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L’invitation à déliaisons

Nous vivons à la fois personnellement et collectivement, une invitation permanente à la déliaison. Toute approche nous paraît risquée; tout engagement nous paraît périlleux.

Celui qui s’absorbe quelque temps dans une tâche ou un quelconque engagement est vite submergé par des angoisses. Curieusement, au lieu de percevoir ce qu’il y gagne, le voici observé par la peur de se perdre lui-même: n’est il pas en train de perdre son temps? En train de se laisser exploiter? Et surtout est il au bon endroit? Les relations qu’il crée dans son nouvel environnement de travail ne risquent elle spas d’être secondaires et médiocres, voire de le disqualifier?

Chacun vit en parallèle, selon sa position sociale une assignation au nomadisme de vie privée comme de travail: le cadre sup ne doit pas perdre son temps sur un poste; ne pas s’appesantir, ne pas s’installer. Sinon il est fichu , il est « cramé ». Imaginez donc: on risquerait de croire « qu’il est bon à ce qu’il fait ». Autrement dit, qu’il ne serait bon à rien d’autre.

Le précaire , de son côté subit lui aussi la même assignation; elle l’empêche simplement d’exister. Peut il prendre le temps d’être là où il est ? Peut il accepter et revendiquer la place qui est la sienne. Non, lui aussi la perçoit comme vite dégradante et insupportable. Le voici qu’il s’excuse d’habiter et d’être là. C’est sûr, il va partir. C’est sûr , ça ne va pas durer. Il empêche consciencieusement son présent de trouver des racines , par peur d’y rester attaché.

L’invitation à déliaison que nous subissons nous fait percevoir le moindre lien, la moindre attache fût-ce avec la réalité, et la matière du travail et de la vie, comme une entrave.

Effet d’aubaine

Il y a même toujours un « effet d’aubaine » pour celui qui lâche; il trouve des compensations, parfois des allocations, certes toujours misérables, mais qui permettent au moins de retrouver sa solitude en amortissant le choc. Il y a même des bénéfices espérés à quitter un poste, ou un emploi, grâce aux ruptures « conventionnelles » qui, au moment où on quitte, lui donnent l’impression d’un petit bonus. Il y a une convention à la rupture, une prime au départ. Partir, rapporte.

Divisions et déliaisons dangereuses

Et peu importe que nous nous sommes abîmés dans toutes ces rencontres qui ne sont pas faites, dans toutes ces relations qui n’ont pas abouti. Peu importe que nous ayons perdu à ne jamais voir l’effet à long terme de ce que l’on fait. Peu importe qu’on ne puisse découvrir ce qui se passe après et qu’on en reste à la surface des choses et la résistance des sols. Celui qui plante aujourd’hui ne voit plus la moindre pousse et quand il récolte de mauvais fruits , il ne sait plus à quoi, ni à qui les attribuer.

La déliaison empêche la compréhension profonde du monde et des choses; la porte ets dès lors grande ouverte à la reproduction perpétuelle de nos mouvements et de nos errances.

Nous partons avant que ça se gâte, et nous ne savons rien, de la suite de l’histoire et de notre éventuelle pouvoir d’aller au delà.

Les lésions qui en découlent

Ainsi nous avons appris à tirer bénéfice de ce qui nous tue, à avoir des actiosn sur nos faillites et à rêver de vendre à lé découpe les derniers droits que nous possédions. Renonçons donc à un peu de liberté et voyons si nous pouvons en tirer profit.

N’aurai je pas un peu de bénéfice à voir mes voisins jetés sur les routes, parqués ou expulsés? Puis je être intéressé au retrait de leurs droits élémentaires? Si on leur retire tout, aurais je quelque chose?

Cette incapacité à bâtir par moi même, à ne pas même espérer que nous pourrions produire ensemble de nouveau pouvoirs et de nouvelles valeurs, ne me font percevoir le progrès de ma situation que conditionnée, par le recul de tous les autres. Me voilà qui gagne à faire perdre.

Les lésions sociales qui en découlent sont infinies. Celui qui est le plus près de moi, qui me ressemble devient mon pire concurrent; Il va falloir faire le tri entre les bons et les mauvais. Et même si cela commence par ceux qui me paraissent éloignés, tôt ou tard cela gagne mon intimité. C’est au plus près de moi que je ferai le tri. Un de trop toujours et même moi, en dernier.

Je renoncerai , je retrancherai les dimensions de ma vie qui peuvent faire obstacle à ma bonne image.

Des liaisons contre déliaison

En Pédagogie sociale, nous avons des remèdes contre la déliaison et le délitement. Nous instaurons à l’inverse des liaisons , des liens , des attaches. Nous nous faisons les avocats de ce qui dure un peu. Nous nous permettons la durée, alors que tout indique que l’avenir nous manque.

Nous affirmons des choses inouïes: il faudrait des années pour comprendre et maîtriser le travail que nous faisons. Il faudra attendre longtemps avant d’en entendre de la part des bénéficiaires eux mêmes, le récit de comment ça a compté pour eux.

Contre cette tempête qui agite et déracine tout le monde, nous ne pouvons que mettre en oeuvre des bases, des témoins, des permanences. Au moins c’est un excellent poste d’observation et de compréhension de la réalité sociale et des tendances de fond.

Aussi petit soit il, ce travail est celui auquel on retourne. Il est le seul à porter des fruits.

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Graines d’orties 610

Association Intermèdes-Robinson

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