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Et si l’on parlait de la vie réelle de la classe ?

Regard d’une institutrice après 30 ans de métier

On a tout dit sur les défauts de l’enseignement, sur les lacunes de l’éducation, sur la récupération du désarroi actuel par la logique marchande qui dicte les programmes, commande les évaluations et instaure les critères de rentabilité ; on a tout entendu sur les méthodes d’apprentissage -toutes prises séparément aussi efficaces les unes que les autres- , tout expérimenté des dispositifs capables d’épanouir les enfants jusqu’à l’atelier de philosophie à l’école maternelle… L’institution a tout mesuré et tout contrôlé, mais rarement elle a abordé ce qui fonde la réalité quotidienne de l’école : la vie de la classe, la façon d’être ensemble, les enjeux humains qui s’y rattachent.

Au milieu du sauve-qui-peut général, malgré les désillusions et les déboires de ceux qui luttent et essayent de changer les choses par l’action extérieure, j’aime de plus en plus mon métier en raison justement de la découverte de ce qui sous-tend, dans l’invisible, la vie de la classe. Je partagerai ici quelques prises de conscience qui ont éclairé mon parcours et qui me servent de repères pour mesurer ce qui sépare la vie quotidienne de l’école d’aujourd’hui de ce que la raison peut reconnaître comme juste et logique et que l’expérience peut confirmer.

La classe, une communauté vivante

La classe est avant tout une entité vivante qui se nourrit de l’ambiance instaurée par l’enseignant. La priorité des priorités est la qualité du lien qu’il établit avec chaque élève au-delà des sympathies et des antipathies naturelles, en dehors de toute relation affective trompeuse ou de tout exercice de pouvoir. Le juste lien s’établit avec le meilleur de chacun en réponse à ses réels besoins. Autoritarisme et agressivité qui blessent les consciences sont à bannir. La fermeté et la bienveillance, dans le respect de la liberté de conscience, sont autant nécessaires l’une que l’autre pour guider l’enfant sur son propre chemin.

L’harmonie s’instaure au sein de la structure de l’école par un climat de liberté, d’écoute et de confiance mutuelles entre adultes qui inclut logiquement la relation aux parents d’élèves. Ce climat nécessaire à l’accueil des enfants se traduit au sein de la classe par ce que Léon Tolstoï a appelé une sorte d’osmose : « « Le meilleur maître » est celui qui sait constituer une sorte d’osmose entre les personnes qui désirent apprendre et celles qui désirent enseigner. L’ordre pédagogique ne peut être qu’un ordre de la liberté, exclusif de toute violence perturbant « le libre développement de l’enfant » » (cité dans Alternatives non violentes N°153).

Si l’éducation consiste à libérer le potentiel créateur qu’offre la Vie en chacun de nous, ce ne sont certes pas les règles de l’économie de marché qui doivent dominer. Or actuellement, le formatage au service de la spéculation intéressée de la logique marchande prend le pas sur la nécessité. Les programmes ne sont pas logiquement au service du besoin des enfants, mais génèrent une pédagogie du projet qui n’est autre qu’une pédagogie de l’angoisse, de la peur du vide et de l’inconnu.

De quoi ont besoin les enfants ?

Jusqu’à sept ans, les enfants ont essentiellement besoin de jouer. Or le jeu s’accorde mal avec une société de rentabilité et de compétitivité. Dans l’emploi du temps d’une classe de maternelle, il est aujourd’hui proscrit d’inscrire « jeux libres » alors que les enfants ont entre trois et cinq ans. C’est pourtant par le jeu que tous les enfants du monde, sous toutes les latitudes et à toutes les époques, apprennent à grandir, découvrent les capacités de leur corps et de leur esprit, explorent le monde qui les entoure, imitent la vie adulte pour s’y préparer.

Le jeu a une place fondamentale dans la construction de l’individu ; lorsqu’un enfant joue, il travaille à sa manière en s’investissant totalement physiquement, émotionnellement et intellectuellement. L’être en devenir ne découpe pas la réalité en sections séparées, il évolue globalement avec son corps et son esprit ou pas du tout.

