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L’idéologie d’un nouveau référentiel de compétence des enseignants

Le projet de référentiel de compétence des enseignants (1) proposé par un groupe de travail du Conseil Scientifique de l’Education Nationale semble développer une vision discutable de l’enseignement.

Une des raisons mise en avant de la production d’un nouveau référentiel tiendrait au fait que celui de 2013 serait : « peu synthétique, peu lisible, et peu mémorisable » (2). Soit, mais…

De la primauté des valeurs de la République à la primauté de la psychologie des apprentissages

Le référentiel de compétences de 2013 mettait en avant comme première compétence « Faire partager les valeurs de la République » avec un sous-item qui listait les valeurs de la République et un autre qui insistait sur l’importance de la formation à l’esprit critique.

Dans le nouveau référentiel, la mention explicite aux « valeurs de la République » disparaît. On ne trouve mentionné l’Education morale et civique et l’esprit critique que perdu au milieu de la deuxième compétence. La vision éducative et civique de l’école publique semble beaucoup moins prépondérante qu’auparavant.

A la place, ce qui apparaît comme primordial, c’est « connaître les élèves et comment ils apprennent ». Si on peut imaginer une possible entrée sociologique dans cette compétence, c’est pourtant plutôt l’entrée psychologique et individualisante qui semble dominer : connaître le développement de l’enfant, savoir comment les enfants apprennent… On peut y voir sans doute le tropisme orienté vers la psychologie cognitive du groupe de travail…

On peut néanmoins se demander pourquoi « faire partager les valeurs de la République » disparaît au profit d’une approche qui semble mettre au cœur de l’enseignement la psychologie des apprentissages ? Qu’est-ce qui rendrait légitime un tel choix ?

Or, ce que l’on peut craindre, c’est une relégation au second plan de la visée humaniste et citoyenne de l’école au profit d’une conception technoscientifique et réifiante de l’enfant et de l’être humain.

De la disparition de certaines notions à la prépondérance d’autres notions.

Dans le précédent référentiel de 2013, on pouvait par exemple constater une attention à des thématiques en lien avec les droits humains et la non-discrimination : le refus de toutes les discriminations, égalité fille/garçon… Tout cela n’apparaît plus explicitement dans la nouvelle proposition de référentiel.

On pourrait arguer qu’il s’agit d’une volonté d’être plus synthétique. Tout cela serait condensé dans « Agir en éducateur responsable et selon des principes éthiques ».

Mais à l’inverse, on peut s’interroger au contraire sur l’usage à plusieurs reprises dans cette proposition de nouveau référentiel de certains termes : efficace/efficacité (4 fois), Gérer (2 fois), Evaluer (3 fois)…

Cette petite analyse de contenu semble mettre en lumière une tendance à une domination d’une rationalité instrumentale là où semblait prédominer auparavant une conception laissant plus de place à des valeurs humanistes.

Or on comprend mal comment on peut faire de « respecter autrui » le quatrième savoir fondamental dans une conception de l’éducation qui ne met plus au coeur de sa pensée le respect de la dignité de la personne humaine, mais une logique d’efficacité, de performance évaluative et de gestion instrumentale.

La Rationalité instrumentale au service de l’harmonie sociale

Mais le plus étonnant arrive à la fin de ce nouveau projet de référentiel, il s’agit de la notion «d’harmonie ». On ne comprend pas à première vue ce que vient faire cette notion dans une vision qui met en avant dans un premier temps une conception technoscientifique de l’enseignement.

Car la notion d’harmonie, nous semble nous entraîner dans le champ économique et politique. Ce que semble indiquer la toute fin du référentiel : « Travailler en harmonie avec la communauté nationale ».

La notion d’harmonie n’est pas ici sans faire penser à l’harmonie de la main invisible du marché. Ou encore aux conceptions politiques qui délégitiment la lutte des classes au profit d’une injonction à l’union harmonieuse entre les groupes sociaux. La notion d’harmonie sociale laisse entendre bien souvent une conception où placé dans des situations socialement inégalitaires, chacun accepte sa place et contribue au bonheur commun.

Pourtant, il pourrait être tout aussi légitime de penser que la formation des enseignants pourrait inclure une sensibilisation à l’importance du droit de se syndiquer et de faire grève qui sont des droits constitutionnels.

Conclusion :

Le nouveau projet de référentiel semble reléguer au second plan les visées humanistes et citoyennes de l’enseignement au profit d’une vision technoscientifique de l’enfant et réifiante de l’enseignement.

Mais tout aussi inquiétante est la conception politique qu’il semble indiquer en définitive de l’activité enseignante qui délégitime le conflit social comme moteur de la démocratie.

Irène (Sud Education 93)

Références :

(1) « Ebauche d’un nouveau référentiel de compétences » . URL : https://www.reseau-canope.fr/fileadmin/user_upload/Projets/conseil_scientifique_education_nationale/Referentiel__GT2.pdf

(2) Bilan d’étape du groupe de travail – formation et ressources – URL: https://www.reseau-canope.fr/fileadmin/user_upload/Projets/conseil_scientifique_education_nationale/Bilan_d_etape2018_GT2.pdf

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