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La Révolution française enseignée au collège

Dans le prolongement du dossier sur l’enseignement de l’Histoire publié dans l’Émancipation syndicale et pédagogique n° 6 de février 2013 et 7 de mars 2013, un débat a été organisé lors de la semaine Emancipation d’Avignon en juillet 2013 centré sur l’enseignement de la Révolution française de l’école primaire au lycée. Cet article reprend l’une des contributions au débat.

Le chapitre consacré à La révolution française en 4ième concentre à peu près toutes les critiques que l’on peut adresser aux nouveaux programmes d’histoire du collège. Il illustre parfaitement l’histoire officielle qu’il est enjoint de transmettre et les travers d’une Histoire conçue comme une succession de “temps forts” isolés, séparés de périodes sur lesquelles il est inutile de s’attarder.

L’ensemble de la partie, qui intègre aussi l’Empire, l’Europe en 1815 et le congrès de Vienne, doit être traité en 7 à 8 heures de cours. Il s’agit en fait de survoler et de mémoriser une collection de faits disparates.

Une histoire politique désarticulée.

A l’image de la philosophie générale des nouveaux programmes de collège, l’étude de la période 1789 – 1815 se résume à quelques personnages et épisodes considérés comme marquants, dispersés dans le temps et qu’on ne cherchera pas à lier entre eux pour leur donner sens et perspective.
On peut citer ici le Bulletin Officiel : de l’Éducation Nationale spécial n°6, 28 août 2008 : “On renonce à un récit continu des événements de la Révolution et de l’Empire ; l’étude se concentre sur un petit nombre d’événements et de grandes figures à l’aide d’images au choix pour mettre en évidence les ruptures avec l’ordre ancien.”
Le choix des évènements est imposé, l’accent est mis sur trois moments :

– L’année 1789;

– la période 1792-1794 : la République, la guerre et la Terreur ;

– 1799-1804 : du Consulat à l’Empire.

On note que la Révolution française et l’Empire napoléonien sont globalisés dans le même chapitre, il n’y a plus de coupure nette entre Révolution et Empire, et Napoléon 1er semble s’imposer naturellement comme la dernière grande figure révolutionnaire, comme s’il s’agissait au XXI ième siècle de reprendre à son compte ce thème central de la propagande bonapartiste. Ou comme s’il agissait de faire la démonstration, sans l’avouer, qu’une révolution ne peut aboutir qu’à un régime autoritaire, démonstration qui sera reprise en Troisième dans tous les manuels, avec la révolution russe.

S’il faut renoncer à un récit continu, il faut bien pourtant relier ces “temps forts”, le plus souvent par un récit minimaliste éludant des évènements qui fournissent des clés explicatives essentielles à une compréhension de la dynamique révolutionnaire. On aboutit alors à des textes de leçon caricaturaux, où le risque d’induire l’élève en erreur est tout juste compensé par quelques informations qu’il est possible de glaner dans les documents. Par exemple dans le Magnard la guerre n’est mentionnée qu’après l’exécution de Louis XVI, sans que la date d’avril 1792 ne soit indiquée dans aucun document. Autre exemple : tous les manuels sauf un ( Bordas ) passent totalement sous silence la fusillade du Champs de Mars, à Paris, le 17 juillet 1791, alors que c’est l’évènement majeur qui vient briser l’union de la bourgeoisie et des classes populaires, qui avait prévalu en 1789.

Quant aux “grandes figures”, elles se réduisent à Robespierre et Bonaparte, sauf dans quelques manuels comme Bordas , qui y ajoute La Fayette et Danton.
Ces “grandes figures” sont cependant abordées rapidement, tous les manuels privilégiant l’approche par les évènements.

Dans la majorité des manuels les périodes de la réaction thermidorienne et du Directoire sont expédiées en quelques lignes très brèves, voire totalement occultées comme dans le Magnard . Seul Bordas accorde deux pages qui permettent, à partir de quelques documents, de survoler la période et d’aborder l’ascension du général.

Une histoire sociale occultée

Le contexte économique, le jeu des forces sociales, les débats politiques et les débats d’idées qui ont marqué la période, sont totalement ignorés. La dictature jacobine est présentée de manière particulièrement caricaturale. Dans tous les manuels, seuls deux aspects sont mis en avant : la guerre, et la répression. Seul Magnard présente dans un schéma organisé en quatre parties, et à peu près trois fois plus petit qu’une gravure représentant la guillotine, les principales mesures du gouvernement révolutionnaire. Mais la loi du Maximum des prix par exemple est incompréhensible, puisqu’ aucun aspect de la situation économique depuis 1789 n’est ou n’a été seulement évoqué.

Les aspects sociaux sont à peine effleurés dans une leçon qui sonne comme un bilan de la période révolutionnaire, et intitulée “Les fondations d’une France nouvelle pendant la révolution et l’empire”. Il s’agit ici, selon le principe imposé de “l’étude de cas”, d’aborder un sujet au choix, et un seul, parmi la liste suivante :

– L’invention de la vie politique.

– Le peuple dans la Révolution.

– La Révolution et les femmes.

– La Révolution, l’Empire et les religions.

– La Révolution, l’Empire et la guerre.

