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La classe mutuelle, entretien avec Vincent Faillet

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En librairie depuis quelques jours, le livre de Vincent Faillet (La métamorphose de l’école quand les élèves font la classevoir notre recension) a retenu notre attention. Nous avons contacté Vincent Faillet qui a bien voulu répondre à nos questions…

Questions de classe(s) – Après avoir longtemps expérimenté l’enseignement mutuel dans votre classe – et après bien des tâtonnements pédagogiques racontés dans l’ouvrage –  comment l’idée de publier un livre sur le sujet s’est-elle imposée ? S’agit-il de simplement présenter / partager cette expérience ou bien l’idée est-elle d’impulser une nouvelle dynamique, de fédérer des initiatives ?

Vincent Faillet L’idée de publier un livre sur le sujet de l’enseignement mutuel s’est imposée à moi progressivement. Constatant au quotidien, dans mes classes, les bienfaits de ce type d’enseignement, je me devais de partager mon expérience. C’est ainsi que j’ai entrepris la rédaction d‘un article sur le sujet mais chemin faisant, allant de découvertes en découvertes et de lectures en lectures, l’article s’est étoffé, c’est ainsi que l’idée d’un livre est née !

Au final, la présentation de l’expérience de la « classe mutuelle » occupe seulement un cinquième de ce livre. Je ne voulais produire un ouvrage avec une coloration trop pédagogique ou technique, je ne voulais pas donner de « recettes » trop précises car je sais bien qu’aucun d’entre nous n’a les mêmes « ingrédients » à sa disposition. Il s’agissait plutôt de susciter la réflexion au travers de mes recherches mais avec mon regard forcément subjectif sur l’école, c’est pourquoi je me suis dirigé vers un format « essai ».

[*« Je ne suis pas le seul à le penser et je ne suis pas le seul à le faire, loin de là. Si ce livre doit fédérer des initiatives et impulser une dynamique de changement, je m’en réjouirai et je prendrai part à ce mouvement car c’est en cette école métamorphosée que je crois… »*]

Il serait prétentieux d’imaginer que je puisse impulser une nouvelle dynamique, je veux simplement montrer qu’il est possible, et avec peu de moyen, de changer la salle de classe et la façon de concevoir l’enseignement. Je ne suis pas le seul à le penser et je ne suis pas le seul à le faire, loin de là.  Si ce livre doit fédérer des initiatives et impulser une dynamique de changement, je m’en réjouirai et je prendrai part à ce mouvement car c’est en cette école métamorphosée que je crois…


Questions de classe(s) – Comment définir en quelques mots la classe mutuelle et nous faire ressentir un peu de l’ambiance et du fonctionnement de cette organisation ?


Vincent Faillet Victor Hugo évoquait un « essaim joyeux » en décrivant les écoles mutuelles. Cette image de la ruche reste aujourd’hui parfaitement pertinente pour dépeindre une « classe mutuelle » dont les élèves sont en mouvement permanent dans un bourdonnement d’échange de savoirs. La « classe mutuelle » est une organisation horizontale : le maître descend de son estrade et cède son magistral tableau à ses élèves.

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[*Au mur, une devise d’inspiration « Éducation nouvelle » : « Si tu ne sais pas demande, si tu sais explique ».*]

L’idée-force est que les élèves s’expliquent le cours entre eux, le plus naturellement du monde. Nombre d’élèves sont plus enclins à poser des questions à leurs pairs qu’à leur enseignant. « Pas de pudeur » entre eux comme le disait une de mes élèves. Au mur, une devise d’inspiration « Éducation nouvelle » : « Si tu ne sais pas demande, si tu sais explique ».


Questions de classe(s) – L’ouvrage s’ouvre par un précieux et synthétique (et “imagé” !) rappel historique des 3 modes d’enseignements (individuel, simultané, mutuel). Votre démarche aujourd’hui s’inscrit résolument dans un héritage historique et ne se présente donc pas simplement comme une “innovation” de plus. En quoi cette approche historique, cette connaissance du passé (transmis de manière très partiale par l’institution elle-même, quand on observe que la méthode mutuelle a non seulement été éradiquée dans les faits mais aussi – et surtout – dans les mémoires…) est-elle importante pédagogiquement parlant ?