Parallèlement à la liberté de jouer, les enfants ont besoin de se structurer et d’apprendre la maîtrise d’eux-mêmes. Ils veulent naturellement devenir « grands ». Les enfants adorent « travailler » quand ils ont bien « joué ». L’exigence à leur égard peut être d’autant plus grande au niveau des apprentissages formels –préparation à la lecture, à l’écriture et au calcul- que les enfants ont eu leur quota de jeux, que leur besoin premier a été assouvi. Sylvain Connac, dans « Apprendre avec les pédagogies coopératives » résume cet état de fait : « La disponibilité aux apprentissages du cerveau dépend en grande partie du maillage neuronal essentiellement bâti par l’intermédiaire des expériences qu’il a pu développer de manière active ».

Instaurer l’équilibre

L’arbre grandit en développant ses racines dans l’invisible. Une éducation et un enseignement qui ne prennent pas en compte la vie psychique et spirituelle de l’individu ne forment que des aveugles qui ne sauront pas se diriger par eux-mêmes dans l’existence, mais resteront dépendants des systèmes qui les auront formatés. Par vie spirituelle nous entendons le mouvement de la conscience qui se relie aux énergies profondes de la Vie qui anime l’être humain en harmonie avec l’ensemble. Cette référence à la conscience profonde, en dehors de tout dogme et de toute religion, doit être éveillée dès le plus jeune âge pour préparer à l’autonomie.

Le premier équilibre à instaurer est le juste rapport entre l’ouverture au monde de l’enfant et l’éveil à sa conscience qui le guidera dans ce monde. Il en découle les autres équilibres à construire en permanence dans la vie de la classe entre la liberté individuelle et les règles sociales, les activités personnelles et les moments collectifs, le jeu et le travail, les activités en intérieur et celles à l’extérieur, l’observation de la nature qui sensibilise à la beauté et à l’ordre naturel et la manipulation de matériel pédagogique qui ouvre l’esprit à l’abstraction, à l’approche globale et à l’approche analytique de l’instruction.

A l’heure actuelle, au lieu de marier les opposés, les idéologies contraires se combattent jusque dans les méthodes d’apprentissage. L’équilibre révèle la complémentarité des différentes approches, il se découvre dans l’instant par la qualité de présence de l’enseignant qui s’appuie pour cela sur l’observation de la façon d’être présent au monde de l’enfant.

Un état d’esprit partagé

L’atmosphère d’une classe se régule d’elle-même entre ordre et liberté quand tout le monde en conscience fait ce qu’il a à faire en respectant les autres. La fonction d’autorité du maître n’est autre que la force de l’exemple que reconnaissent naturellement les enfants et dont ils ont besoin pour être accompagnés dans leur propre choix.

Quand, affranchi de toute pression extérieure, chacun –adultes comme enfants- se sent en accord avec lui-même, une forme de plénitude partagée se révèle, un calme naturel voire un silence vivifiant fécond aux apprentissages s’instaure. L’agitation est le signe qu’il faut se recentrer ou changer d’activité.

Il va sans dire que lorsque le respect de l’autre, la liberté d’évolution et la réponse aux besoins sont pris en compte et favorisés par une présence active mais non intrusive de l’enseignant, l’échec est un concept qui n’a aucune place à l’école. On part de là où en est chaque enfant, l’objectif étant son épanouissement et non de mesurer et de comparer des compétences sur une échelle normative.

Conclusion

Tel on se conçoit, tel on éduque. Le développement technologique qui provoque une déshumanisation galopante a occulté les dimensions imperceptibles de la Réalité. Sans renouer avec la totalité de son être, l’individu est condamné à devenir une machine formatée par des éducations hybrides. L’impact actuel de la technologie sans frein et de la manipulation des consciences qu’elle autorise sur les enfants est tel que la marge d’éducation possible par la famille ou l’école se réduit de plus en plus à une peau de chagrin.

L’éducation et l’épanouissement des tout jeunes enfants, individus à part entière et futurs adultes, est primordiale pour l’avenir. Derrière le miroir aux alouettes du chiffre, de la statistique et des projections utopiques, c’est l’évolution de l’humanité qui est en jeu. Ou bien l’on renforcera l’esclavage déjà bien avancé du genre humain ou bien l’on favorisera l’émergence d’hommes et de femmes libres et responsables capables de répondre aux nécessités présentes. A chaque nouvelle génération, tout est encore possible !

Diane (professeur des écoles)
Publié sur : http://reseaueducation.blogspot.fr/ le 24.03.13

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