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La lecture critique, un outil pour la pensée critique

Un des aspects importants de la pédagogie critique initiée par Paulo Freire consiste dans la lecture critique. A la différence du Critical thinking où l’on apprend surtout aux étudiants à développer une capacité à pratiquer une critique interne reposant sur la logique, la pédagogie critique s’attache à effectuer une critique externe visant à identifier les implicites idéologiques de l’auteur et à interpréter le texte en lien avec le contexte social de production et de réception.

Auteur : Celso Delgado Uriarte (Consulor REDEM – Perou/ Doctor en Ciensas de la Educacion -Universidad San Martín de Porres )

Lire à l’université est une tâche quotidienne, mais lire de manière critique ne paraît pas l’être. Les étudiants investissent beaucoup de temps à comprendre l’information des contenus de chaque cours (livres, monographies, articles, polycopiés, présentations visuelles…), mais ils ne sont pas capables d’assumer une position par rapport à ce qu’ils ont lu. Ils lisent pour comprendre et ils comprennent pour apprendre, mais ils ne lisent pas pour penser de manière critique. « Comprendre requière de construire le contenu, mais également de découvrir le point de vue et les valeurs sous-jacentes (l’idéologie) » affirme Cassany.

Il existe beaucoup de recherche autour de la lecture et de la compréhension à partir d’un paradigme cognitiviste, sur la base duquel on élabore de nombreuses propositions pour la salle de classe. Dans beaucoup de systèmes éducatifs du monde, dès les premières années de scolarité, on met l’accent sur les niveaux de compréhension en lecture, le processus de lecture, les stratégies cognitives et les matériaux pour parvenir à ce que les étudiants élaborent la cohérence global des textes, ou pour le dire autrement, reproduisent la pensée de l’auteur.

Cependant, la lecture ainsi comprise n’est pas suffisante pour la formation de la pensée critique à l’Université. La lecture, plus qu’une activité linguistique, cognitive et communicative, est une pratique sociale et culturelle qui doit être promue dans les programmes. Vitgotsky avait déjà conçu l’idée de la lecture comme une pratique sociale et comme un processus interactif et dynamique dans lequel le lecteur dialogue avec un auteur à travers le texte. Accorder un caractère social à la lecture, cela signifie transcender la lecture des lignes et la lecture entre les lignes, pour avancer vers la lecture derrière les lignes, selon l’expression de Cassany.

Les textes non seulement offrent des contenus, mais également sont porteurs d’idéologie. Van Dijk suggère qu’à tous les niveaux du discours, nous pouvons rencontrer des « traces de contexte ». Ces traces ou indices permettent d’entrevoir les caractéristiques sociales des participants comme le sexe, la classe, l’ethnie, l’âge, l’origine, la position et d’autres formes d’appartenances collectives. La lecture critique est celle qui nous aide à découvrir le contexte historique, social, économique, politique et culturel des textes.

Bien que la lecture critique constitue un outil de formation de la pensée critique, on la prend très peu en compte dans le processus d’enseignement, d’apprentissage et développement dans les objectifs universitaires, où les étudiants s’affrontent à une diversité et une complexité de textes propres à la profession sans assumer le rôle de lecteurs critiques. Ici on agrège la catégorie conceptuelle développée à la didactique mise en œuvre : celle-ci est émancipatrice à la fois pour celui qui apprend et enseigne. Nous nous rappelons que les textes n’exigent pas seulement une compréhension littérale et inférentielle, mais également critique. La compréhension critique inclut les autres qui lui sont antérieures. Le lecteur peut penser de manière critique sur un texte uniquement parce qu’il l’a compris. Mais, parvenir à ce que nos étudiants apprennent à lire de manière critique à l’Université est encore une tâche en chantier.

La lecture critique nous permet d’accéder à la pensée critique, laquelle joue un rôle fondamental dans la formation des citoyens conscients et responsables. Selon l’UNESCO, l’alphabétisation critique entraîne le développement de toutes les capacités basiques de communication qui permettent à l’homme de s’insérer dans le monde du travail et dans la culture comme réalisation personnelle et spirituelle, progrès social et développement économique.

A partir de cette perspective, la lecture critique doit être un objectif prioritaire du curriculum dans le contexte universitaire. La compétence d’être un lecteur critique est inhérente aux personnes et aux sociétés. Former des professionnels avec une attitude critique face à la vie et au monde est le défi de la société de l’information et de la connaissance. La lecture critique et la pensée critique sont des constructions culturelles qui nécessitent éducation, effort et culture.

