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LA SEULE ÉCOLE FREINET NORMANDE ET SA PÉDAGOGIE ALTERNATIVE DANS LE VISEUR DE L’ÉDUCATION NATIONALE

Blanquer a parlé de pragmatisme pour qualifier non seulement sa gestion au coup par coup de la crise sanitaire, mais l’ensemble de sa vision de la politique. Bien sur, peu de journalistes ont interrogé le sens qu’il donne à ce mot. Jusqu’alors nous avons constaté qu’il confondait à dessein dans sa communication le pragmatisme avec “le bon sens “de l’opinion générale. Il est souvent le masque de décisions très idéologiques, bien à rebours de ce que nous défendons dans l’école, et dont les effets pédagogiques et pratiques, comme dans le cas du déconfinement scolaire, sont trop peu questionnés. Son pragmatisme ne s’appuie pas sur des faits mais résulte la plupart du temps d’une prise de position idéologique et d’un calcul politique.

L’école Freinet d’Hérouville-Saint-Clair ne sera plus profilé à la rentrée prochaine et n’offrira plus d’enseignement avec la pédagogie Freinet.

S’agit-il d’une fermeture de poste et de l’arrêt pragmatique d’un projet qui a vu ses acteurs et ses élèves disparaitre ? Ou est-ce la conséquence d’un manque de volonté institutionnelle de continuer une expérience efficiente et concurrente des méthodes préconisées par le ministère pour l’école élémentaire.
Depuis quelques années de nombreux obstacles administratifs ont gêné les enseignants et leur projet, leur adhésion aux formations du mouvement, et au final, fait fuir certains et certaines enseignantes du poste. Aujourd’hui l’institution reproche aux enseignants récemment parachutés sur l’école, leur manque de formation et d’implication sur le projet pour sonner la “fin de la récréation”. Le Dasen de l’académie de Normandie parle à propos de l’école Freinet d’Hérouville de risque de niche, voir de sectarisme, peu compatible avec les missions de l’institution. En rapprochant ces propos des éloges que le ministre Blanquer a adressé il y a peu aux établissements privés sous contrat et aux écoles Montessori, nous avons peur de déceler au delà de l’apparente contradiction dans les postures, un dessein plus large…
Nous connaissons l’adage : “quand on veut tuer le chien on dit qu’il a des puces” !

Le Pouple, le journal normand d’investigation a mené l’enquête pour savoir si cette perte du label et du profilage du poste est un effet du pragmatisme institutionnel ou un nouvel épisode de la guerre idéologique que Blanquer et ses services mènent dans l’institution. Est-ce la fin d’une politique aventureuse ou le résultat d’une politique de table rase concernant les pratiques et l’histoire de la pédagogie sociale et émancipatrice dans l’école publique ?
Je vous invite à lire ci-dessous un extrait de l’éloquent article de Marylène Carré et d’en poursuivre la lecture sur le site du Poulpe ici : https://www.lepoulpe.info/pres-de-caen-la-seule-ecole-freinet-en-normandie-et-sa-pedagogie-alternative-dans-le-viseur-de-leducation-nationale/


LA SEULE ÉCOLE FREINET NORMANDE ET SA PÉDAGOGIE ALTERNATIVE DANS LE VISEUR DE L’ÉDUCATION NATIONALE

Pour la prochaine rentrée, l’Éducation nationale a décidé de tout chambouler à l’intérieur de la seule école Freinet de Normandie, à Hérouville-Saint-Clair, près de Caen. En plein confinement, tous les enseignants ont appris qu’ils n’étaient pas reconduits à la rentrée tandis que le terme de « pédagogie Freinet », fondée sur l’autonomie et l’horizontalité, n’apparaît plus dans le profil de poste…

PAR MARYLENE CARRE | 25 MAI 2020

Que se passe-t-il à l’école Freinet d’Hérouville-Saint-Clair ? La seule école normande pratiquant exclusivement la pédagogie développée par l’instituteur Célestin Freinet dans les années 1920 est-elle menacée ?

C’est ce que craignent les 3 000 signataires d’une pétition lancée par les parents d’élèves, inquiets du projet de l’inspection académique de remanier l’équipe en place, sous couvert de refonte du projet. « Tous les enseignants sont contraints de recandidater sur leur propre poste. Menacer ainsi individuellement des professionnels investis et appréciés conduira à déstabiliser nos enfants et la continuité de l’enseignement, alors qu’il y aurait lieu de consolider un collectif existant, héritier d’une histoire commencée il y a 43 ans », accusent les pétitionnaires.

En 1976, l’école Freinet ouvre dans le quartier du Bois à Hérouville-Saint-Clair, à l’initiative du maire socialiste de l’époque, François Geindre, et de son adjointe aux affaires scolaires, Francine Best, directrice de l’Institut national de recherche pédagogique, qui sont allés chercher des instituteurs Freinet pour bâtir le projet.

