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La commune de 1871 : enjeux de sa commémoration et de son enseignement

Voir aussi l’entretien accordé par Eric Fournier à Q2C

Lu sur le site Aggiornamento histoire-géo cet article signé Eric Fournier sur l’actualité de la mémoire de la Commune de Paris dans l’enseignement et dans le débat politique.

Eric Fournier est l’auteur de La Commune n’est pas morte. Les usages politiques du passé de 1871 à nos jours , édition Libertalia (voir présentation sur le site N’Autre école)

L’article est à consulter ici

La commune de 1871 : enjeux de sa commémoration et de son enseignement

Mai 1981 : Pierre Mauroy se rend au Mur des fédérés. Pour la première fois depuis 1871, un chef de gouvernement en exercice rend hommage à la Commune. L’événement est pourtant passé inaperçu en son temps, puis éclipsé des mémoires par la fameuse montée au Panthéon, la rose au poing. La Commune était en marge du consensus républicain alors interprété par les socialistes au pouvoir. Les septennats de Mitterrand, qui correspondent globalement à l’étiage de la présence de cette insurrection dans les usages publics du passé, voient s’accroître encore ce désintérêt. Certes, en 1996, des commémorations furent organisées dans des arrondissements passés à gauche lors des élections municipales et en 1997 la victoire de la Gauche plurielle est l’occasion d’une montée au Mur un peu plus étoffée que les années précédentes. Mais, en 2007, à la différence de Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal n’évoque pas une seule fois une Commune manifestement réduite, dans les mémoires socialistes, à un fantôme erratique[1].

En ce printemps 2013, la gauche redécouvre spectaculairement la Commune de 1871 et l’initiative vient d’en haut : du gouvernement, des députés socialistes et des sénateurs communistes. Le 9 mars, à l’occasion de la journée de la femme, Najat Vallaud-Belkacem (ministre du droit des femmes et porte-parole du gouvernement) évoque la possible panthéonisation de Louise Michel, parmi d’autres candidates. Le 18 mars, dans une tribune publiée par Libération titrée « La Commune n’est pas morte », deux députés socialistes parisiens annoncent le dépôt d’une résolution mémorielle pour réhabiliter et faire connaître la Commune[2]. C’est chose faite le 8 avril. La proposition de résolution N° 907, signée par plus d’une centaine de députés socialistes soutenus par leur groupe parlementaire, propose de « rendre justice aux victimes de la répression de la Commune de Paris de 1871 »[3]. Le 25 avril, les 20 sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen déposent à leur tour une résolution « pour la réhabilitation de la Commune et des communards » à la haute assemblée[4]. Cette deuxième résolution emprunte beaucoup à tribune médiatique de la première, sans jamais s’y référer, mais prend soin de s’en distinguer. La situation est donc inédite. Deux initiatives parlementaires relatives aux usages de l’histoire, proches mais non réductibles l’une à l’autre, entrent en résonance, sinon en concurrence.

Instruits par les polémiques sur les lois mémorielles, les signataires prennent bien soin de se conformer aux conclusions de la mission d’information de l’assemblée nationale de 2008 et, au lieu d’une loi, proposent une résolution[5] mémorielle afin de réhabiliter sans heurts ni anicroches les communards. Pourtant, cette initiative résolument consensuelle pose plusieurs problèmes, notamment du fait de sa visée consensuelle.

Quel que soit l’habillage légal, cette résolution n’échappe pas à plusieurs questions posées en leur temps par les lois mémorielles, par chaque loi mémorielle saisie dans sa singularité. Répétons-le, le parlement a le droit de s’exprimer sur un passé qui n’appartient pas aux professionnels de l’histoire, mais s’il s’avise d’écrire l’histoire, alors il s’expose au regard critique et public des historiens. D’autant plus que les signataires de ces deux résolutions s’appuient sur « les travaux historiques ayant établi les faits » pour légitimer leur démarche, qui, malgré toutes ces précautions, relève soit d’une méconnaissance des dits travaux historiques, soit d’une instrumentalisation anachronique et malhabile du passé, par sélection et par omission.

Des victimes banalement républicaines, ou comment lisser l’histoire.