Considérant que la lecture critique n’est pas quelque chose de donné, les classes devraient devenir des espaces de dialogue et de discernement, plus que des espaces de conférences et de monologues du professeur. On doit doter l’étudiant de différentes stratégies de lecture critique qui lui permette de découvrir le point de vue que les discours reflètent de la réalité, parce que ce qu’ils ont appris antérieurement sera insuffisant face à des apprentissages spécialisés, que ce soit l’éducation, le droit, la médecine, l’ingénierie, l’économie, le journalisme ou autre : « Etre un bon chimiste, avocat, géographe ou ingénieur, c’est maîtriser les discours propre à sa discipline ».

Il est fréquent que nous enseignants nous nous plaignons du peu de lecture et de niveau de compréhension des étudiants à l’Université, mais nous n’avons pas l’habitude de leur apprendre à lire des textes scientifiques et académiques propres à chaque profession. Carlino affirme que la lecture reste une tâche qui reste à la charge des étudiants et que leur compréhension n’est pas orientée par notre expérience. Alors, comment pourrait-on former à la lecture critique ? Il est évident que si nous considérons que la lecture est une habilité qui s’apprend de manière définitive dans l’éducation basique, il n’y a rien à faire: les lecteurs critique se formeront par eux-mêmes. Mais cela n’est pas certain. La lecture critique doit être guidée et accompagnée par l’enseignant.

Cependant apparaît la question : Qu’est-ce que lire de manière critique ? A partir d’une perspective socio-culturelle Cassany affirme que lire de manière critique, c’est :

– Identifier l’auteur (Qui est-ce ? Que prétend-il ? Pourquoi?)

– Identifier la pratique scripturale (Quel genre est-ce ? Comment on l’utilise?)

– Construire son interprétation (Comment le comprends tu ? Où es-tu ? Et tes camarades de classes ? Et les politiciens ? Que fais-tu ?

Le lecteur critique doit être capable d’identifier qui est l’auteur du texte qu’il lit, quelles sont ses intentions, quelle est son idéologie. On doit être également capable d’identifier les genres textuels et les usages qu’ils prennent dans le développement des disciplines. Les livres, les chapitres, les cours, les manuels, les résumés, les commentaires, les articles de recherche, les monographies, les papiers, sont des textes qui ont des usages divers selon les contenus. Enfin, le lecteur critique doit être capable de construire son interprétation et de la confronter avec l’interprétation des autres lecteurs, de manière à parvenir à pénétrer jusqu’au sens profond du texte.

La lecture critique est une disposition, une inclination de la personne à essayer de parvenir au sens profond du texte, aux idées sous-jacentes, aux fondements, raisonnements et idéologies implicites, pour prendre en compte des explications alternatives et ne pas le donner pour acquis quand il pourrait être raisonnable de ne pas le mettre en doute.

La lecture critique qui a ses origines dans les idées de Paulo Freire et la pédagogie critique dépasse la lecture que l’on tend à promouvoir à l’université, une lecture caractérisée par son aspect mécanique, superficiel, obligatoire, fragmentée, décontextualisée, sans savoirs préalables : une lecture reproductive. La lecture critique a un caractère holistique et intégrateur des savoirs, comme le détaille Botello : « La lecture critique requiert une orientation correcte, planifiée, organisée pour pouvoir parvenir à des expressions critiques à travers des jugements et des opinions, en ayant à l’esprit que pour pouvoir y arriver doivent interagir entre eux le cognitif, l’affectif, le volontaire, l’axiologique et le socioculturel ». C’est ici que l’enseignant juge le rôle prépondérant dans le didactique de la lecture critique, apprenant aux élèves la manière spécifique de prendre en charge les textes de sa matière et en consacrant du temps dans les classes à l’analyse de ce qui a été lu, avec pour fin d’aider à comprendre ce que les textes taisent ».

Tout texte n’est pas indépendant d’idéologies et de visions du monde : tout texte transmet et propose des valeurs, des valorisations de la culture et des autres cultures, contribuant à créer, de cette manière, des identités sociales. Dans ce sens, le devoir du professeur et de l’étudiant, comme lecteurs assidus, est de problématiser et de clarifier la réalité à travers la lecture critique du contenu proposé par les textes.

Pour finir, l’Université comme institution académique, où sont présentent toutes les idéologies, ne doit pas seulement être une simple transmission de connaissance, mais une véritable formation de la pensée critique, laquelle favorise l’expression de la pluralité avec liberté. A ce sujet, Prieto soutient que la pensée critique revendique l’individu comme sujet pensant, avec le droit de s’exprimer librement et porteur de valeurs démocratiques. En allant dans le même sens, Arigaza ajoute : « Une pensée critique de l’étudiant peut questionner l’indu quand il en est affecté ou qu’il en bénéficie. Une pensée empirique au contraire copie mécaniquement les modèles positifs ou négatifs, sans les questionner et sans s’en rendre compte ». Sans lecture critique, il n’y a pas de pensée critique, sans pensée critique, il n’y a pas une véritable université.

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