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La passion de connaître

Dans Girl Fight (Presses de la Cité, 2013), Audrey Chenu raconte l’itinéraire qui l’a conduite d’une famille de la classe moyenne en Normandie aux prisons pour femme de la Région parisienne. Ayant repris des études en prison, elle est devenue enseignante en école primaire. De nombreuses thématiques de l’ouvrage, outre la question de l’univers carcéral, ont suscité mon intérêt : le militantisme, le féminisme, les sports de combat… Néanmoins, ce sont certaines remarques sur le rapport au savoir qui vont retenir plus spécifiquement mon attention dans le texte qui suit

Une inextinguible soif d’apprendre

Il y a une thématique qui est présente en filigrane dans tout le récit de la trajectoire de l’auteure, c’est sa soif d’apprendre, son goût pour la lecture et la discussion.

Cette caractéristique est présente dés l’école primaire : « Passionnée de lecture, je passais des heures à la bibliothèque » (p.34).

Cette soif d’apprendre ne s’éteint pas passé le collège et se maintient semble-t-il intacte au lycée : « En cours [au lycée], malgré tout, je faisais toujours partie des meilleurs. J’étais passionnée » (p.52).

Si l’auteure refuse en prison de se situer du côté de celles qu’elle considère comme des victimes, ce refus de la résignation se manifeste entre autre dans l’appétit gardé intacte pour le savoir :
« Pour satisfaire mon appétit insatiable de culture et d’échange, je m’inscris au cycle de conférences débats philo qui ont lieu une fois par mois » (p.156)

Sortie de prison, de retour à l’Université, le contact avec les autres étudiants est marqué par la déception, lié au fait que l’auteure ne retrouve pas cette aspiration chez eux :
« J’ai soif de débat, de critique […] A l’université, je trouve les étudiants passifs, individualistes » (p.199)

C’est cette même déception qu’elle éprouve lorsqu’elle se trouve confrontée à ces collègues enseignants jusqu’à ce qu’elle intègre une école Freinet :
« Tous les professeurs ne suivent pas la pédagogie Freinet, mais ils sont pour la plupart de gauche et sans doute moins formatés que ceux que j’ai pu croiser avant » (p.285)

Quelques remarques…

Si ces passages épars ont retenu mon attention, c’est qu’ils font écho à ma propre expérience. Tout d’abord, parce que je me souviens encore d’avoir eu le désir d’apprendre à lire et d’avoir eu le goût de la lecture. Mais surtout, j’ai le senitment que tout au long de ma scolarité, et encore aujourd’hui, j’ai gardé une passion intacte pour la connaissance.

Ensuite, parce que j’ai éprouvé également le même étonnement face à la passivité des autres élèves et étudiants durant ma scolarité, en particulier lorsque après des études par correspondance, j’ai suivi quelques cours en présentiel pour valider un master.

Enfin, comme enseignante aussi bien au lycée qu’à l’Université, cette passivité des élèves et des étudiants est un facteur de perplexité lorsque l’on pense que les méthodes actives sont les plus propices à l’apprentissage.

Cette passivité est donc source d’interrogation. Est-ce que les élèves sont dans leur majorité naturellement passifs tandis que seuls une minorité seraient actifs ?

Il serait possible de penser cela, si seulement les études menées auprès des élèves ne faisaient apparaître que leur motivation et leur sentiment d’ennui à l’école augmente au fur et à mesure que les années passent, et en particulier à partir du collège.

Ce que d’ailleurs confirme le témoignage de professeur des écoles de l’auteure : « Leur soif de connaissance est inépuisable ; je me régale » (p.270).

Il serait peut-être alors possible de penser qu’il s’agirait d’une sorte de mécanisme inéluctable avec le temps. Néanmoins, la remarque faite par Audrey Chenu sur son impression concernant ses collègues ouvre la voie à une autre interprétation possible.

Cette remarque fait écho à une autre antérieure dans l’ouvrage : « Je passe un partiel de sociologie de l’éducation. Sujet : « Où en est la démocratisation de l’école ?  Un de mes objets de révolte. Si j’avais rencontré les bonnes personnes, j’aurais pu m’exprimer, comprendre, et sans doute échapper au cercle vicieux de la délinquance, à la prison » (p.179).

Les enseignants sont eux aussi d’anciens élèves qui ont pu perdre la passion de savoir au fur et à mesure de leur scolarité. Même s’il arrive qu’on la perde et qu’on la retrouve plus tard, semble-t-il.

Je me souviens que durant ma période de stage, j’étais bien meilleur public durant les formations que mes collègues. J’avais le sentiment que nombre de stagiaires partaient avec l’a priori que de toute manière les formations seraient nulles et inintéressantes, et se faisaient un devoir de les critiquer d’office.

A partir de là, on voit difficilement comment des individus qui ont perdu jusqu’au souvenir de cette passion de connaître pourrait la transmettre aux élèves. C’est d’ailleurs en partie, le sentiment que j’ai eu durant ma scolarité. Néanmoins, pour nuancer mon propos, ce sentiment n’était pas du uniquement aux enseignants eux-mêmes, mais plus encore aux règles du jeu scolaire.

De fait, lorsque je parle à mes élèves de l’enthousiasme pour le savoir comme motivation au travail scolaire, je suscite pour l’essentiel des rires étonnés.

1 Comment

  1. Jenny jacques

    La passion de connaître
    bonjour Audrey, c’est très rafraîchissant ta soif de connaître, d’apprendre, de découvrir, de créer, partager et échanger de la connaissance, de provoquer chez les autres cette même soif et de quoi l’étancher …
    je plains celles et ceux qui n’ont pas connu un prof, ou un instit, ou un ami, qui l’a marqué en positif pour la vie (comme mon prof de philo au lycée Condorcet, M. Tric ! ou mon prof de dessin dont j’ai oublié le nom mais pas le regard).
    Grand merci pour ton témoignage, et affectueuses amitiés

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