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Fillon et l’école: un projet résolument réactionnaire

Le programme (contre -) éducatif présenté ces dernières semaines par Fillon, la brutalité de ses attaques contre la « caste des pédagogues prétentieux qui ont imposé des programmes jargonnants », son refus de prendre en compte la complexité du sujet, tout cela ne vient pas de nulle part. A la conquête d’un électorat adepte des analyses sommaires et des solutions rudimentaires, il recycle des analyses toutes faites, bruyamment colportées depuis plusieurs décennies par une mouvance traditionaliste qui sait se faire entendre des instances politiques. De façon très symptomatique, le projet Fillon sur l’école est étayé par des conceptions, des discours profondément réactionnaires, propagés sur les travées les plus à droite des assemblées parlementaires, notamment au Sénat.

Des sénateurs sous influence

Petit retour en arrière, dans les jours et les semaines qui suivent les attentats parisiens des 7 et 9 janvier 2015, un moment très resserré où – suite à quelques dérapages mineurs qui avaient accompagné une très officielle minute de silence – l’attention des médias se focalise sur l’école. Comme, dans le même temps, il se confirme que les auteurs des attentats avaient été, au moins en partie, scolarisés en France, il n’en faut pas davantage pour que le procès du terrorisme ne tourne au procès de l’école. Dans un contexte qui prend rapidement des allures de chasse aux sorcières, le système éducatif devient la cible de choix, notamment au Sénat qui, le 15 janvier, demande la création d’une commission d’enquête, non pas sur les attentats en eux-mêmes, mais sur la minute de silence et la « perte des valeurs républicaines à l’école ». Détail qui n’a rien d’anodin, l’initiative vient du très villieriste Retailleau – entre Retailleau et Fillon, la proximité n’est pas que géographique – qui se découvre subitement une fibre laïque et républicaine qu’on ne lui connaissait pas. Exposé des motifs :

« Il semble donc au Groupe Union pour un Mouvement Populaire souhaitable (sic) d’aborder la question du rôle de l’école républicaine ainsi que le mal-être et les difficultés que rencontrent les enseignants dans l’exercice de leurs fonctions. Ces incidents ont mis au jour un malaise plus profond caractérisant l’éloignement d’un nombre croissant d’élèves de la morale républicaine. Ainsi, il semble nécessaire de proposer les mesures permettant aux enseignants d’assurer leurs missions de transmission des valeurs de la République et du principe de laïcité ainsi que d’acquisition des savoirs (…) »

Le déroulement des auditions prend rapidement un tour surréaliste : si la commission, sous le voile d’un œcuménisme de bon aloi, invite à s’exprimer des personnalités représentatives de diverses sensibilités (syndicats d’enseignants et de personnels de direction, mouvements pédagogiques, spécialistes reconnus pour leurs travaux ou leur expérience, représentants de parents etc), il apparaît au fil des jours que les sénateurs n’apportent pas la même attention à chacune d’entre elles. Parmi les invités, il y a ceux qu’on écoute poliment (et encore pas toujours, tant le rapporteur Jacques Grosperrin (LR), témoigne de morgue à leur égard) et ceux qu’on est disposé à entendre (1).

Ainsi, Chevènement (ministre de l’Education nationale de 1984 à 1986) ne déçoit pas ses hôtes. Ses accusations frontales contre « les dérives pédagogistes (sic) qui retirent à l’école sa qualité d’institution » mais aussi contre l’enseignement d’une « histoire pénitentielle », obstacle à l’intégration des enfants d’immigrés, lui valent un satisfecit remarqué.

