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L’école : du singulier au pluriel

Les attentats du début de l’année ont mis en évidence, s’il le fallait encore et au-delà des éternels ressassements ou des représentations purement gestionnaires, l’absence de projet éducatif cohérent. Ou alors si politique il y a, elle ne peut guère avoir pour nom que la répression. Les enseignants-tes sont accusés-ées de ne pas suffisamment remplir leur mission de transmission des “valeurs de la République”, mais quand certains et certaines d’entre nous ouvrent le débat avec les élèves sur ces mêmes attentats, ils et elles sont parfois inquiétés-ées voire sanctionnés-ées (1). Dans le même temps, les jeunes de culture musulmane sont suspects du simple fait de leurs origines, le ridicule ayant été atteint au moment où le site d’information Médiapart rendait public un document officiel de l’académie de Poitiers demandant aux chefs d’établissement de signaler les élèves montrant des signes de «radicalisation».
C’est dans ce contexte d’hystérie xénophobe que ressurgit la controverse assez surréaliste autour des jupes longues transformées en symbole religieux ostensible, une collégienne s’étant fait renvoyer récemment et à plusieurs reprises de son établissement scolaire pour cette raison dans les Ardennes. Il est tout à fait clair que la laïcité est instrumentalisée par les tenants de l’identité nationale à des fins d’exclusion et par refus de la différence. Faut-il dans ces conditions la jeter dans les poubelles de l’histoire et la considérer comme un accessoire archaïque appartenant définitivement au passé ? Pourtant on ne peut pas non plus, à l’heure de la diversité culturelle, organiser l’espace public à partir des convictions religieuses. Ce serait en effet oublier un peu vite que les religions révélées, en revendiquant pour elles-mêmes et de manière exclusive la Vérité, menacent l’existence même d’un espace où une interaction est possible entre des individus de cultures différentes.

Un lieu de transculturation

Dans son dernier livre, le philosophe André Tosel tente de renouveler la question en reprenant les débats contemporains sur la laïcité tout en essayant de les dépasser (2).
Partant d’un constat d’une crise de l’école sur laquelle il ne s’attarde d’ailleurs pas, il propose une refondation autour d’une laïcité conçue comme un espace public interculturel de confrontation où la formation de soi se fait en commun. Il développe l’idée d’une éducation non pas simplement multiculturelle, ce qui ne reviendrait qu’à concevoir des communautés les unes à côté des autres sans rapport entre elles, mais ouverte sur l’altérité au sens fort du terme, ce qu’il appelle la transculturation. En ce sens, l’école se doit de faire bouger les lignes d’appartenance et de déranger les certitudes identitaires. Il insiste toutefois sur un point important. Ceci est possible seulement si elle est capable de se départir de l’européocentrisme où elle baigne encore et dans lequel une partie de la jeunesse ne peut de toute façon plus se reconnaître pour donner droit de citer à toutes les cultures en les considérant avec une égale dignité. On serait ici tentés de parler d’un principe de laïcité qu’il faudrait construire avec les élèves et confronter à la réalité, à l’opposé d’une morale laïque autoritaire par définition parce qu’indiscutable et devant s’imposer à tous, une forme de religion civile en quelque sorte.
André Tosel entend rompre avec la nostalgie d’une IIIe République qui ne reviendra pas et c’est tant mieux, et des conceptions organiques de la nation qui sont aussi, il faut bien le dire, la marque du fascisme.
Nous sommes placés devant la nécessité de produire ensemble du commun afin d’inventer une société plus fraternelle et une culture véritablement plurielle.


Notes
1. Jean-François Chazerans. Le droit à la philo, Libération du 12 mars 2015.
2. André Tosel, Nous citoyens, laïcs et fraternels ? Éditions Kimé, 2015.

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