Vincent Faillet Justement, j’espère participer à cet effort de mémoire comme d’autres avant moi ont pu le faire, je pense ici à Anne Querrien avec son excellent ouvrage « L’école mutuelle : une pédagogie trop efficace ? ». Il est essentiel de connaître nos racines, de savoir sur quel socle l’école que nous pratiquons aujourd’hui s’est construite. Et lorsque l’on connaît ce pan de l’histoire de l’éducation que je raconte dans le livre, on est plus enclin à oser sortir du cadre normatif. Un cadre qui ne repose pas vraiment sur des considérations pédagogiques. On ne peut plus laisser le poids des habitudes diriger aveuglément – ou à tout le moins contraindre – l’acte éducatif. Il y a toute la légitimité pour une autre école dans l’histoire de l’éducation, il suffit de se replonger dans notre passé. C’est aussi dans le passé que l’on peut puiser l’inspiration pour construire le futur ; certaines vieilles recettes oubliées, revisitées à l’aune d’un jour nouveau, peuvent se montrer étonnamment modernes et en phase avec les aspirations nouvelles d’une société.

[*index3.jpg« Justement, j’espère participer à cet effort de mémoire comme d’autres avant moi ont pu le faire, je pense ici à Anne Querrien avec son excellent ouvrage « L’école mutuelle : une pédagogie trop efficace ? ». Il est essentiel de connaître nos racines, de savoir sur quel socle l’école que nous pratiquons aujourd’hui s’est construite. Et lorsque l’on connaît ce pan de l’histoire de l’éducation que je raconte dans le livre, on est plus enclin à oser sortir du cadre normatif. »*]


Questions de classe(s) – Dans un très stimulant chapitre (Les trois conditions de la métamorphose de l’école) vous abordez les trois leviers qui, selon vous, peuvent contribuer à ce changement : le numérique (avec des réserves très pertinentes, loin des fantasmes véhiculés parfois, par les “pro” ou les “antis”…), la salle de classe et le corps des élèves, et enfin le plaisir d’apprendre. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

Vincent Faillet Le premier levier, c’est la salle de classe. Une salle de classe fossilisée depuis trop longtemps et dont l’agencement n’engage qu’à la posture de « magistralité » pour l’enseignant et de relative passivité pour l’élève. Cette salle de classe est adaptée au système d’enseignement simultané tel qu’il est connu depuis au moins Jean-Baptiste de La Salle et son Institut des frères des écoles chrétiennes fondé en 1680 et qui prône le silence et l’immobilité durant les heures de classe. Une salle de classe qui n’a jamais véritablement évolué depuis. Or il est difficile, sinon impossible, de changer de système d’enseignement sans changer la salle de classe, les deux étant intimement liés. Je propose – avec d’autres – de casser ces codes hérités du XVIIème siècle en faisant de la salle de classe un espace d’apprentissage coopératif et collaboratif : les tables sont en îlots, tout l’espace se veut utile, les murs se couvrent de tableaux blancs pour les élèves et les moindres recoins sont investis pour le travail. Une salle de classe qui prend aussi en compte le corps de l’élève dans son besoin d’exister et de se mouvoir : les assises sont variées, dynamiques et les élèves libres de se lever, de se déplacer pour échanger et travailler avec leurs camarades.

[*« … il est difficile, sinon impossible, de changer de système d’enseignement sans changer la salle de classe, les deux étant intimement liés. Je propose – avec d’autres – de casser ces codes hérités du XVIIème siècle en faisant de la salle de classe un espace d’apprentissage coopératif et collaboratif »*]

Le deuxième levier, c’est le plaisir d’apprendre, que j’associe dans le livre à la pédagogie ; les deux termes ne devraient-ils pas être synonymes ? Il y a quelques semaines, j’ai animé une rencontre parents-professeurs de la classe de première scientifique dont je suis le professeur principal au Lycée Dorian. C’est une « classe mutuelle » particulière en ce sens que la presque totalité des enseignements (français, mathématiques, histoire-géographie, sciences physiques, SVT et anglais) sont conduits selon un mode mutuel. De plus, les élèves occupent une seule et même salle qu’ils ont investie, ce sont les enseignants qui se déplacent. Nombre de parents s’accordaient sur un même point : leurs enfants avaient retrouvé le plaisir de venir travailler au lycée. La notion de plaisir n’est pas antinomique avec celle de travail scolaire, c’est même un nécessaire préalable. Philippe Meirieu nous dit que « la découverte du plaisir d’apprendre reste l’acte fondateur de toute éducation » et j’en suis absolument convaincu. La méthode d’enseignement mutuel associée à une salle de classe et à des règles scolaires redéfinies concourent à la prise en compte du plaisir d’apprendre.