Toute l’école, jusque dans sa conception architecturale, est conçue à l’aune des principes de Freinet : décloisonnement des classes, autonomie et coopération entre les enfants, ouverture de l’école vers l’extérieur et en particulier aux parents, etc. École publique (et donc gratuite), elle fonctionne sur un régime dérogatoire : un tiers des enfants sont issus du quartier, un tiers des autres quartiers de la ville et un tiers de la région.

Ces dernières années, la proportion d’enfants « du secteur » a encore diminué, le quartier ayant perdu des familles. 80 % des inscrits sont hors carte scolaire, motivés par le projet d’école. Les enseignants y sont affectés selon les règles générales applicables au mouvement, en fonction d’un barème de points. Les premiers instituteurs Freinet ont formé leur successeurs, et ainsi de suite pendant 43 ans, avec l’appui de l’ICEM (Institut coopératif de l’école moderne), qui regroupe tous les enseignants pratiquant la pédagogie Freinet.

(…)

Car certaines pratiques de la pédagogie Freinet heurtent les directives ministérielles : la méthode naturelle d’apprentissage de la lecture et de l’écriture (à laquelle le ministre oppose la méthode syllabique stricte), le refus des évaluations, des référentiels ou guides autorisés, et un mode de gouvernance collégiale, qui veut que toutes les décisions soient débattues et votées collectivement en conseil des maîtres, là où l’inspection académique préfère un pilote unique.

« Un système de gouvernance collégiale dans une école publique, ça n’existe pas », tranche l’adjoint au directeur académique, Claude Chotteau. Mais le « mouton noir » Freinet avait tenu bon jusqu’ici, fort de la bonne réputation de l’école et de son attractivité territoriale. La collectivité s’est toujours enorgueillie d’avoir l’une des rares écoles publiques Freinet en France.

Enquête administrative

À la rentrée 2019, l’école s’est trouvée fragilisée. Quatre enseignants sur douze sont partis, dont la directrice, laissant le poste vacant qui, faute de candidats, a été attribué à une enseignante volontaire, pour un intérim d’un an. Une autre collègue est partie en novembre. L’intégration des nouveaux a demandé plus de temps. La nouvelle directrice s’est rapidement retrouvée en porte-à-faux avec le reste de l’équipe. Les informations ne circulaient plus librement, mettant à mal la gouvernance collégiale, les directives de l’inspection académique sont devenues, par l’entremise de la directrice, « non négociables ». « La directrice n’a pas pu ou n’a pas voulu s’appuyer sur son équipe, elle a pris tout pour elle et s’est retrouvée entre le marteau et l’enclume », analyse Guillaume Fourmont, président du groupe départemental de l’ICEM 14.

Le 5 décembre 2019, les enseignants sont informés par l’inspection académique qu’une enquête administrative est diligentée sur l’école. Le motif n’est pas explicité. L’ICEM et les syndicats tentent une médiation en conseil des maîtres : la directrice évoque une situation de « harcèlement » de la part de ses collègues. L’enquête se déroule sur deux jours, les 17 décembre et 14 janvier. Les enseignants de l’école sont auditionnés individuellement, sans avoir le droit d’être accompagnés syndicalement. L’entretien porte exclusivement sur les dysfonctionnements au sein de l’équipe. Des inspecteurs visitent les classes, photographient des cahiers d’élèves. Mais à la différence d’une inspection « normale », les enseignants ne sont aucunement questionnés sur leurs méthodes de travail.

Sept enseignantes en arrêt

La direction académique annonce un retour des résultats d’enquête en février. Rien ne vient et la situation se crispe. Une enseignante accusée de retards est convoquée par l’inspection, sans échange préalable avec la directrice. Ses collègues s’en émeuvent auprès de cette dernière. Le soir même, ils sont convoqués par l’adjoint du directeur académique qui leur apprend que la directrice est en arrêt de travail et les exhorte à « faire leur examen de conscience ».

Le lendemain, une autre enseignante reçoit la visite de l’inspectrice parce qu’elle est soupçonnée d’être entrée dans le bureau pour prendre des documents. « Quel bureau ? » s’étonne-t-elle. Dans le « bureau » se trouvent la photocopieuse et la cuisine des enseignants. Les jours suivant, sept enseignantes se mettent en arrêt de travail, à tour de rôle. Certaines ont ouvert un dossier pour « accident de service » sur le registre santé et sécurité au travail. « On était sous pression, avec l’impression d’être sans arrêt contrôlées », témoigne l’une d’elle.

Le 2 mars, les enseignants apprennent sur le site iprof « qu’à compter de la rentrée 2020, tous les postes de l’école Freinet sont profilés au fur et à mesure de leur vacance. » En clair, les enseignants ne seront plus recrutés au mouvement, mais sélectionnés par l’administration après entretien. Le seul poste vacant est alors celui de la directrice. Les parents d’élèves, inquiets de la tournure des évènements, obtiennent un rendez-vous avec la DSDEN (direction des services départementaux de l’Education nationale) le 11 mars pour demander les conclusions de l’enquête. Le confinement a mis fin à leurs attentes. Report sine die.
(…)
A suivre sur Le Poulpe : https://www.lepoulpe.info/

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