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L’invisibilisation de la discrimination « classiste » à l’école

Le « classisme » est défini par exemple sur l’encyclopédie Wikipedia comme « une discrimination fondée sur l’appartenance ou la non-appartenance à une classe sociale, et spécialement pour des raisons économiques ».

La lutte contre le « classisme » : une valeur de la République ?

Les textes officiels de l’institution scolaire française nous disent que les valeurs de la République sont entre autres « l’égalité » et « la lutte contre les discriminations ».

La lutte contre la reproduction des inégalités sociales à l’école devrait être la priorité N°1 de l’Education nationale. En effet, la France est le pays dont le système scolaire reproduit le plus les inégalités sociales des pays de l’OCDE.

Pourtant cette lutte contre la reproduction des inégalités sociales se trouve noyée dans un ensemble d’autres questions dans la Loi de refondation de l’école de 2013 comme le souligne France stratégie dans son texte d’introduction au débat sur les priorités éducatives que cet organisme a mis en œuvre.

On peut remarquer que le référentiel de compétence des enseignants souligne que la première compétence attendue est « transmettre les valeurs de la République » et la transmission des valeurs de la République est également thématisée avec le programme d’enseignement moral et civique (EMC) de 2015.

On peut remarquer que si ce programme insiste avec raison sur la lutte contre les discriminations sexistes et racistes, il est possible de constater que le grand absent de cette question est la justice sociale économique. Alors même que la France est sensée promouvoir une « République sociale », on peut noter la total absence de référence explicite dans les programmes d’EMC aux « droits sociaux » du préambule de la Constitution du 1946 qui fait pourtant partie du bloc constitutionnalité.

Mais en outre, lorsqu’on nous parle des discriminations, il est à noter que la lutte contre le « classisme » bien évidement ne figure pas de manière explicite dans ces programmes. Il ne s’agit pas de tout réduire à la question sociale, mais l’on souhaiterait que celle-ci ne se trouve pas totalement invisibilisée.

On peut d’ailleurs s’étonner de cette tendance à constamment dénier un lien entre question sociale, et donc analyse matérialiste des faits sociaux, et les attentats qui ont lieu en France actuellement. Pourtant, s’il n’y a pas de fatalisme social, il semble qu’il y ait un profil social où la reproduction de l’inégalité sociale à l’école constitue un élément ( voir l’article du journal Le Monde : « Y-a-t-il un profil type des djiadistes français ? » – URL : http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/11/27/y-a-t-il-un-profil-type-des-terroristes-francais_4819444_4355770.html).

Le « classisme » dans l’école française

Le classisme dans l’école française peut se jouer à deux niveaux : entre les élèves et entre les enseignants et les élèves.

Concernant le premier cas, entre les élèves, les enquêtes de victimisation soulignent que les élèves se plaignent en premier lieu, et avec un pourcentage nettement plus important, de la violence entre pairs que de la violence subie de la part des enseignants. Lorsqu’on prend le cas du harcèlement scolaire, on sait que les mécanismes du harcèlement consistent à persécuter un élève en raison d’une différence qui est érigée en stigmate. Toute différence peut devenir un stigmate négatif : les résultats scolaires, les goûts, la manière de s’habiller… Les travaux indiquent que le facteur le plus à risque est celui d’être en surpoids. Il est intéressant de rappeler que le fait d’être en surpoids est corrélé au milieu social et que c’est devenu un marqueur social lié aux classes populaires. Au contraire, les classes sociales supérieures font de la minceur un critère de distinction sociale.

Le « classisme » a été également mis en valeur à travers les comportements des enseignants par la sociologie. Les enseignants tendent à ériger les normes de comportement de leur propre milieu social en norme universelle. Pierre Bourdieu a ainsi parlé d’un « ethnocentrisme de classe ». Ils ont tendance à s’appuyer sur des connivences de classe sociale entre la culture scolaire et les élèves issus de classes moyennes. C’est pourquoi afin de lutter contre ces implicites, Bourdieu a appelé les enseignants à « vendre la mèche » en explicitant leurs attentes. Les enseignants ont également tendance à orienter les élèves de manière différente à niveau égal en fonction de leur milieu social. Ce ne sont que quelques exemples des pratiques « classistes », souvent inconscientes, et donc discriminatoires à l’égard des élèves des classes populaires et de leurs familles. Car les comportements classistes comprennent un ensemble plus large qui inclut les familles de milieux populaires qui sont perçues comme démissionnaires là où leur distance vis-à-vis du suivi de leurs enfants peut relever d’un manque de capital scolaire ou d’une honte sociale vis-à-vis de l’école.

Conclusion :

L’absence d’une thématisation claire du « classisme » à la fois dans les programmes et la formation des enseignants peut s’expliquer par plusieurs raisons. La première est la prédominance d’un ethnocentrisme de classe au sein de l’école : les enseignants appartiennent aux classes moyennes et en sont souvent issus, les parents de classes moyennes sont plus présents et plus organisés. L’école apparaît ainsi comme un espace de lutte des classes où la définition des priorités restent liées aux intérêts des classes socialement dominantes.
Mais cette invisibilisation du classisme est également la marque d’une invisibilisation plus large des classes populaires dans l’agenda des formations politiques de gouvernement et dans les médias, et de manière générale, la marque d’une invisibilisation de la question sociale.

Références :

Catheline Nicole, Le harcelement scolaire, PUF (QSJ), 2015.
Delahaye JP ? Grande pauvreté et réussite scolaire, Rapport IGEN 2015 – URL :
http://cache.media.education.gouv.fr/file/2015/52/7/Rapport_IGEN-mai2015-grande_pauvrete_reussite_scolaire_421527.pdf
France Stratégie – URL : http://www.strategie.gouv.fr/actualites/ecole-jusquou-va-segregation
Observatoire international de la violence à l’école – URL : http://www.ijvs.org/4-6035-L-Observatoire-International-de-la-Violence-a-l-Ecole-OIVE.php
Perier Pierre, Ecole et familles populaires : sociologie d’un différend, PUR, 2005.

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