Quelle Commune veulent-ils « réhabiliter » et « faire connaître » ? Quels en sont les contours ? À lire la résolution des députés socialistes, il s’agit presque exclusivement d’une « Commune victime de la répression versaillaise ». Par cette dimension compassionnelle affirmée, la résolution se distingue de la tribune médiatique qui l’annonce et qui ne se limitait pas à ce discours victimaire. Or, dans la mesure où la résolution comporte plus de signataires que les seuls députés parisiens initialement évoquée par la tribune, peut-être faut-il y voir le résultat d’une négociation interne au groupe socialiste. Réduire les fédérés à des victimes passives au lieu de les considérer comme des acteurs politiques est manifestement plus fédérateur pour les députés socialistes du XXIe siècle, qui n’hésitent pas à emprunter aux procédés d’écritures du XIXe siècle pour édifier le lecteur, que ce soit un romantisme noir lorsque sont évoqués la « semaine sanglante » et ses « abattoirs » ou une tonalité positiviste lorsque sont minutieusement égrenés les chiffres des condamnations légales prolongeant les massacres de mai. Cet exposé historique oublie presque totalement ce pourquoi se battaient les communards et qui – précisément – les a réprimés.

Cette insistante exposition victimaire suffit peut-être aux politiques mais pose problème à l’historien. Elle réduit la nécessaire distance critique avec l’événement en y mêlant excessivement l’émotion ; se rapproche incidemment des autres lois mémorielles également, en insistant sur le bilan chiffré d’un crime qu’il faudrait symboliquement réparer par un « devoir de mémoire » implicite.

Dès qu’il est question de ce qui animait les insurgés de 1871, la résolution socialiste est des plus elliptiques, évoquant rapidement « les valeurs républicaines portées par les acteurs de la Commune […] ces femmes et ces hommes qui ont combattu pour la liberté ». Ils étaient républicains et cela suffit. Fermez le ban.

Pour en savoir un peu plus, il faut se reporter à la tribune du 18 mars, un texte pesant moins dans le débat public que la proposition de résolution dont il n’est que l’amorce. On y lit que la Commune est un des événements ayant « participé à l’affirmation des valeurs communes de notre république », mieux encore « un des fondements de notre république ». Ce faisant, la Commune est enrôlée au service de la téléologie républicaine, d’une lisse histoire finaliste. Le procédé n’est pas totalement nouveau. De 1871 aux années 1970, la Commune n’était pas morte car les exilés, puis les premiers socialistes, les anarchistes, les communistes ensuite et surtout, la considéraient comme « l’aurore » des révolutions à venir. Pour les sociaux-démocrates d’ici et maintenant, la grande lueur révolutionnaire se mue en une matrice républicaine. Mais de quelle république parlent-ils ?

Le ton devient lyrique dès qu’il est question des « projets et des réalisations qui nous interpellent par leur brûlante modernité » : « pendant deux mois, la Commune de Paris a porté les valeurs universelles de liberté, d’égalité et de fraternité, à travers l’émergence du droit du travail, l’école gratuite et laïque pour tous, l’égalité d’accès à la justice, la liberté de la presse, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, la promotion de l’art et de la culture. […] Droit de vote des étrangers aux élections locales, démocratie dans l’entreprise, […] égalité entre les femmes et les hommes, réquisition des logements vacants pour les mal-logés ». Se dessine donc une Commune annonciatrice d’une république unanimiste, avec une coloration plutôt sociale avivée par l’introduction de deux revendications clairement ancrées à gauche aujourd’hui : la réquisition des logements et le droit de vote des étrangers.

La résolution des sénateurs communistes, qui se distingue avant tout par son refus de l’insistance victimaire, reprend presque mot à mot ces arguments et muscle le discours en y rajoutant « la défense de l’intérêt général par l’extension des services publics » et, surtout, « une démocratie où le peuple n’abdique pas sa souveraineté ». Cette résolution relie également la Commune aux idéaux de la Résistance, perpétuant ainsi un discours élaboré dès la libération par le PCF. La République qu’annoncerait la Commune serait donc la République sociale. Voilà ce qui semble une évidence incontestable. Le rôle de l’historien est pourtant d’interroger les évidences, et la Commune, dès que l’on parle de la République, permet d’interroger avec force des « évidences qui ne sont pas toujours si évidentes »[6]. Or, la république sociale de 1945, encore moins ce qu’il en reste aujourd’hui, n’était pas la « république démocratique et sociale » des communards.