[*« Philippe Meirieu nous dit que « la découverte du plaisir d’apprendre reste l’acte fondateur de toute éducation » et j’en suis absolument convaincu. La méthode d’enseignement mutuel associée à une salle de classe et à des règles scolaires redéfinies concourent à la prise en compte du plaisir d’apprendre. »*]

Enfin, le troisième levier, c’est le numérique. Un levier à actionner en dernier car le numérique doit s’insérer dans une salle de classe et une pédagogie toutes deux rénovées. Il convient de mettre le numérique à sa véritable place, celle d’un précieux auxiliaire pour l’enseignement et non pas celle d’un prétendu « Saint-Sauveur » pédagogique omnipotent…


Questions de classe(s) – Révolution ou métamorphose, vous opposez les deux démarches de transformation de l’école. N’y a-t-il pas une limite sociale et institutionnelle à ces transformations que vous appelez de vos vœux ? La pédagogie institutionnelle, par exemple, a souligné combien, dans le cadre de la classe, tout était quasiment possible mais, dès qu’on voulait agir plus globalement – déjà à l’échelle d’un établissement – l’institution se défendait. Dès lors, s’il est bien évident que le changement partira de la classe, des élèves et des éducateurs et éducatrices “de base”, comment aussi donner une dimension collective plus large, comment “sortir” de la classe pour œuvrer à l’instauration d’une autre école… ?

Vincent Faillet Lorsque l’on considère la communication entre la base et le sommet, on peut imaginer deux flux inverses : un flux qui descend du sommet vers la base et un flux qui monte de la base vers le sommet. Le flux descendant c’est celui de la réforme : les informations et les décisions prises au sommet irriguent, par simple gravité, la base. Le flux ascendant, c’est celui de l’innovation : les découvertes issues du terrain quittent la base pour tenter d’atteindre le sommet. Un flux qui réclame une énergie certaine. L’institution a longtemps été réfractaire au flux ascendant, je pense sincèrement que cela n’est plus le cas aujourd’hui. L’institution accueille l’innovation avec bienveillance mais accueil ne veut pas dire mise en œuvre, loin s’en faut.

Le creuset du changement c’est, comme vous le soulignez, la salle de classe et son aménagement ; or c’est un espace sous la responsabilité des collectivités territoriales : mairies pour les écoles, conseils départementaux pour les collèges et conseils régionaux pour les lycées. Depuis la sortie du livre, je suis contacté par les collectivités qui perçoivent bien, pour beaucoup d’entre elles, que l’on ne peut plus décemment équiper les salles de classes comme on le faisait déjà au XIXème siècle avec des rangées de tables et de chaises et un tableau magistral. Les collectivités consultent, réfléchissent et se nourrissent des expériences de terrain mais elles sont dans un entre-deux inconfortable, coincées entre la facilité de reconduire la norme et le pari de la rupture. Elles ont besoin de prendre la mesure de ce mouvement de fond qui se dessine et d’être rassurées et cela est bien normal. Je crois que la solution passera par la base et pour ce faire, il convient dans un premier temps d’équiper les salles de classes pour ceux qui le désirent. J’échange tous les jours avec des collègues motivés par enseigner autrement, pour repenser l’espace et qui me disent les difficultés qu’ils rencontrent pour faire évoluer leurs salles de classe : le mobilier n’est plus adapté, les moyens peuvent manquer pour couvrir les murs des salles de tableaux supplémentaires ou pour aménager des coins plus isolés. Et l’on se retrouve avec des enseignants qui doivent devenir des adeptes du « Do-it-yourself » ou de la récupération pour transformer les espaces pédagogiques. C’est louable mais cela n’est ni normal, ni tenable ; les collectivités doivent absolument accompagner les enseignants dans leurs réflexions pédagogiques ! Il faut arrêter de penser l’équipement des salles de classe a minima selon des normes standardisées et venues d’un « autre monde ». Heureusement, comme la demande est forte, l’offre d’équipement commence, elle aussi, à faire sa mue et il devient possible de trouver du mobilier qui sorte de la norme. C’est de bon augure.



Questions de classe(s) – Pour revenir à l’enseignement mutuel et à son histoire, à côté des critiques conservatrices ou réactionnaires portées par l’Église et l’État, d’autres ont pointé le caractère disciplinaire de son organisation, quasi-militaire ou du moins calquée sur la structure de la fabrique… Foucault, dans Surveiller et punir, y revient (confondant d’ailleurs souvent enseignement mutuel et simultané dans ses critiques…) cet enseignement, soutenu également par une partie de la classe dominante, pour des raisons budgétaires mais aussi “disciplinaires”, doit certainement être réinvesti en dépassant un certain nombre de ses caractéristiques initiales ?