Même tonalité chez Debray, fervent défenseur de l’uniforme scolaire (« qui engendre un sentiment d’appartenance pouvant même aller jusqu’à une certaine fierté ») et de l’estrade, signe de « verticalité (…) l’estrade favorise la transmission à l’élève par le maître qui doit être respecté (…) L’école doit rester une institution, caractérisée notamment par une enceinte et un règlement. En cela, elle est comparable à l’armée, l’école et l’armée étant deux piliers de la république dont les sorts sont liés. »

En embuscade : un projet éducatif réactionnaire

Une indéracinable nostalgie pour l’école du passé, une description souvent apocalyptique du quotidien des classes, des analyses sommaires ou inexistantes sur le système scolaire : incontestablement, le rapport publié six mois plus tard – et adopté par la seule droite sénatoriale – fait son tri dans les auditions, pour aboutir miraculeusement à ce qui constituait le point de départ des travaux de la commission : partant d’un fait extérieur à l’école – les attentats terroristes – la commission s’en détourne pour se livrer à une accusation frontale et sans nuances de tout le système éducatif. De fait, après la dénonciation de la « perte des repères républicains » ou encore d’ « un inquiétant délitement du sentiment d’appartenance à la nation », le rapport Grosperrin a tout d’un programme électoral, d’un programme de droite, du programme de Fillon. Avec ces propositions qui ne laissent aucun doute sur le choix idéologique de leurs auteurs :

«- Évaluation de la maîtrise du français tout au long de l’enseignement élémentaire, notamment en CM2 conditionnant l’accès en 6ème, l’apprentissage de la langue française devenant l’axe central des programmes du primaire.
– Interdiction des tablettes au primaire et mise à l’étude d’un dispositif de brouillage des téléphones portables dans les écoles et les collèges. […]
– Création dans chaque département d’un établissement spécialisé d’accueil pour les élèves les plus perturbateurs.
– Renforcement de l’autonomie des chefs d’établissement, en leur donnant un droit de regard sur le recrutement des nouvelles équipes, dans le respect des règles de la Fonction publique. »

Excès de zèle de quelques parlementaires ? Bien au contraire : très caractéristique de l’air du temps et de l’opinion dominante en ce lieu de pouvoir, la publication, quelques jours auparavant, par le président du Sénat, d’un autre rapport commandité cette fois-ci par le président de la république au président du Sénat (« La nation française, un héritage en partage »), vient confirmer qu’il s’agit-là d’une entreprise délibérée et concertée. De fait, comme ses collègues de la commission d’enquête, Larcher (considéré comme un proche de Fillon, à l’instar de Retailleau déjà mentionné) a sa bête noire : le « pédagogisme » et, plus précisément, les « pédagogies constructivistes qui ont pris le pouvoir dans l’enseignement ». Ses fétiches : « l’autorité du maître qui transmet à l’élève » mais aussi « la primauté du savoir sur la pédagogie » ou encore « la valorisation du mérite de l’élève ». Son remède miracle : « l’autonomie des établissements » qui offre à ses yeux l’immense intérêt de permettre le libre choix des enseignants et des élèves par les chefs d’établissement.

Un an et demi plus tard, il est difficile de ne pas faire le lien entre les initiatives déclenchées dans la grande confusion des attentats – et encouragées de façon obsessionnelle par de multiples propositions de loi (2) – et le projet du candidat Fillon pour les présidentielles. En dépit de leur caractère objectivement irrationnel, voire ubuesque, les dispositions préconisées apparaissent bien comme le recyclage de projets profondément réactionnaires – dans le sens où c’est un retour au passé qu’ils visent – aujourd’hui assumés sans complexe par une droite (la notion d’ « extrême » n’a ici plus guère de sens) qui affiche clairement ses valeurs : un ordre scolaire fondé sur la sélection des élèves, renforçant les discriminations sociales, étayé par un programme plus large de contrôle idéologique où dominent les considérations identitaires.

Incontestablement, une remise en cause radicale des transformations qui ont fait bouger l’école et plus généralement la société au cours du demi-siècle écoulé… et que les sénateurs et beaucoup d’autres avec eux n’ont toujours pas acceptées.

(1) Sur les travaux de cette commission, voir aussi l’analyse du collectif Aggiornamento : https://aggiornamento.hypotheses.org/2924

(2) On ne compte plus les propositions de loi déposées au cours des derniers mois à l’Assemblée nationale et au Sénat, visant à instaurer un uniforme scolaire, déployer les symboles nationaux (quoiqu’ils soient déjà très présents), entretenir le patriotisme, rétablir le service militaire…

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