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Esprit critique et pratique d’engagement

Le développement de l’esprit critique des élèves est officiellement un des attendus de l’école et un des objectifs auxquels se déclarent attachés les enseignants dans l’exécution de leurs missions. Pourtant, il est possible de se demander si un enseignant peut développer un esprit critique chez les élèves sans exercer lui-même dans son existence personnelle et professionnelle une action critique ?

Dans Souffrance en France, le psychologue du travail Christophe Déjours s’est interrogé sur la continuité qu’il pouvait exister entre la soumission dans les entreprises à une organisation du travail pathogène et l’obéissance lors des massacres de masse. On peut en effet douter que celui qui accepte de se soumettre à des ordres injustes dans le cadre professionnel, se mette à y désobéir dans des situations plus extrêmes que sont le crime de masse. Les attitudes qui conduisent dans des situations exceptionnelles au crime de masse seraient alors déjà présentes dans la vie quotidienne, avec néanmoins du fait des circonstances, des conséquences moindres.

L’institution scolaire s’est donnée pour objectif de prévenir, en particulier par l’étude de la Seconde guerre mondiale, ce type de conséquences. Pourtant, l’on peut s’interroger sur l’efficacité de ce devoir de mémoire qui renvoie les mécanismes de l’obéissance illégitime à des situations historiques exceptionnelles.

En effet, on peut se demander si la question du refus de l’injustice n’a de place dans la vie de l’enseignant que par ce type d’exemple, s’il lui est réellement possible de transmettre un esprit critique capable de se réaliser dans une pratique chez un élève. En effet, si on admet que les mécanismes de la « banalité du mal » sont déjà à l’œuvre dans notre quotidien et que notre vie de tous les jours nous donne la possibilité de nous exercer à les combattre, pourquoi un enseignant apathique serait alors en capacité de susciter chez ces élèves une action au quotidien contre l’injustice.

D’une certaine manière, la notion d’ « esprit critique » contient bien en germe le problème dont il est ici question. Il suffirait de susciter un certain type d’ « esprit » pour produire une pratique. Mais rien n’est moins certain.

L’enseignant qui accepte au quotidien, en tant que citoyen l’injustice, ne risque d’être guère à l’aise pour inciter les élèves à avoir une action que lui même n’effectue pas. De ce fait, on peut bien alors se demander quelle serait la valeur de cet esprit critique que posséderait un enseignant qui ne serait lui-même jamais capable de le traduire dans des actes de refus, de résistance ou de lutte concrets.

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