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La Société des oiseaux tombés

Les KroniKs d’avril sont publiées.

Qui, enfant, ne s’est pas pris au moins une fois de passion pour un oisillon tombé d’un nid?

Combien de générations d’enfants n’ont pas tenté, le plus souvent en vain, de nourrir et d’héberger , ce petit en mauvaise posture? Cet événement représente ou a représenté même une expérience « éducative classique », pour tant d’enfants des villes comme des campagnes. La confrontation à ce que la vie peut réserver d’espoir, de sentiment d’impuissance et de fatalité et de mort.

Mais cette expérience commune , directe ou indirecte contribue aussi à un fond de culture que nous partageons, et particulièrement dans les secteurs de l’éducation, de l’enseignement, et du Social. Nous sommes pris dans des représentations héritées par l’histoire de nos institutions, l’histoire de nos sociétés , qui s’accroche et qui se nourrit de telles images.

Le travailleur social croit à la rencontre providentielle, comme l’enfant avec l’oiseau tombé du nid. Il fait de cette rencontre un point de départ, un point d’appui, un commencement d’une histoire qu’il se raconte. Toute notre culture professionnelle et sociale repose sur de tels arrangements. Nous « rencontrons » des enfants plus ou moins difficiles, des situations, des familles, des équipes… qui sont ce qu’elles sont , « par nature ».

La plupart des travailleurs sociaux croient à la rencontre comme on croit, non pas au Hasard, mais à la Providence. Ils croient en un hasard sans finalité , ni détermination. Et tout ensuite en découlera . Il faudra remédier à ce qui fait défaut. L’oisillon a-t-il froid? Il faudra le couvrir. A-t-il faim? Il faudra le nourrir. Mais surtout quoi qu’il arrive, pensons- nous, il faudra le replacer , le réintroduire dans son milieu et dans « sa » nature.

Il y a là toutes les croyances de nos cultures professionnelles en panne. Ce seraient les individus qui échoueraient, qui dévisseraient, qui perdraient pied. Il n’y aurait nulle détermination, nulle rationalité à comprendre, nulle source de l’exclusion ou de la marginalité à comprendre. C’est l’exclu qui s’exclue, et le marginal qui se marginalise.

Pas de contexte, pas de raisons.

Ce qui heurte l’enfant, face à l’oiseau tombé du nid, c’est la révélation que la Nature ne serait au final pas « bonne » en elle même et qu’elle ne retient pas ceux qui tombent. Le travailleur social, l’intervenant éducatif, l’animateur socioculturel veulent eux aussi croire en une bonne société , qui retient ceux qui y vivent et dans laquelle il suffirait de réintroduire ceux, qui sans raison, ni détermination, en seraient exclus et rejetés.

Il ne viendrait à l’idée de personne d’imaginer que c’est la « mère-oiseau », elle même, qui éjecte l’oisillon; que cette société censée protéger et intégrer, produit dans la réalité elle même, inévitablement et inexorablement de plus en plus d’exclus et de précaires.

Il est si difficile de croire que c’est celui qui est censé éduquer, qui produit l’ignorance, que c’est l’institution qui est censée socialiser, qui produit l’exclusion et la marginalité.

Nous sommes pourtant passés à un autre niveau, un niveau supérieur, où nous voyons et découvrons que ce sont justement les institutions qui avaient été fondées pour produire un peu de continuité, un peu de cohésion, qui, aujourd’hui, sécrètent la fragmentation. Ainsi , vous n’êtes pas plus tôt inscrits à Pôle emploi, que , passée la porte d’entrée, à votre insu, vous voici déjà radié.

N’auriez vous pas oublié de produire un document impossible dont la demande vous a faite, à un moment X, aux tréfonds d’Internet?

Et il en est de même pour vos droits et vos allocations, de plus en plus conditionnelles, de plus en plus conditionnées, en un mot… de plus en plus improbables.

Et c’est ainsi que c’est le foyer, la maison d’enfants, censée abriter qui met dehors, ou enregistre benoîtement les fugues; les mesures de justice à peine prononcées, deviennent des mains levées dès que la situation se complique. Dans les polyvalences de secteurs, on érige des barrières , des barrages, des épreuves à passer .

Des employés vont faire filtre, vont faire « sas » ; des travailleurs sociaux vont être présents pour expliquer « qu’on ne peut rien pour vous » . Et ce nouveau service , destiné à éloigner, à protéger l’institution et ce qui lui reste de coquille vide nous allons l’appeler triomphalement: « Accueil de proximité ».

Aujourd’hui , les oiseaux , plus que jamais, tombent des nids; mais c’est qu’on a savonné les troncs et les branches!

Et les arbres ne les accueilleront plus. C’est toute une autre société des oiseaux tombés, que nous avons à inventer, à créer. C’est une autre manière de prendre soin, d’éduquer, de vivre , travailler et habiter ensemble que nous avons à produire.

C’est une autre action sociale et éducative, réaliste et sans illusions; une action sociale à la fois inconditionnelle et durable dont nous sommes pionniers.

Celui qui croit à la Providence , croit aussi à la Fatalité. Il est prêt à tout accepter, sans jamais réagir, sans révolte et sans conflits. En Pédagogie sociale , nous ne croyons pas à la rencontre providentielle, nous pensons les déterminations, les relégations sociales, politiques, administratives et économiques .Nous nous savons le terrible poids de la détermination sur les choses et sur les gens.

En Pédagogie sociale, nous connaissons le Hasard , la complexité des choses, et la conflictualité. C’est cette complexité , l’ensemble des contradictions et des forces opposées qui s’affrontent, qui composent une réalité flexible, qui nous donnent un peu de liberté et de pouvoir.

Laurent Ott,

Intermères Robinson – Espace de Vie Sociale/ CENTRE SOCIAL
Longjumeau- Chilly- Massy et Nord Essonne

Site, blog et bien plus encore : http://www.intermedes-robinson.org

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