De la modernité possible d’une insurrection disruptive : un antidote au consensus mou.

La commune évoquée par ces interventions publiques est arrachée à la singularité de sa situation historique propre pour venir renforcer une république aussi vague qu’immanente, elle-même en apesanteur, extraite de l’épaisseur des temporalités. En d’autres termes, le regard porté ici est anachronique et fait écran à ce que fut la Commune – ce que nous apprend l’histoire critique de l’événement si l’on préfère – oblitérant ainsi ce qui forme effectivement la « brûlante modernité » de l’insurrection, qui ne saurait être celle suggérée par les parlementaires socialistes et communistes.

La plupart des idéaux, projets et résolutions attribués ici aux communards n’étaient pas le propre de la Commune mais bien de l’ensemble des républicains avancés du XIXe siècle, avant et après l’insurrection, parfois même des républicains modérés qui gouvernent à partir des années 1880. De surcroît, ces projets n’ont pas été mis en œuvre par les communards, ou alors fort timidement. Certes la brièveté de la Commune et les contraintes de la guerre civile expliquent ces inaboutissements.

Mais, plus essentiellement encore, si ces projets n’ont pas été développés c’est aussi parce que, de l’aube du 18 mars jusqu’aux derniers combats de la Commune, les insurgés accomplissaient pleinement leur propre horizon d’attente révolutionnaire. La grande affaire de la République « sociale » pour laquelle ce sont levés les hommes et les femmes de 1871 était de se gouverner soi-même. Pour eux la souveraineté ne se délègue pas, elle s’exerce directement, ou le plus directement possible. En 1871, s’entremêlent donc avec force deux temporalités indissociables pour les communards : la lutte pour la souveraineté et l’exercice même de la souveraineté, l’insurrection et son horizon politique. De toutes les révolutions du XIXe siècle, la Commune est celle qui a porté à son point le plus haut cette organisation de la souveraineté populaire, où les représentants ne sont que tolérés par ceux qui les ont élus et où les citoyens entendent participer réellement à l’exercice quotidien du pouvoir. Voilà ce qu’était le cœur de la république « sociale » des communards. Le sens qu’ils donnaient à ce mot n’était pas le même qu’aujourd’hui. Il en est de même pour leurs autres idéaux, aujourd’hui repris par les parlementaires en une litanie décontextualisée.

La révolution communale de 1871 était un « questionnement libertaire de la démocratie » selon la belle formule de Jacques Rougerie[7], ce qu’ignorent totalement les députés socialistes, mais que rappellent certes timidement les sénateurs communistes en évoquant cette « démocratie où le peuple n’abdique pas sa souveraineté ». La « brûlante modernité de la Commune » ne réside donc pas en une vague liste consensuelle de perspectives républicaines, mais dans une question encore fondamentale en démocratie : celle de la représentation de la souveraineté populaire et de la délégation (ou non) du pouvoir. La Commune est à même de poser aujourd’hui encore cette question qui reste d’actualité, mais ne peut guère apporter de réponses immédiates, tout simplement parce que ces insurgés souverains n’avaient pas le même rapport au monde que nous. Parmi une multitude d’exemples possibles, l’écart le plus frappant réside incontestablement dans les rapports de genre. Contrairement à ce qu’affirment la résolution communiste et la tribune socialiste, « l’égalité entre les femmes et les hommes » restait à construire en 1871. La communarde Andrée Léo, écœurée, n’évoquait-elle pas une « révolution sans femmes »[8] ?

Ainsi, loin de renforcer la république actuelle, la Commune la bouscule dans ses certitudes représentatives dès que l’on sort des seuls discours, aussi généreux soient-ils, et que l’on pratique une histoire par en bas, attentives aux pratiques quotidiennes de fédérés.