Mais ces études ne sont pas conçues pour contribuer à une grille de lecture de la période révolutionnaire. Par exemple les pages consacrées au “Peuple dans la révolution” sont exclusivement centrées sur les classes populaires urbaines et les Sans-culottes. Oubliant que seulement 15 à 20 % de la population est urbanisée à cette époque, les masses paysannes sont totalement ignorées. Même la Grande peur de l’été 1789 n’est qu’à peine abordée dans seulement deux manuels, par le biais de la présentation succincte d’une gravure du musée Carnavalet, dans la partie consacrée à l’année 1789. Déconnecté du récit des évènements, l’objectif de cette étude n’est pas de comprendre quelle a été la place des classes populaires dans le processus révolutionnaire. Il s’agit d’illustrer un aspect de la “France nouvelle” issue de la Révolution et de l’Empire.

Ces études ne s’insèrent pas non plus dans un fil rouge qui permettrait de suivre sur le temps long une thématique d’histoire sociale. Ainsi, “La Révolution et les femmes”, si le thème est choisi, sera le seul et unique moment du programme où il sera question de la place des femmes dans l’histoire. La problématique sera par la suite totalement abandonnée, y compris dans l’histoire du XXième siècle en Troisième.

Un autre exemple : la traite négrière et l’abolition de l’esclavage. Les débats de la période révolutionnaire sur l’égalité des droits, le refus d’abolir l’esclavage en 1789, la révolte des esclaves de Saint-Domingue qui commence en août 1791, l’abolition de l’esclavage en 1794, puis son rétablissement en 1802, l’histoire de Toussaint Louverture, tout cela est passé sous silence. Du coup les élèves ont juste à apprendre par cœur la date de l’abolition de l’esclavage par Victor Schœlcher en 1848 sans avoir à s’interroger sur ce qui a pu se passer entre l’époque de la prospérité du commerce triangulaire au XVIIIième siècle, étudiée au début du programme, et la Seconde République, mis à part peut-être, si l’enseignantE en a fait le choix, la critique de l’esclavage dans la philosophie des Lumières.

Quel continuum avec le lycée ?

La Révolution française est abordée à trois reprises dans le cursus scolaire de la voie générale, dans le cycle III, en Quatrième et en Seconde.

Cette récurrence s’appuie sur la théorie, pertinente, de la construction spiralaire des savoirs, c’est-à-dire l’idée qu’il est nécessaire de revenir à plusieurs reprises, espacées, sur les notions complexes, pour en approfondir et en affiner la compréhension, l’usage et la critique, au fil de la maturation des élèves. Mais cette logique de construction globale des programmes ne s’applique pas de la même manière à touTEs après le collège.

Après la Troisième, les programmes d’histoire changent selon les filières. La Révolution française n’est pas au programme des classes préparatoires au CAP (nouveau programme de 2010), et en Seconde Professionnelle elle se réduit à la seule nuit du 4 août 1789. L’étude de la période révolutionnaire en Quatrième est donc aussi contrainte par l’injonction générale d’avoir vu l’ensemble des périodes historiques à la fin du collège, actant ainsi le principe de l’orientation après la Troisième. D’où la lourdeur des programmes et des contraintes horaires difficiles à respecter.

Pour les élèves de Seconde Générale, le problème de la redondance peut se poser.
On ne peut pas en effet accepter d’entrer dans une logique du type : on traite uniquement l’histoire politique au collège, et on réserve l’histoire économique sociale et culturelle pour le lycée.

Un renouvellement des problématiques pourrait être envisagé, qui permettrait à la fois de consolider les acquis et d’approfondir les notions.
Un changement d’échelle pourrait aussi être pertinent : local /national au collège, national/européen au lycée, à condition que la problématique de la révolution française et l’Europe soit véritablement traitée, intégrant l’étude comparée des forces sociales et des mouvements d’idée, au lieu du survol actuellement proposé.

Quelques propositions en termes de pratiques pédagogiques

Mettre au cœur des programmes le lien histoire sociale – histoire politique, le continuum chronologique, la formation du raisonnement (l’enchaînement causes conséquences), devrait être l’axe principal de réflexion sur les contenus.

Bien entendu il ne pourra jamais s’agir de proposer aux élèves un récit continu et détaillé par le menu de la période étudiée. Il faudrait bien sûr insister sur les “temps forts et les ruptures”, mais d’une part ces derniers doivent s’insérer dans un continuum historique, une trame du temps long cohérente et faisant sens, d’autre part leur choix pourrait relever de la liberté pédagogique. Les programmes devraient être conçus comme des cadres généraux permettant de partir des questionnements des enfants et des jeunes, et non comme des empilements de contraintes horaires et de sujets imposés.

La Révolution française se prête particulièrement bien aux études locales. Certes, chaque région a ses spécificités historiques. Des départements ont été plus concernés que d’autres par certains évènements, comme la Grande Peur de l’été 1789, les guerres de Vendée et de Bretagne, l’activité des tribunaux révolutionnaires, la répression des prêtres réfractaires. Mais c’est une des rares périodes de l’histoire où l’on est assuré de trouver dans quasiment toutes les Archives Départementales des documents de même type.

Les revendications exprimées dans les cahiers de doléances, la mise en place des nouveaux poids et mesures, le rachat des biens nationaux, le contrôle des subsistances, les délibérations des nouvelles municipalités et Conseils de districts, fournissent toujours une matière riche et abordable dès le collège, via parfois une traduction en langage actuel.

C’est également l’occasion de prendre conscience que l’Histoire ce n’est pas une abstraction que l’on découvre dans les livres, mais un ensemble de faits et de mutations où l’environnement proche et ses habitants ont pu aussi prendre une part active.

Raymond Jousmet.

Cet article a été publié dans l’Émancipation syndicale et pédagogique n°4, décembre 2013.

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