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Entretien avec Alicia Bourabaa Écoles Espérance banlieues, quand « les réacs colonisent la banlieue »

Depuis plusieurs mois, les écoles privées hors contrat de la Fondation Espérance banlieues, avec leurs uniformes et le salut au drapeau, engrangent les reportages et les articles élogieux. Alicia Bourabaa a publié dans le magazine Causette, une enquête approfondie qui écorche cette stratégie de com et révèle les liens serrés entre cette fondation, la droite et l’extrême droite catho. Entretien

N.B. : ce texte a initialement été publié dans l’édition Mediapart La Guerre scolaire qui vient (Rédacteurs – Rédactrices : Laurence De Cock, Amélie Hart-Hutasse, Christophe Cailleaux, Jean-Charles Buttier, Grégory Chambat)

Pour revenir sur cette enquête et expliquer ce qui l’a conduit à mener ses investigations, la journaliste Alicia Bourabaa a accepté de répondre à nos questions. Une occasion de prolonger un reportage salutaire que nous vous invitons à découvrir en kiosque (“Écoles privées : les réacs colonisent la banlieue. L’école de l’anti-république prend ses aises”, Causette n° 76, mars 2017).


Pourquoi cette enquête sur la fondation Espérance banlieues ? Quel a été le détonateur ?

Alicia Bourabaa – J’ai fait la découverte d’Espérance banlieues (EB) lors d’un événement organisé au printemps 2016 par « France Fière », un think tank « patriote » adossé au parti Les Républicains (LR).

Éric Mestrallet, le fondateur d’Espérance Banlieue, s’y était vu remettre un prix décerné par cette toute jeune organisation, lancée l’année précédente par une nouvelle génération d’élus de droite de banlieue.

C’est une association comme il s’en créée souvent en période électorale. Sauf que la trajectoire des jeunes présents y est peut-être un peu différente. Certains membres ont été actifs au sein d’associations cultuelles musulmanes, et, parce qu’ils défendent in fine les mêmes opinions en matière de mœurs (contre l’avortement, le mariage homosexuel, la PMA, la « défense de la famille » etc..), beaucoup ont battu le pavé dans les cortèges de la Manif pour Tous (LMPT) ou se sont investis au sein de « Sens Commun ». Concrétisant par la suite leur entrée en politique en s’engageant auprès des candidats LR aux élections municipales en banlieue parisienne et auprès de Valérie Pécresse, lors de la campagne des régionales en Ile-de-France.

J’insiste sur « France Fière », parce qu’ils ont aidé, une certaine droite, catholique, conservatrice, à mettre un pied de l’autre côté du périph. Ou du moins qu’ils ont participé, à leur niveau, à la pénétration de ses idées dans les quartiers. Un précieux marchepied sans lequel des « expérimentations » inédites comme celles d’Espérance Banlieues n’auraient peut-être jamais pu se concrétiser.

Il y a eu dans les quartiers populaires, des convergences initiées dans la foulée de LMPT dont on n’a peut-être pas vraiment soulevé la portée.

Combien de temps ont duré les recherches ? Comment s’est déroulée cette enquête ?

A. B. – Il s’agissait d’abord d’un travail de veille. Essayer de mesurer l’ampleur du réseau Espérance Banlieues sur le terrain, sa force de frappe. Plutôt impressionnante puisque pour ouvrir, comme ils s’en sont fixé l’objectif, plus de 200 écoles, les animateurs d’EB sont parvenus à réunir tous les mois ou presque des bénévoles pour silloner la France et préparer de futures implantations d’établissements. En ce début d’année 2017, deux nouvelles entités se créaient par exemple pour monter une école en Savoie et dans le Maine-et-Loire. Mais il y a aussi des projets à Caen, Orléans, aux Mureaux, à Toulouse, Reims, Tours… etc.

Pour ce qui est des informations, une partie était publique. Les rapports d’activité de sa maison mère, la Fondation pour l’école, offraient par exemple des éclairages précieux. Ces rapports ont étrangement disparu du site internet depuis… (http://www.fondationpourlecole.org/nous-connaitre/nos-comptes/rapports/)

La difficulté pour les journalistes et le quidam, réside, je crois, dans la « qualification » ; dire ce qu’est Espérance Banlieues, ce qu’ils sont et ce qu’ils proposent en dépit des apparences. Donner en somme une cohérence entre la finalité du projet et les moyens mis en œuvre.

C’est reconnaître aussi que la bonne foi des uns, qui entendent s’engager auprès d’Espérance Banlieues pour grosso modo « sauver les petits enfants perdus de la République ». Ce n’’est nullement incompatible avec le fait de participer à la mise en place d’un projet scolaire d’inspiration d’extrême droite.

Il y a à ce titre des indices qui ne mentent pas. Les trajectoires des animateurs d’EB par exemple : un dirigeant (Eric MEstrallet) qui fut un temps collaborateur d’un sénateur du MPF (Mouvement pour la France de Philippe de Villiers). Une maison mère, la Fondation pour l’école, tenue par une égérie de la Manif pour Tous (Anne Coffinier). Maison mère, dont le trésorier, Pierre de Lauzun, chevalier d’un vieil ordre croisé (le Saint Sépulcre de Jérusalem) nourrit une certaine obsession de l’islam et défend sur son site internet une politique d’assimilation des Français de confession musulmane et des « immigrants » : des « jeunes, certes plus ou moins agités (sic)mais qui sont trop souvent éduqués par leurs parents dans cette culture du ghetto et du refus. »

Il y a aussi des liens étroits avec la fondation anti-avortement Jérôme Lejeune ou Ichtus, association néo-pétainiste, remobilisée par LMPT, que la Fondation pour l’école a soutenue financièrement, etc. Bref, toute une nébuleuse d’acteurs à l’extrême droite de l’échiquier politique.