Insister sur le martyr des communards ne permet pas plus de réintroduire du consensus. La résolution socialiste, tout en insistant sur les modalités du massacre, reste finalement très évasive sur les acteurs de la répression : « Adolphe Thiers, chef de l’exécutif » commande des « troupes versaillaises » que relaye l’action des « tribunaux militaires ». Or, comme en juin 1848, il y avait des républicains dans les deux camps et Versailles ne saurait être réduite aux seuls monarchistes majoritaires à la chambre. Autant que la révolution communale, la « semaine sanglante » casse une lisse histoire républicaine.

Qui a oublié ?

En survolant la question des acteurs de la répression, les députés socialistes renouent (vraisemblablement sans le savoir) avec la politique d’oubli des républicains de gouvernement du XIXe siècle. À partir de 1880, chaque année, au Mur des fédérés, la police surveille scrupuleusement les textes des couronnes mortuaires qui ne peuvent être empreints que d’une martyrologie floue. « Aux fusillés », « aux combattants » ou « aux fédérés » sont autorisés. Mais en 1899 la police arrache des mains des manifestants « aux frères assassinés par les versaillais ». « Passe d’être tué à condition qu’il n’y ait pas de tueurs », conclut, cinglante, Madeleine Rébérioux[9].

Cette anecdote rappelle que, dès les débuts de la IIIe République, la mémoire de la Commune, une mémoire mobilisée dans les luttes des présents successifs, est l’objet de vives tensions politiques. Ce qui n’est manifestement pas évident pour les députés socialistes, à lire leur résolution. La tribune de Libération rappelle certes « cet intense moment de fraternité qu’est la montée annuelle au Mur des fédérés », omettant de rappeler que la montée au Mur n’a pas été offerte aux porteurs de la mémoire communarde mais tracée par eux, en des luttes âpres et longtemps incertaines, contre les autorités et à l’intérieur mêmes des cortèges, où il fallait régulièrement expulser l’extrême-droite[10]. La résolution socialiste passe encore plus fermement sous silence ces événements-là lorsqu’elle rappelle que l’amnistie de 1880 s’accompagnait d’une injonction d’oubli : « la république naissante coulait une chape de plomb sur des événements dont les acteurs étaient encore vivants. Quels instruments permettraient de réhabiliter enfin[11] ces victimes ? ». Accordons aux députés qu’ils s’inscrivent dans le registre exclusif de l’action parlementaire – et c’est très bien ainsi. Mais ce faisant, ils procèdent à un autre effacement, en oubliant ceux qui les ont précédés dans la réhabilitation de la Commune, y compris dans l’ordre de la représentation nationale[12].

La commémoration de la Commune est-elle soluble dans la république « toujours déjà consensuelle » ?

Que proposent donc de plus les parlementaires actuels, dans l’omission des initiatives précédentes, parlementaires ou populaires, mais en ayant à l’esprit les débats suscités en leur temps par les lois mémorielles ?

Les socialistes prennent effectivement bien soin d’exclure les programmes scolaires de leurs propositions et se contentent de juger « nécessaire que soient mieux connues et diffusées les valeurs républicaines de la Commune de Paris ». Plus précisément, la tribune de Libération envisage « la matérialisation des lieux de mémoire dans l’espace public et les administrations, ou […] des gestes forts : […] le Président de la République a fait part de son intention de faire entrer des femmes au Panthéon, nos pensées ne peuvent que se tourner vers cette grande figure de la Commune que fut l’institutrice Louise Michel ». Ces propositions sont reprises par la résolution communiste qui, cependant, ne souffle mot de Louise Michel. L’avenir nous dira si elle rentrera au Panthéon supplantant ainsi d’autres candidates comme Olympe de Gouges, Madame du Châtelet, Colette, ou même Georges Sand (qui fut versaillaise, soit dit en passant). Concentrons-nous sur la possible patrimonialisation de la Commune. Tout l’enjeu d’une politique patrimoniale est de préserver une trace du passé, de la transmettre et surtout de la rendre intelligible. Telle est la question : quelle compréhension de la Commune serait proposée ? Celle d’une Commune « normale », banalement républicaine et massacré par des spectres indéfinis ? Ce serait un peu court. Intégrer la Commune au patrimoine comme une interpellation démocratique utopique, épique et haute en couleurs, pourquoi pas ; l’assimiler sommairement à la république actuelle, si différente de celle des communards, à quoi bon ?