Vincent Faillet De l’école mutuelle, je garde la philosophie et les principes fondateurs, sûrement pas leur mise en œuvre. Une mise en œuvre, en effet, extrêmement disciplinaire et codifiée qui s’inscrivait bien dans le XIXème siècle et qui était aussi rendue nécessaire par les effectifs pléthoriques que pouvait absorber cette méthode d’enseignement (il pouvait y avoir plusieurs centaines d’élèves pour un seul maître). En réalité, comme je le montre dans le livre, la méthode mutuelle en elle-même est beaucoup plus ancienne et pas forcément rattachée à cette vision rigide du XIXème siècle. Dans l’expérience de la « classe mutuelle » du lycée Dorian, les élèves s’enseignent mutuellement avec une liberté sans commune mesure avec ce que pouvait être l’école mutuelle. Les élèves circulent, choisissent leurs groupes et leurs activités et il n’y a bien sûr pas de « moniteur » en titre !

[*« De l’école mutuelle, je garde la philosophie et les principes fondateurs, sûrement pas leur mise en œuvre. Une mise en œuvre, en effet, extrêmement disciplinaire et codifiée qui s’inscrivait bien dans le XIXème siècle et qui était aussi rendue nécessaire par les effectifs pléthoriques que pouvait absorber cette méthode d’enseignement (il pouvait y avoir plusieurs centaines d’élèves pour un seul maître). »*]



Questions de classe(s) – Un peu avant la très belle conclusion de ce livre qui trace de prometteuses perspectives, vous évoquez les “conservatismes” pédagogiques (ce que nous nommons le discours “réac-publicain”). De quelle manière peut-on, selon vous, porter la contradiction dans l’espace public sur celles et ceux qui se délectent du “naufrage de l’école” ou qui considèrent que leurs collègues fabriquent “du crétin” à longueur de cours… ?

Vincent Faillet Je préfèrerais parler du « naufrage d’un système » plutôt que de celui de l’école. Il est certain que le modèle simultané est tellement ancré dans l’école que l’un et l’autre semblent se confondre pour ne faire qu’un. Cela étant, le navire « école », s’il est toujours à flot, n’en reste pas moins en rade. Certains prétexteront le « gros temps », cette fatalité des éléments, pour justifier l’immobilisme, d’autres diront que c’est la faute du capitaine, d’autres encore stigmatiseront l’équipage voire même les passagers, je préfère quant à moi pointer du doigt la vétusté d’un navire qui doit être réarmé. C’est la salle de classe qu’il convient de reconstruire autour des élèves avec pour seul maître-mot : interactions. La salle de classe ne doit plus être pensée comme une salle de spectacle où les élèves viendraient écouter la magistrale parole mais comme un lieu d’échange et de vie. Il faut pour cela revoir l’aménagement de l’espace et ce que l’on y fait. Et bien au-delà de la « classe mutuelle », de nombreux enseignants de l’école primaire, de collège ou de lycée explorent dans leur coin, avec les moyens du bord et dans des conditions parfois difficiles cette question ; il est venu le temps pour l’institution de se saisir cette problématique pour faire évoluer l’aménagement des salles de classe et pas seulement dans les établissements en restructuration ou en construction. Chaque salle de classe, de chaque établissement, doit pouvoir être réinvestie différemment. Cela n’est pas forcément dispendieux pour une collectivité mais cela suppose une volonté centrale. C’est à ce prix-là que la forme scolaire évoluera en profondeur et que les conservatismes seront dépassés ; c’est un effort indispensable et tout le monde sait que le meilleur des capitaines et le meilleur des équipages ne feront jamais d’un vieux « rafiot », un bolide des mers fendeur d’écume…

Propos recueillis par Grégory Chambat pour Questions de classe(s)

Pour consulter le sommaire et voir un reportage vidéo de Claude Tran réalisé en première scientifique en juin 2017, visitez le site de Vincent Faillet

febe6482-e952-40a3-8e7d-bf94c373ee50_bphxzc.pngLa métamorphose de l’école quand les élèves font la classe, Vincent Faillet, Descartes et Cie, nov. 2017, 141 p., 14 €.










1 Comment

  1. B. Girard

    La classe mutuelle, entretien avec Vincent Faillet
    Une initiative qui rend un peu d’optimisme à un moment où, en France, des “intellectuels” ayant pignon sur rue – et l’écoute des politiques décideurs – en sont à réclamer le retour des estrades en classe, “symboles de verticalité et d’autorité” (R. Debray).
    Dans un registre voisin, en Finlande, on fait ça : https://terrehap.fr/finlande-sera-premier-pays-monde-a-supprimer-toutes-matieres-scolaires/

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