La stratégie de communication de EB est particulièrement offensive, en particulier en direction des journalistes. Pourquoi ce soin apporté à la médiatisation et comment se fait-il que nombre de journalistes se sont contentés de relayer la communication de EB sans trop chercher à savoir réellement de qui et de quoi il s’agit ?

A. B. – La critique du traitement journalistique ne peut pas être uniforme. Mais je crois qu’on met le doigt sur un problème classique de représentation et de représentativité des quartiers populaires, de la banlieue plus particulièrement, au sein de la profession. Quand il s’agit d’écrire sur la banlieue, il y a un certain nombre de travers dans lesquels on tombe régulièrement. Et puis il y a un effet d’agenda indéniable, s’il y avait eu une opposition audible de la part des partis d’opposition au niveau municipal ou national, les médias auraient suivi, nécessairement. Par ailleurs, les journalistes n’ont peut-être pas mesuré l’impact des actions menées par Espérance Banlieues.

Ce qui est assez logique, puisque la communication d’Espérance Banlieues vise, entre autres, à lisser son image, dissimuler tous ces liens avec l’extrême droite. EB et la Fondation pour l’école se sont attachées par exemple le soutien de figures de la « diversité » ultra consensuelles comme Harry Roselmack, Jamel Debbouze et sa femme Mélissa Theuriau. Ils sont allés eux-mêmes chercher Harry Roselmack et Mélissa Theuriau pour réaliser un livre et un documentaire, mine de rien, en présentant ces objets comme issus d’un travail journalistique strictement neutre et distancié. Ce qui n’est de toute évidence pas le cas.

Tout cela participe d’un plan de communication beaucoup plus large. L’image qu’ils essaient de véhiculer est celle d’une petite fondation apolitique, a-religieuse, un peu comme une start-up nourrie de bonnes volontés. Tout est pourtant ultra-professionnel. Les éléments de langage sont ciselés. Ils parlent par exemple d’écoles non pas laïques mais « a-confessionnelles ». Ce qui permet tout autant de toucher un public de parents de confession musulmane que de prévenir les accusations de prosélytisme. Le personnel encadrant est pourtant majoritairement de confession catholique, pratiquant. Et la religion a un impact certain dans l’enseignement.

Pour l’aspect start-up aussi, le storytelling tient peu. Espérance Banlieues est soutenue par des fondations d’entreprise comme Thalès, et la Fondation pour l’école collectait plus de 6 000 000 d’euros de don pour l’exercice 2015-2016.

Les deux avancent en fait comme un véritable lobby. C’est d’ailleurs l’une des missions de la Fondation pour l’école, inscrite noir sur blanc, à côté du soutien financier et juridique des écoles hors contrat et de leur réseau, et de la formation alternative des profs. En matière de lobbying la machine tourne à plein régime. On les a vus se mobiliser contre la loi « Égalité et Citoyenneté » visant à contrôler d’avantage la création des écoles hors contrat, inviter tous les candidats à la primaire de la droite à visiter leurs écoles pendant la campagne etc.. L’intérêt étant de montrer qu’une autre école est possible, la preuve : elle est déjà en place. C’est un peu la politique du fait accompli.

L’idée de l’école qu’ils défendent est ultra-conservatrice sur les mœurs, ultralibérale sur la structuration économique. Anne Coffinier, la patronne de la Fondation pour l’École le dit assez régulièrement en réunion publique, il y en a assez de recevoir la « becquée de l’éducation nationale ».

En dix ans, ils ont créé tout un système parallèle à l’Éducation nationale, de la formation des profs, à l’écriture de manuels alternatifs. Et leur expansion est à peine contrariée.

La question qui se pose donc maintenant est celle de la réversibilité de leurs actions. Maintenant qu’ils ont obtenu l’agrément d’utilité publique leur permettant de bénéficier de dons défiscalisés, que des mairies ou des départements ont prêté des locaux voire des écoles vides, que les collectivités, mairies ou région comme l’Ile-de-France, proposent un soutien financier ou logistique…

Derrière l’image très lisse et avenante de ce réseau, quels ont été les éléments les plus étonnants que ce travail a mis à jour ?

A. B. – Le plus étonnant c’est l’absence de répondant de la gauche institutionnelle. Michèle Delaunay, élue socialiste de Bordeaux, et ancienne ministre du quinquennat Hollande, était bien la seule à s’être opposée à l’époque à la remise à la Fondation pour l’école de l’agrément d’utilité publique par le ministre de l’éducation nationale d’alors Xavier Darcos. C’était en 2007… Elle prêchait dans le désert.

Par effet miroir, ce que reflète le succès d’Espérance Banlieues, c’est l’impréparation de la gauche de parti face aux renouvellements de la droite, aux nouvelles formes de militance initiées par la Manif pour Tous, à ce qui ressemble à une convergence des luttes, et à la captation d’un nouvel auditoire : les catégories populaires de banlieue. Qui aurait cru il y a vingt ans qu’un ancien proche du MPF pourrait ouvrir aussi facilement des écoles hors contrat à destination des enfants d’immigrés avec levée des couleurs, uniforme et interdiction dans le règlement scolaire de parler la langue des parents ?

Propos recueillis par Grégory Chambat

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