Passée au tamis de la Commune, la république dessine des lignes de ruptures, apparaît sous ses différentes formes, historiquement situées et conflictuelles. L’usage mémoriel de la Commune proposée par les parlementaires dessine inversement en creux l’image simpliste d’une république « toujours déjà consensuelle », figure d’un récit républicain se substituant, dans les programmes scolaires, à un roman national désormais intenable dans sa célébration d’une « France toujours déjà-là »[13].

Ces initiatives parlementaires, bien que s’inscrivant explicitement hors du champ de l’école, ne peuvent donc que renforcer une tendance lourde présidant à l’écriture actuelle des programmes : celle d’une téléologie républicaine unanimiste. De surcroît, l’association des Amis de la Commune de Paris 1871, dont l’efficace lobbying est à l’origine de ces résolutions[14], milite tout aussi activement pour une plus grande place de cette insurrection dans les programmes scolaires, précisément comme étant un moment fondateur de la République. Ils ont été reçus par le cabinet du ministre de l’Éducation nationale le 25 septembre 2012 à ce sujet, en présence de Laurent Wirth[15]. Nous avions nous-même regretté ce « deuxième exil des communards » des programmes du lycée en 2011, en précisant cependant, qu’au-delà de la seule Commune que le conclut, c’est l’ensemble du premier XIXe siècle qui était de facto effacé des nouveaux programmes du lycée, un siècle dont la pertinence est d’interroger nos certitudes républicaines et d’offrir un bon terrain de déconstruction de ces linéarités factices[16]. Nous demandions donc également le retour du « crépuscule » des révolutions » du XIXe siècle mais pour des raisons diamétralement opposées à celle des Amis de la Commune. Ceci rappelle à quel point la fabrique et les enjeux de l’histoire scolaire ne sauraient être déconnectés des questions mémorielles. Il convient donc de rester vigilant face à ces résolutions se plaçant certes hors du champ scolaire mais qui s’y inscrivent malgré tout ; une attention critique et constructive, qui interroge comment articuler mémoire, histoire scientifique et histoire scolaire, en un horizon d’action.

En définitive, la question n’est pas de s’opposer à la patrimonialisation de la Commune par la puissance publique mais de se demander quelle intelligibilité de cet événement complexe, à la croisée des chemins du XIXe siècle, ce processus entendrait transmettre. Il en est de même de la résolution communiste qui, voulant aller plus loin que les socialistes (preuve supplémentaire de la capacité de la Commune à produire aujourd’hui encore des tensions politiques, ici sur un mode mineur), propose une « journée nationale de commémoration » de la Commune de Paris. Là où la proposition socialiste peut se suffire à elle-même et finalement clore l’événement par une réhabilitation des victimes à qui elle offrirait un enterrement parlementaire de première classe, la proposition communiste peut ouvrir les possibles, sous certaines conditions. Si cette journée nationale de commémoration se contente d’évoquer un vague hommage républicain aux communards, elle risque fort de ne toucher que les convaincus et de susciter une forme d’indifférence, maintenant la Commune dans son statut actuel de fantôme et de « sphinx »[17] opaque. Mais il est peut-être une voie qui permettrait de singulariser une telle commémoration parmi la douzaine d’autres journées mémorielles existantes, de l’ancrer dans le présent, d’offrir à la Commune une reconnaissance mémorielle fidèle, de compléter l’intelligibilité historique de cette insurrection enfin.

Pourquoi ne pas envisager une journée de commémoration associant à la Commune à la vigilance citoyenne, à la capacité d’exercer sa part de souveraineté, à l’interpellation populaire ? Une telle initiative romprait avec le ronronnement des commémorations historiques et serait à coup sûr inattendue, disruptive, impromptue — à l’image de la Commune de paris en 1871.

[1] Le Trocquer Olivier, « La Commune », dans De Cock Laurence, Madeline Fanny, Offenstadt Nicolas, Wahnich Sophie, Comment Nicolas Sarkozy écrit l’histoire de France, Marseille, Agone, 2008.

