donc pas retrouvé le bon chemin , leurs habitants restant englués dans leur défiance de la France, embrigadés par des communautés religieuses, fanatisés par un antisémitisme aveugle.

Echec de l’Ecole ? Echec de la société ? Tandis que les urgentistes multiplient les analyses, il faudrait peut-être rappeler modestement que nous ne sommes qu’à 6 jours du premier massacre. Le protocole d’intervention se dessine sous la forme d’une mallette pédagogique antiterroriste dont le contenu sera décidé autour des tables géantes des salons dorés de Grenelle. L’heure est aux multiples mises en scène de la peur et de sa médication dont on pressent déjà que les « valeurs de la République » constitueront les piliers comme s’il y avait là quelques chose de nouveau, comme si les valeurs de la république et leurs mots-clés n’étaient pas enseignés depuis des lustres et comme si elles contenaient un pouvoir prescriptif magique susceptible de provoquer immédiatement un rappel à l’ordre raisonné d’adolescents atteints par l’épidémie de la contestation antirépublicaine.

Que tout cela est triste, attendu, rabâché, et fatigant.

Encore une fois la réaction est à l’image d’une bureaucratie pyramidale qui croit (sans doute très sincèrement) que la connaissance du terrain se fait par « remontées et descentes mécaniques » : remontées médiatiques et remontées académiques se combinent ainsi sans aucune prise en compte de la multiplicité des filtres qu’elles opèrent à chaque étage. Alors l’ordinaire du métier se perd au détour un palier, les enseignant.e.s se dépouillent de leurs multiples visages et on ne retient de ces multiples échos que ce qui confirme l’hypothèse de départ et accélère sa remédiation. Tout doit aller vite, très vite même. Parce qu’il faut « répondre », répondre avant d’écouter les questions.

Pourtant les mômes ont des choses à vous dire, et leurs enseignant.e.s aussi. Mais un enfant ne parle pas comme un adolescent et un adolescent ne parle pas comme un adulte. Ce dernier comprend sans difficulté que le silence d’une minute parle la douleur. Mais l’enfant peut lui préférer le cri, et l’adolescent le rire. C’est rassurant de rire, et ça peut soulager de crier. Sous les cris, derrière le rire, ou par la colère, les mots ne disent pas si simplement ce que l’on croit entendre. Un jeune qui rit ne s’adresse pas qu’à l’institution, il sonde ses copains, il provoque son/sa prof, il se protège du sérieux dont il ne connaît pas encore très bien les codes. Et certain.e.s, c’est vrai, hurlent leur colère aussi, et il est impératif de comprendre pourquoi.

Mais faire parler des enfants et des adolescents relève de la pédagogie. Cela suppose de (sus)p(r)endre le temps, d’apprendre aussi à libérer leurs mots sans rappel incessant de la norme.

Alors viendra le moment de reprendre ces multiples paroles, les plus violentes comme les plus belles, et la « remontée » pourrait prendre du sens si nos élites persistent à refuser de descendre. Peut-être ensuite nous pourrons travailler à des contre-poison, à réenchanter une école que certains élèves incluent en effet dans leur mécanique de défiance ; alors seulement nous redistillerons des « valeurs » parce que la matrice sera prête à les accueillir sans la résignation blasée qui préside aujourd’hui à tout enseignement dit « civique ».

Et, qui sait, nous donnerons peut-être goût à certain.e.s de partir à la rencontre d’une altérité qui, dans les espaces de relégation, souffre de cette indifférence ou de la fabrique d’une image détestable quand nous, enseignant.e.s, hurlons aujourd’hui une véritable urgence : celle de les regarder, de les entendre, et de les convaincre non pas « qu’ils sont chez eux » mais qu’ils sont nous, et que nous sommes eux.

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