[2] Carrey-Conte Fanélie et Bloche Patrick, « La Commune n’est pas morte », Libération, 18 mars 2013. http://www.liberation.fr/politiques/2013/03/18/la-commune-n-est-pas-morte_889392

[3] http://www.assemblee-nationale.fr/14/propositions/pion0907.asp

[4] Session 2012-2013, texte n° 549, http://www.commune1871.org/?Rehabilitation-de-la-Commune-Les

[5]Sous les IIIe et IVème républiques, les résolutions parlementaires permettaient d’interpeller le gouvernement. Considérée comme une intrusion du législatif dans l’exécutif, cette capacité d’action parlementaire est supprimée en 1958, avant d’être rétablie en 2008. Le site du sénat résume ainsi la fonction d’une résolution : « chaque assemblée du Parlement a la faculté de voter des résolutions à caractère général, sur tout sujet. Contrairement aux lois, les résolutions n’ont pas de valeur contraignante. Elles marquent l’expression d’un souhait ou d’une préoccupation ». Les résolutions sont débattues en séance avant le vote.

[6] Tombs Robert, « Conclusions », dans Regards sur la Commune de 1871 en France, colloque de Narbonne, 24-26 mai 2011.

[7] Rougerie Jacques, « La Commune et la gauche », dans Becker Jean-Jacques et Candar Gilles (dir.), Histoire des gauches en France. Tome 1 : l’héritage du XIXe siècle, La Découverte, 2004, p. 109.

[8] Deluermoz Quentin, Le Crépuscule des révolutions ? (1848-1871), Histoire de la France contemporaine, Tome 3, Seuil, 2012, p. 340-341.

[9] Rébérioux Madeleine, « Le Mur des fédérés » dans Les Lieux de mémoire, Pierre Nora dir., Gallimard, 1984, vol. 1, p. 629-636.

[10] Si l’on retrace la généalogie des mémoires de la Commune, les premiers à avoir honoré la Commune en la réduisant presque exclusivement à des victimes passives sont les fascistes français de l’entre-deux-guerres. S’il est absolument exclu de relier les députés socialistes d’aujourd’hui à l’extrême-droite d’hier, entre autres parce que cette dernière se servait des communards morts pour flétrir la République, on peut se demander si Nicolas Sarkozy n’a pas fait le lien, favorisant une insidieuse circulation de ces discours qui assimilent les fédérés avant tout à des victimes, lorsqu’en 2007 il évoque les « communards massacrés par Thiers ». Il est troublant de constater que la résolution socialiste se rapproche de cet usage sarkozyste du passé de l’insurrection.

[11] Souligné par nous

[12]L’initiative la plus spectaculaire a lieu le 4 juin 2003 : le gaulliste Christian Poncelet, président du Sénat, inaugure, en présence des Amis de la Commune, une plaque commémorative en hommage aux « insurgés fusillés » dans les Jardins du Luxembourg. Lors de son allocution, Poncelet réhabilite sans détours une Commune perçue avec acuité dans sa singularité, dans un discours aussi lyrique qu’historiquement peu contestable. Le texte complet du discours est disponible sur le site du sénat : http://www.senat.fr/evenement/archives/D31/cerem1.html

[13] L’expression « France toujours déjà-là » est de Suzanne Citron dans Le Mythe national. L’histoire de France revisitée, éditions de l’Atelier, 2008.

[14] Carrey-Conte Fanélie et Bloche Patrick, « La Commune n’est pas morte », art. cit.,

[15] Compte rendu de l’audience sur le site des Amis de la Commune : http://www.commune1871.org/?Rencontre-avec-le-Cabinet-du

[16] Fournier Éric et Deluermoz Quentin, « Le Deuxième exil des communards », Aggiornamento Hist-géo, 27 juillet 2011, http://aggiornamento.hypotheses.org/463

[17] En 1871, dans La Guerre civile en France, Marx qualifie la Commune de « sphinx qui met l’entendement bourgeois à rude épreuve », aphorisme promis à un long avenir.

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